Opinion
Ma réponse à Théo
Klein
Esther Benbassa
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Jeudi 25 février 2010
J'ai demandé au CRIF la publication de ma réponse sur son
site web ainsi que sa diffusion auprès des abonnés de sa
newsletter. Le CRIF vient de me signifier son refus. Cette
attitude ne fait hélas que confirmer mon diagnostic.
Esther Benbassa
La lettre de Théo Klein (19 février), telle que
publiée sur le site du CRIF
Chère Esther Benbassa,
J’ai pris connaissance avec étonnement et regret des termes
sulfureux de votre article sur le CRIF publié dans
Libération, plus exactement sur son dîner annuel, dont
d’ailleurs j’ai été l’initiateur en 1985.
Le déferlement de qualificatifs dérisoires et méprisants
dont vous souhaitez balayer le dîner, l’institution et ses
dirigeants n’apporte cependant – en dehors de la
manifestation de votre colère et de votre mépris – aucune
contribution, pas la moindre suggestion : votre balayage,
vous le souhaitez total et définitif.
Vous parlez de communautarisme à ce groupe humain auquel
vous avez longtemps appartenu et appartenez peut-être
encore, dans la méconnaissance de l’esprit de la kehilah qui
marque ce groupe sans doute depuis la Babylonie et
certainement depuis la fin du deuxième Temple et de toute
autorité juive sur la terre ancestrale.
Il y a bien longtemps que je déplore certains propos dans
des discours de présidents du CRIF et que, d’ailleurs, je
leur fais part de mes critiques.
Je n’assiste que rarement au dîner lui-même en manifestant
cependant par ma présence au moment des discours de la
permanence au sein de l’institution de femmes et d’hommes
ouverts à d’autres idées que celles qui sont exprimées
publiquement.
Nos juifs sont tels qu’ils sont et le problème est de savoir
si nous restons avec eux pour les aider à sortir du ghetto
dans lequel ils s’enferment au moindre vent mauvais ou si
nous les abandonnons mais alors pour aller où ?
J’ai été inquiet et triste en vous lisant, car dans la voie
où vous vous êtes lancée avec votre ardeur habituelle, vous
risquez de vous retrouver bien seule et de ne plus être
celle que vous étiez.
Bien cordialement vôtre.
Théo Klein
Ma réponse à Théo Klein (21 février)
Cher Théo Klein,
Dès réception de votre lettre, le 19 février, je vous ai
appelé au téléphone pour, au nom de l’amitié et de l’estime
que je vous porte, débattre directement avec vous. Ce que
nous avons fait en toute cordialité. Vous m’avez annoncé que
votre lettre serait publiée sur le site du CRIF. Maintenant
qu’elle l’est, je me permets à mon tour de vous répondre
publiquement.
Il me semble que vous avez focalisé votre attention sur le
dîner dont vous avez été l’initiateur. Dois-je pourtant vous
rappeler que lorsque vous étiez vous-même président du CRIF,
ce dîner, porte ouverte aux échanges, avait une autre
tonalité ?
De fait, le CRIF d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir
avec le CRIF d’alors.
C’est un CRIF de repli, un CRIF dont les actes et les
discours portent préjudice aux Juifs plutôt qu’ils ne les
protègent, en entretenant le mythe d’une puissance juive
omniprésente.
La droitisation de cet organisme est un fait patent.
L’entrée de M. Gilles-William Goldnadel au sein de son
comité directeur n’est pas due hasard. Je vous renvoie aux
déclarations faites à ce sujet à la presse par M. Serge
Hajdenberg, lui aussi ancien président du CRIF.
Dans ma tribune, c’est tout cela que je déplorais. Et si je
l’ai écrit, c’est parce que je constate chaque jour un peu
plus l’hostilité antijuive – certes blâmable – que le CRIF
contribue à sa façon à nourrir, et ce plus encore depuis
l’offensive israélienne contre Gaza et les déclarations
faites alors par M. Richard Prasquier.
Dans votre missive, vous m’écrivez qu’il faut vivre avec les
Juifs tels qu’ils sont. Je vous rappelle que, depuis
1790-1791, les Juifs français sont émancipés légalement et
que rester membre de la « communauté » est désormais affaire
de choix individuel. J’assume pour ma part pleinement ma
judéité. C’est précisément pour cette raison que je critique
le CRIF tel qu’il est.
Je m’octroie en outre le luxe de décider de vivre avec des
Juifs qui sont pour l’existence d’Israël, mais sont aussi
capables de le critiquer quand il le faut et ne rechignent
pas à défendre la cause des Palestiniens. Bref, avec des
Juifs dignes de l’humanisme et de l’universalisme auxquels,
autrefois, on les identifiait. Le nombre ne fait pas la
qualité, et si « isolée » je devais être, je préfère l’être
avec ceux que j’ai choisis.
Je crois aux vertus du débat public, y compris s’agissant
des questions « communautaires ». C’est précisément là ce
que le CRIF rejette, ainsi qu’il l’a encore démontré en
refusant à France Info, le 17 février, d’envoyer un de ses
membres dialoguer publiquement avec moi sur les ondes, et en
optant pour ce que j’appellerai la « guerre entre Juifs »,
comme dans le ghetto d’antan.
Vous me demandez quelle suggestion je puis faire.
Profitons de l’exemple nord-américain et de la naissance du
mouvement J-Street qui, se distinguant des institutions
juives existantes, cherche à promouvoir, concernant Israël,
un autre discours juif, aussi bien auprès du Congrès que
dans le pays.
Exigeons du CRIF qu’il devienne effectivement représentatif
des Juifs de France, dans toute leur diversité, qu’il donne
droit de cité en son sein à toutes les nuances de l’opinion
juive (telles Une autre voix juive, l’Union juive française
pour la paix, etc.), qu’il cesse de frapper d’illégitimité
de principe telle ou telle d’entre elles, et de taxer de
haine de soi ou de trahison les Juifs critiques de la
politique israélienne.
C’est en rompant avec sa politique endogamique actuelle que
le CRIF aura quelque chance de faire entendre une voix juive
équilibrée et donc crédible.
Avec toute mon amitié.
Esther Benbassa
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