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Opinion
Ces jeunes qui
changent la face du monde
Fadwa Nassar
Photo: L'Humanité
Jeudi 3 février 2011
En une dizaine de jours, ces jeunes Egyptiens qui s’étaient
rassemblés, le 25 janvier dernier, sur la place Tahrir au Caire,
en Egypte, ont réussi à bouleverser la situation dans le monde.
Ce rassemblement a vite fait de s’amplifier et de s’étendre dans
tout le pays, du sud au nord et de l’est à l’ouest, au point de
rassembler, mardi dernier, près de 8 millions d’Egyptiens, dont
4 millions pour le Caire et Alexandrie. Jamais révolution
populaire n’a été si générale, d’autant plus qu’elle n’était ni
préparée, ni dirigée par un parti ou une opposition. C’est le
peuple, dans tout le sens du terme, qui a rejoint ces jeunes et
qui a repris ses mots d’ordre, qui sont les siens: « le peuple
veut la chute du régime », « le peuple veut la chute de Moubarak
», « Moubarak, dehors ! ».
Pendant dix jours, ces jeunes, qui sont prêts à se sacrifier
pour le salut de leur peuple et leur pays, l’Egypte arabe,
l’Egypte « la mère du monde », ont montré au monde entier leur
haut degré de responsabilité et leur attitude hautement
civilisée : deux millions de personnes dans le centre du Caire,
sans aucune bousculade, avec des enfants et des vieillards, des
hommes et femmes de tous les âges, de tous les courants
politiques, de toutes religions. C’est autour de ces jeunes,
constitués au fur et à mesure en « comités populaires » que
l’opposition politique s’est rassemblée, avec ses différentes
composantes, l’opposition classique qui avait déjà exercé le
pouvoir à différents moments, et la nouvelle opposition des dix
dernières années, beaucoup plus radicale que la première. Dans
tous les cas, c’est le peuple dans toutes ses composantes qui
réclame une seule chose, en premier lieu: la chute du président
Moubarak, devenu symbole d’un régime corrompu et assassin.
D’ailleurs, le prochain rendez-vous du rassemblement populaire
est le vendredi prochain, nommé « le jour du départ ».
C’est ce peuple que Moubarak a décidé d’affronter et de briser.
Son discours du mardi soir n’a témoigné que de son mépris et de
son dédain envers le peuple égyptien. Il a pensé l’endormir par
des promesses vaines, parlant de réforme, se targuant de
patriotisme et de fidélité envers le pays, lui qui livre le gaz
égyptien aux sionistes et détruit toutes les potentialités du
pays. Il a finalement menacé le peuple, avant de donner libre
cours à sa racaille : « ou moi, ou l’anarchie », a-t-il scandé.
Pas moins d’une heure après, les premiers éléments de ses «
baltajiya » (racaille) faisaient irruption et agressaient les
manifestants à Alexandrie. Mercredi 2 février, c’est l’attaque
contre le rassemblement de la place Tahrir au Caire. Les sources
parlent de 750 à 2000 blessés parmi les manifestants, rien qu’au
Caire, et quelques martyrs. Les agresseurs, certains montés sur
des montures, ont utilisé les cocktails molotov, les gourdins,
les armes à feu. Selon différentes sources, ces agresseurs
feraient partie des forces sécuritaires ou bien ont été formés
par des hommes proches du pouvoir, des amis de Moubarak, ou
bien encore des milices formées par le ministère de l’intérieur.
Ces agressions, qui s’ajoutent au discours de Moubarak, ont
sonné le glas du régime. Non seulement les rassemblements se
poursuivront, mais le peuple protègera sa révolution et les
jeunes radicaliseront leurs revendications. D’ailleurs, contre
les agressions qui se préparent, les jeunes se préparent à la
riposte. Contre les balbutiements du régime et de ses hommes,
les jeunes réclament à présent, non seulement la chute de
Moubarak, mais son jugement et le jugement de ses amis et
collaborateurs. Les jeunes avaient voulu une chute du régime
sans violence, dans une scène digne de millions de citoyens
réclamant, sous les regards de l’armée, la chute du régime et de
son symbole. Mais le régime a répondu par la tuerie. Cela n’a
fait que radicaliser le mouvement : les jeunes appellent à la
mobilisation générale et leur appel est déjà entendu par des
milliers qui se dirigent à nouveau vers la place Tahrir.
Contrairement aux vœux des Etats-Unis et des capitales
occidentales, la chute du régime ne sera pas telle qu’ils
l’avaient voulue, un remplacement d’un homme « narcissique » (le
terme est de Azmi Bechara) par un autre, toujours lié aux
intérêts occidentaux mais plus « présentable ». Il est vrai qu’Obama
et les responsables de la Maison-Blanche, ainsi que les
responsables européens, essayent de ménager les uns et les
autres, le peuple en soulèvement et le régime à la fois,
reprenant les revendications de liberté et de démocratie des uns
tout en affirmant leur volonté de maintenir le régime, sans le
président cependant. Le président américain a lâché Moubarak, et
dans le monde, les voix s’élèvent pour lui demander de laisser
la place à un autre. S’ils sont si pressés, c’est parce qu’ils
craignent la radicalisation de la révolution populaire. Ils
veulent remplacer Moubarak qui a perdu toute crédibilité mais
l’entêtement de ce dernier à vouloir se maintenir au pouvoir,
même pour six mois encore, les a plongés dans l’embarras le plus
grand.
La révolution populaire dirigée par ces jeunes, dans le pays le
plus peuplé du monde arabe, est en train de changer la face du
monde, non seulement le monde arabe ou musulman, mais cette
révolution aura également ses répercussions en Europe et aux
Etats-Unis, surtout parce que c’est l’avenir de la présence de
l’Etat sioniste, protecteur des intérêts impérialistes dans le
monde arabe, qui est de nouveau mise en question. Même si
certains analystes jugent qu’il était trop tôt pour que le
nouveau régime égyptien rompe les accords de Camp David de 1978
ou rompe ses engagements internationaux, comme ils les
appellent, politiques, militaires ou économiques, le nouveau
régime qui pourrait se mettre en place, selon certains,
modifierait progressivement ses engagements, pour que les
intérêts du peuple égyptien soient pris en compte dorénavant
selon une nouvelle équation, celle des « intérêts mutuels ».
Rien que cette équation fait trembler les sionistes ! Avec la
chute du régime égyptien, ils perdent un des plus importants
alliés, d’autant plus qu’il s’agissait d’un régime arabe. Selon
certains analystes, le nouveau régime égyptien pourrait avoir
les mêmes relations que la Turquie avec l’Etat sioniste : lié
par des accords militaires, il tiendra cependant une distance
assez froide envers les dirigeants sionistes et n’hésitera pas à
prendre des mesures « inamicales » si nécessaire, en attendant
le cours des événements. Le nouveau régime ne serait plus le
pion américain dans le monde arabe : que ce soit en Palestine,
au Liban ou dans la région, les alliés ne seraient plus les
mêmes.
Ce mouvement populaire déclenché par ces jeunes égyptiens n’a
pas fini encore de dire son dernier mot. C’est d’abord la chute
de Moubarak, attendue par le monde entier, mais ensuite, c’est
la chute du régime et de ceux que les puissances occidentales
veulent installer, pour maintenir leurs intérêts dans la région.
La conscience politique élevée de ces jeunes, telle qu’elle est
apparue tout au long de ces jours de rassemblement, pourra
probablement aller au-delà des prévisions des analystes. C’est
en tout cas ce qu’espèrent les peuples arabes et notamment le
peuple palestinien.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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