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Juifs
et musulmans du monde peuvent ils cohabiter ensemble ? Selon
l’intellectuelle juive, Esther Benbassa, oui… mais à
certaines conditions !
Fériel Berraies Guigny
Ester Ben Bassa
17
octobre 2006
Ester
Ben Bassa femme de courage et de conviction fait parti de ces
militantes juives, qui œuvrent avec acharnement pour le
rapprochement entre les communautés religieuses en France.
Dans l’éternel combat contre l’Islamo phobie, l’antisémitisme
et l’antichristianisme, cette historienne nous livre une vision
lucide et courageuse sur les dangers de certains amalgames qui ont
longtemps nourri la haine entre les peuples. Une haine entretenue
par l’intolérance, mais également la désinformation qui puise
son essence dans un véritable mythe collectif. Islam et Judaïsme,
une cohabitation viscéralement inconcevable et pourtant tant de
peuples du Moyen Orient auraient à y gagner. Juifs et musulmans
ont cette histoire en commun, qu’il faut reconnaître bien
qu’elle soit douloureuse. Son dernier ouvrage paru en 2006,
tente de renouer le dialogue et d’éclairer sur certains non
dits et certaines exactions inhumaines. Aujourd’hui, pour
l’universitaire, l’heure est au bilan et à la reconnaissance
de certaines fautes qu’il ne faut aucunement imputer au seul héritage
historique ou à la religion. Les peuples et les Etats concernés
en perdraient leur légitimité. Pour elle, là ou la démocratie
échouera, il faudra s’attendre au retour du grand religieux et
aux risques de dérapage politique que cela impliquera. Le conflit
au Liban, sans nul doute a été considéré par
l’intellectuelle comme une « sale guerre » un dérapage qui a
provoqué un carnage injustifié. Et aujourd’hui, l’image d’Israël
a pris un sérieux coup.
Esther Benbassa est directrice d’études à l’Ecole Pratique
des Hautes Etudes (Sorbonne, Paris), titulaire de la chaire
d’histoire du judaïsme moderne. Elle est également une
intellectuelle engagée, auteur de nombreux ouvrages dont le
dernier est: Juifs et musulmans : une histoire partagée, un
dialogue à construire, Paris, La Découverte, 2006 (dir., avec
J.-C. Attias).
Juifs et musulmans
Une histoire partagée, un dialogue à construire.
Synopsis :
C’est au moment où tout semble perdu que le dialogue prend
toute sa valeur. Israéliens et Palestiniens sont-ils condamnés
à se détruire jusqu’au dernier jour ?
Peut-on
puiser dans l’histoire les moyens de surmonter les antagonismes
du présent ? Même si elle n’apporte pas de réponse directe
aux conflits d’aujourd’hui, la connaissance du passé permet
d’en relativiser certains enjeux. Issu d’une rencontre
publique qui trouva un grand écho au printemps 2004, cet ouvrage
réunit les contributions de diverses personnalités
(intellectuels, chercheurs, écrivains, journalistes, acteurs
associatifs, responsables communautaires), venues d’horizons
culturels et confessionnels différents et qui souvent ne se
parlaient pas ou plus. Acceptant d’échanger ici sur
l’histoire longue des relations judéo musulmanes depuis le
Moyen age aussi bien que sur les conflits contemporains, elles
s’efforcent d’apporter dans la sérénité les éléments
d’un savoir clair et sûr et de frayer ainsi les voies d’une
connaissance mutuelle. En France, juifs et musulmans ont soif de
se parler à nouveau. Inspiré par une démarche citoyenne, ce
livre vient à point pour inviter à réfléchir ensemble sur ce
qui nous unit autant que sur ce qui nous divise. Certes sans
illusions, mais avec des raisons d’espérer.
(Jean-Christophe ATTIAS, Esther BENBASSA )
Entretien
avec Feriel Berraies Guigny :
Vous dénoncez les dangers du racisme « religieux » à savoir
l’islamophobie, l’antisémitisme et l’antichristianisme?
Je dénonce toutes les dérives parce que comme historienne je
sais à quoi elles mènent. Le génocide des juifs n'est pas
seulement lié au contexte économico politique de l'avant-guerre.
Il a été nourri aussi par l'antijudaïsme et l'antisémitisme,
l'un d'origine religieuse indissociable du contentieux entre judaïsme
et christianisme, et l'autre élaboré au XIXe siècle, en pleine
modernité naissante, attribuant aux juifs toutes les difficultés
qu'amenait cette transformation. L'indifférence les a laissé mûrir
et se répandre dans des périodes de crise où ce racisme éloignait
des vrais problèmes, en remettant leur solution à plus tard,
focalisant l'attention sur des groupes ethniques et religieux.
Aujourd'hui, dans les pays arabes, l'antisémitisme de type européen
qui émerge avec ses obsessions classiques autour du complot juif,
de l'argent juif, du pouvoir juif joue le même rôle que dans le
passé en Europe. Certes, il est depuis la fondation de l'Etat
d'Israël, couplé à un anti-israélisme primaire et nullement
rationnel. Quant à l'antichristianisme qu'on observe dans ces mêmes
pays, il n'est pas étranger à la xénophobie traditionnelle
entretenue par les nationalismes locaux, xénophobie qui avec la
montée de l'islam et de l'islamisme revêt actuellement des
habits religieux. En France, l'islamophobie actuelle ressemble
beaucoup, par certains aspects, à l'antisémitisme du XIXe siècle.
S'il y a de la violence en France, si son économie est grippée,
si la France a perdu son aura d'antan, la faute à qui ? Aux
Arabo-musulmans. Le 11 septembre a donné des ailes à cette
tendance qui n'est pas étrangère à une xénophobie française
bien enracinée. ہ une époque, on rejetait les Polonais,
les Italiens, les Portugais, les Espagnols. Mais ceux-ci étant
des chrétiens, la tolérance à leur égard était plus grande.
Les Arabes de France ont le tort de ne pas être chrétiens. Et
tout cela malgré la laïcité qu'on proclame haut et fort.
L'universalisme français reste encore imprégné de christianisme
et de blanchitude. En même temps, paradoxe, la France est aussi
un pays d'accueil.
Peut on dire que dans le monde, il y ait une lutte
confessionnelle tripartite ? que pensez vous de la France et de
son attitude actuelle par rapport aux trois communautés
religieuses ? aujourd’hui l’Islam n’est il pas à son tour
« persécuté » ?
Je suis moins sûre qu'on soit seulement dans une lutte entre les
religions. Il va de soi que la rivalité entre le christianisme et
le judaïsme, son frère aîné, qui n'a pas reconnu la messianité
ni la divinité de Jésus et qui pour cette raison était condamné
à l'infériorité, et avec l'islam, venu après, à la fois objet
d'attirance et de répulsion, n'est pas à négliger. La peur de
l'islam n'est pas nouvelle en Occident. Il suffit de feuilleter un
livre d'histoire pour s'en apercevoir. L’épouvantail de l'islam
conquérant et dominateur a traversé les siècles. Quel élève
n'a pas appris la bataille de Poitiers? L'Occident a tremblé
devant le Grand Turc forçant les portes de Vienne. Maintenant,
l’islam fascine encore par la ferveur qu'il provoque chez ses
adeptes dans une Europe à la pratique religieuse exsangue. Il révulse
encore par certains comportements de type religieux qui lui
rappellent un passé récent où, au nom de sa foi chrétienne, on
tuait et on se tuait. L'islam constitue pour l'Occident une sorte
du retour du refoulé. La décolonisation non digérée n'est pas
sans effets non plus dans cette islamophobie.
La Shoah puis la diaspora juive, justifient t-elles la
politique d’envahissement et de répression? vous dénoncez
cette « union sacrée juive »qui veut avaliser tous les dérapages
actuels ? N’est ce pas prêcher dans le désert ?
Rien ne justifie ce que subissent les Palestiniens. Israël a le
droit d'exister, mais aussi le devoir de laisser exister un Etat
palestinien. Je pense de plus en plus que la survie d'Israël dépend
de la fondation d'un Etat palestinien indépendant, doté de
frontières claires et sûres. Cela aidera Israël à se
normaliser. Ce pays n'existe pas pour que les juifs de la diaspora
se sentent en sécurité. C'est certes un pays pour les juifs,
mais d'abord un pays pour les Israéliens, juifs ou non, qui y
vivent. Et ce sont ces derniers qui affrontent au jour le jour les
difficultés d'un pays en guerre permanente. Une situation qui
risque à la longue de devenir invivable et de provoquer de
grandes vagues d'émigration à l'étranger. Le génocide où six
millions de juifs ont été exterminés en Europe n'est pas sans
conséquences sur l'attitude des juifs de la diaspora qui
manifestent une fidélité sans faille à Israël, imaginé comme
un refuge éventuel au cas où ça irait mal un jour. Israël
instrumentalise aussi cette peur compréhensible pour se servir de
la diaspora comme courroie de transmission de sa politique. Le génocide
fait partie intégrante de la rhétorique des politiciens israéliens
depuis l'arrivée de la droite (du Likoud) au pouvoir en 1977, et
ce pour justifier l'occupation. Ce n'est pas un hasard si on réactive
cette rhétorique en temps de guerre pour rappeler qu'un deuxième
génocide menace les juifs si Israël perd la guerre. Je respecte
au plus profond de moi-même les peurs et les frayeurs de ceux qui
restent hantés pas la mémoire du génocide, mais je n'admets pas
qu'on l'utilise pour justifier l’oppression du peuple
palestinien qui a aussi droit à un Etat, comme les juifs avaient
réclamé le leur à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Nous
savons que la souffrance subie par un peuple ne le rend pas plus
sensible à celle d'un autre peuple qui souffre à ses portes. Et
l'union sacrée à laquelle nous avons assisté pendant la guerre
du Liban était concomitante à cette fidélité indéfectible qui
empêche toute critique d'Israël et qui d'ailleurs empêche les
juifs de la diaspora de se construire sur place, dans leur pays
d'implantation, un judaïsme énergique, tourné vers l'avenir et
créatif.
Que pensez vous de la politique actuelle israélienne au
Orient? Vous parlez de « sale guerre » s’agissant de
l’offensive israélienne au Liban ? que pensez vous du blocus
qui perdure? l’alliance américano israélienne, sert elle
vraiment le dessein du peuple juif ? cette guerre de haine
palestinienne ne risque t-elle d’exacerber l’antisémitisme et
de creuser le fossé entre les communautés en France ?
Ce fut une sale guerre et je l'ai écrit aux premiers jours, quand
je voyais Israël s'y enliser. Israël aurait pu récupérer les
soldats enlevés par un échange de prisonniers comme l'avaient
fait auparavant Ben Gourion ou Sharon. C'est vrai qu'au début,
cette réaction pouvait paraître légitime. Israël avait le
droit de se défendre, mais je crois que toutes ces imprécations
contre l'islam terroriste, le Hamas et le Hezbollah terroristes,
ont contribué à aveugler Israël, et mené les politiques et
l'armée à sous-estimer leurs adversaires, tant le mépris était
grand. Ni le Hamas, ni le Hezbollah ne sont des mouvements anodins
et encore moins de type démocratique. Même si leur arrivée au
pouvoir leur a conféré une certaine légitimité, on ne peut pas
nier certaines des tendances inquiétantes qui les habitent. Peut-être
un jour dira-t-on seulement qu'il s'agissait de mouvements de résistance.
L'appréciation du présent et celle de l'avenir diffèreront sans
nul doute et cela dépendra de la place que ces mouvements
occuperont demain sur la scène politique, puis plus tard
historique. Le point névralgique de cette guerre se situe dans le
conflit israélo-palestinien. Certes, le Hezbollah, en capturant
les soldats israéliens, a souhaité détourner l'attention du G8
de l'Iran et de la question de son armement nucléaire. Israël
s'est senti fort et a employé, avec la bénédiction des
Etats-Unis, pour qui l'occupation de l'Irak est un véritable désastre,
les grands moyens. L'offensive israélienne, de type
technologique, n'a cependant pas réussi à entamer sérieusement
la résistance déployée par le Hezbollah. Cette guerre, qui
s'est soldée par un millier de morts civiles et des destructions
massives, a terni l'image d'Israël pour longtemps et l'échec
militaire a déstabilisé le pays pour un bout de temps. Cette
guerre n'a rien fait avancer et de surcroît a redoré le blason
du Hezbollah aux yeux d'une large frange de la population
libanaise et des populations arabes au Moyen-Orient. Nous sommes
toujours au point de départ: les soldats capturés ne sont pas
revenus et Israël sera probablement obligé d'échanger des
prisonniers libanais et palestiniens contre ces soldats. Tant de
morts et de destructions des deux côtés, davantage bien sûr du
côté libanais, sans compter les Palestiniens qui pendant cette période
ont également subi des offensives israéliennes, et maintenant
une crise en Israël même au sein d'une population qui demande
des comptes… Franchement, je crains le pire pour Israël et pour
les juifs en diaspora avec cette déstabilisation. Tout cela
nourrit l'animosité à l'endroit des juifs, ce qui est
regrettable, et met en danger le vivre ensemble.
Comment vivez vous les mouvements d’hostilités de certains
« courants juifs » qui vous reprochent d’édulcorer l’Islam
? et à la limite, de trahir la cause juive ?
Je suis une juive fière de l'être, je suis née en Orient, mais
j’ai grandi en Israël, et il me semble connaître les défauts
et les qualités des uns et des autres. Je ne trahis rien, au
contraire, j'assume ma condition d'intellectuelle juive
universaliste, critique, parce que l'intellectuel n'appartient à
aucun groupe. Les intellectuels juifs ont défendu longtemps des
causes universelles, en commençant par tous les mouvements
socialisants et marxisants, parce qu'ils croyaient qu'en changeant
le monde, ils allaient changer la condition juive déplorable à
cette époque en Europe. Plus tard, ils se sont unis aux Noirs américains
dans leur lutte pour les droits civiques. La liste est longue.
C'est vrai que l'expérience terrible du génocide a changé la
donne. La fondation de l'Etat d'Israël a détourné
progressivement notre regard du monde à son profit. Devons-nous
pour autant cesser d'être les citoyens du monde pour nous
enfermer dans nos communautés? L'accession des juifs à la
citoyenneté au XVIIIe siècle leur a donné la possibilité de
sortir du ghetto. Faut-il y retourner aujourd'hui parce que de
nouveau monte l'inquiétude dans un cadre de bellicosité
nationale et internationale?
N’y a t-il pas au Moyen Orient une main mise de la religion
sur l’Etat ? L’avancée vers la paix ne passe t–elle pas par
une séparation plus nette des pouvoirs politiques et religieux ?
Pensez-vous vraiment que la religion soit un facteur déterminant?
La misère, le manque de perspectives, la corruption des
politiques, l'absence de projets politiques viables renforcent le
pouvoir des religions qui s'immiscent dans les failles. Si on ne règle
pas tous ces problèmes inhérents à ces pays du Moyen-Orient
encore patriarcaux et peu démocratiques, la séparation de la
Mosquée et de l'Etat ne fera pas avancer grand chose. Regardez la
Turquie, où cette séparation remonte aux débuts de la République
: l'islam et l’islamisme y connaissent un essor considérable.
Il est trop facile d'attribuer tous les maux dont souffrent ces
nations, nées pour la plupart au lendemain de la décolonisation,
à l'absence d'une séparation entre la religion et la politique.
En Europe du Nord, pays démocratiques par excellence, une telle séparation
n'existe pas, et pourtant ces pays ne souffrent pas des difficultés
qui accablent les pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Par exemple,
aux Etats-Unis, la religion est inséparable de la démocratie.
Que tirer comme enseignement du passé et des expériences de
religions jugées aujourd’hui plus modérées si ce n’est plus
tolérantes ? Y a-t-il un lien entre la modération de la religion
et la démocratisation de la société ? et entre la « religiosité
» et l’in alphabétisation ?
Dans une société démocratique, la religion occupe la place
qui lui revient et pas plus. Elle ne prend pas la place du
politique. Le dysfonctionnement de la démocratie renforce la
religion. Ici et là en Occident on assiste à un retour du
religieux, mais rien à voir avec ce qui se passe dans le monde
musulman. Qu'il y ait une recherche de valeurs dans la religion,
en pleine mondialisation, lorsque les repères sont de moins en
moins visibles, cela n'a rien d'extraordinaire. Je ne sais pas
s'il existe des religions plus tolérantes que d'autres. Mises en
situation, elles se révèlent aussi intolérantes les unes que
les autres. La baisse de la pratique religieuse en Occident a
limité l'avancée de la religion dans l'espace politique. Au
Moyen-Orient, elle l'envahit et parfois lui dicte sa loi avec le
soutien d'une population qui cherche une issue à l'impasse dans
laquelle elle est reléguée, sans espoir pour l'avenir. C'est
aussi une réaction contre un Occident à qui elle attribue ses
malheurs ou dont on lui fait croire qu’il en est le principal
responsable. L'histoire de la colonisation n'est pas étrangère
à cet état de choses, mais elle n'est pas l'unique facteur. La
religion peut apporter dans les situations de précarité économique
et morale un réconfort, mais rien de plus.
Parlez nous de votre séminaire « le pari du vivre ensemble »
en France, est ce un projet réaliste ? quelles sont vos attentes,
et les objectifs atteints ? Vous êtes née en terre musulmane, en
Turquie, vos racines sont elles la raison de votre vision « modérée
» et pacifiste par rapport au monde arabe ?
Pendant une semaine, du 19 au 26 mars, à travers des débats, des
rencontres, des concerts de musique métissée, des expositions,
des interventions en monde scolaire, nous avons essayé,
Jean-Christophe Attias et moi-même, avec environ 200 intervenants
de toutes origines et de toutes sensibilités, de créer un espace
de liberté où penser les conditions d’un authentique vivre
ensemble. Des voix colorées et multiples aspiraient avec force à
se faire entendre. S’il se présentait comme une semaine de
lutte contre les discriminations, « Le Pari(s) du Vivre- Ensemble
» tendait aussi au rapprochement des différences, de ces différences
qui font la France mais qui souvent sont occultées par les décideurs.
Si les médias ont pu être sensibilisés aux exigences et aux
griefs portées par ces voix, si les patrons ont pu expliquer
celles de leurs démarches qui visent à promouvoir la diversité
dans l’entreprise, bien des politiques, en revanche, ont montré
combien ils étaient loin des préoccupations au quotidien de ceux
qui peinent à débloquer l’ascenseur social et qui sont les
victimes d’un système qui ne se donne pas les moyens
d’irriguer ses élites d’un sang neuf. De celui de ces jeunes
qu’on appelle injustement « issus de l’immigration », quand
nombre d’entre eux sont nés depuis deux générations sur le
sol français. Reste que le désir de comprendre, l’envie de
partager et de débattre étaient bien au rendez-vous, malgré des
divergences parfois sévères. Un jeune associatif noir demanda
avec sérieux et conviction qu’on lui explique pourquoi il ne
serait pas un bon citoyen français parce que pratiquant musulman.
Et si le « choc des civilisations » n’était rien de plus
qu’un fantasme manipulé au gré des besoins du moment ?
Parlez nous de votre dernier ouvrage, « Juifs et Musulmans,
une histoire partagée, un dialogue à construire » (La Découverte,
2006) ; pensez vous que le dialogue est possible et dans quelles
conditions ?
Ce livre est née d'une rencontre organisée à la Sorbonne et à
l'Institut du Monde Arabe le 13 mai 2004 en pleine intifada. Ce
jour-là, dès le matin tôt, la salle de plus de 1 000 places était
pleine à craquer. Nous avons mis pendant cette journée autour
d'une même table des personnalités juives, musulmanes et autres
qui ne communiquaient alors que par invectives. Tous ont pu
discuter calmement, faire passer un message, montrer que tout était
encore possible au pire des situations. Par la suite, le relais a
été pris par d'autres. C’est dans le droit fil de cette
dynamique que nous avons souhaité par la suite organiser le
"Pari(s) du Vivre-Ensemble" et nous avons quelque part
semé des graines qui vont finir par germer. Le dialogue se
construit, il n'est pas donné d'avance. Pour ce faire, il
convient aussi de faire émerger l'histoire d’une cohabitation
millénaire, sa mémoire, avec ses hauts et ses bas, sans
illusions, mais comme signe que cette cohabitation fut possible
dans un passé pas si lointain que cela. Je ne crois pas au simple
dialogue, mais à la confrontation des idées, des vécus, des expériences
afin de les dépasser, pour se dire qu'on ne peut pas continuer à
se haïr, que la coexistence est une nécessité indépassable.
L'ignorance est un fondement de la haine. Le rapprochement dépend
de la connaissance mutuelle. Je demande dans un premier temps une
cohabitation de raison. L'amour viendra plus tard...
© Fériel Berraies Guigny, Paris - Babnet Tunisie,
le 17 octobre 2006
Courtesy of Feriel Berraies Guigny. Journaliste
tunisienne Correspondante à Paris, Ex diplomate de la République
Tunisienne
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