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Carnet américain - A l'heure où le siècle
commença
Farid Laroussi
Mercredi 5 novembre 2008
Trois minutes ce n’est pas grand chose. Comme
pour tous les autres électeurs dans cette école c’est le temps
qu’il m’aura fallu pour dire non au passé et cocher la case qui
portait le nom d’Obama. C’est fait. Il a gagné. Les quelques
dix-huit mois de campagne se seront résumés à ça, chronique
d’une victoire annoncée en dépit des coups bas d’une droite
devenue dysfonctionnelle, des menaces de mort aussi. Même pas
sommeil après une heure du matin ici.
Je commence de comprendre qu’en devenant
américain je n’aurai pas fait le voyage pour rien. L’histoire,
la grande, se plante là devant nous. Un fils d’immigré africain,
au sang mêlé, va devenir le prochain président du plus grand
pays du monde. Ce qui fait l’homme ce n’est pas l’éloquence, les
programmes taillés au scalpel, les conseillers à la pelle, non,
il faut simplement parler de sa capacité à rassembler et de son
fort sens de la modération.
Le vieux record de participation à une élection
présidentielle, en 1960 avec 63%, a été pulvérisé de prés de
quinze points. Les groupes minoritaires ont retrouvé un soir
durant leur dignité, les 18-25 ans ont abandonné leurs consoles
vidéo et leur cynisme anti-establishment, les femmes jadis
conquises à Hillary, et les blancs de la classe moyenne qui
avaient fraîchement accueilli la candidature d’un noir au nom
imprononçable ont pourtant choisi à plus de 40% cet Obama qui,
il y a un an à peine, ne payait pas de mine.
Victoire écrasante, servie par un peuple qui dès
lors assume sa révolution permanente. En huit années on sera
passé d’une élection volée par un candidat dont la personne
entière fut tournée vers l’incompétence, à un homme dont la
présomption politique aura été d’être à l’heure au rendez-vous
du siècle.
L’intrigue de l’histoire de cette campagne a
suffi à faire de millions d’Américains humiliés, appauvris, de
nouvelles légions sous l’autorité, celle qui ne somme pas mais
guide, d’Obama qui, de New York à la Californie, a trouvé des
défaites nationales, pour aujourd’hui offrir la victoire
historique. Le courage n’a rien à voir. Il fallait le faire
c’est tout. Bien sûr, une fois à la Maison Blanche, le 20
janvier, Obama trouvera peut-être incongru, voire exagéré, qu’on
attende de lui des miracles. Il saura enfin si son monde, le
nôtre, fut celui d’une réflexion ou d’un rêve. Face aux défis
astronomiques l’engagement va avoir une autre résonnance que
celle où on y entend les promesses de campagnes.
Obama ce n’est plus tout à fait la politique :
c’est l’ambition. Une ambition qui fait de tout un chacun le
sujet. Les républicains, eux, se sont crus rationalistes, alors
qu’ils n’étaient mêmes plus réalistes. Tout leur aura échappé la
guerre, le marché, finalement la cause nationale. Obama
travaillera de concert avec un Congrès dévoué à sa cause, grâce
à la confortable majorité démocrate.
Un jour viendra où de ce pouvoir hypnotique,
puisque sans opposition, naîtra une inquiétude. Si le bonheur
aujourd’hui continue de fabriquer Obama, il faudra que ce que le
message que nous lui avons confié devienne intelligible,
c’est-à-dire que la foi se transpose en talent. Pour de vrai,
pour une fois.
Vue sur un écran de télévision une vieille dame
noire. Elle ne pleure pas. Elle reparle de sa petite enfance où
elle devait s’asseoir à l’arrière du bus. Les médias reprennent
en choeur le nom de l’émotion, comme si un peu de non-dit
raciste avait été vaincu. Oui, nous revenons de loin et nous
n’allons pas ménagé nos sentiments. La vieille dame semble dire
qu’hier elle était de nulle part. Aujourd’hui, cet aujourd’hui
qui en vaut des milliers, nous l’offrons au monde en provision
de sagesse et d’espoir.
Farid Laroussi est professeur
de littérature française contemporaine et de littérature du
Maghreb d’expression française, à l’université Yale (New Haven,
Connecticut)
Publié le 5 novembre 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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