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Bitterlemons
Le dilemme d'Israël
Elias Samo
*
in Bitterlemons, 21 août 2008, 33ème année, volume 6
http://www.bitterlemons-international.org/inside.php?id=986#
Les Israéliens voudraient faire la paix avec les Palestiniens.
C’est, tout du moins, ce qu’ils disent. Mais ils sont confrontés
au dilemme que représente un peuple (palestinien) divisé, dont
une (large) moitié refuse l’existence d’Israël, et dont ni l’un
ni l’autre des deux camps qui le composent n’a de leader assez
fort pour prendre les décisions douloureuses. Ce dilemme
israélien nous rappelle l’histoire de cet enfant ayant assassiné
ses parents et qui plaide la clémence du juge, au motif qu’il
est désormais orphelin…
Cela soulève deux questions fondamentales.
La première : si nous faisons la comparaison entre la division
des Palestiniens et leur manque d’un leader fort – ce qui, à en
croire Israël, serait la raison de l’enlisement du processus
(dit) de paix – avec la division des Israéliens et avec la
(piètre) situation actuelle de leur élite politique, il n’y a
pas photo : ce sont les Israéliens les pires. Tout au moins, le
leadership palestinien, en dépit de toutes ses difficultés et de
tous ses handicaps, a été capable de respecter le plus gros de
ce à quoi il s’était engagé dans les accords passés. En
revanche, les Israéliens ont poursuivi dans leur intransigeance,
avec un mépris absolu pour la dignité des Palestiniens, sans
geler la moindre colonie, ni a fortiori, sans en démanteler
aucune – bien au contraire, puisqu’il en a construit de
nouvelles – tout en maintenant des checkpoints déshumanisants et
ne prenant aucune mesure sérieuse en matière de libération de
prisonniers.
Pas étonnant que Gaza soit devenu le Hamastan. En réalité, si la
politique israélienne actuelle est perpétuée, le Hamas ne fera
que se renforcer ; il semble que, seul, un miracle pourrait
empêcher la Cisjordanie de devenir, elle aussi, un Hamastan-bis.
Quant à la seconde question : les Palestiniens sont divisés et
n’ont pas de leadership, mais il fut un temps où ils n’étaient
point aussi divisés, où il n’y avait pas de Hamastan et où il
existait un leader palestinien charismatique, qui symbolisait et
représentait les Palestiniens, et parlait avec autorité en leur
nom. Il voulait transiger, il était même impatient de le faire.
Mais que firent les Israéliens ? Ils l’ont émasculé, ils l’ont
mis au coin et, en fin de compte, pensent d’aucuns, ils l’ont
‘neutralisé’. Les Israéliens ont pratiqué le vieux truc colonial
du diviser pour régner, et cela leur est revenu en pleine poire.
La politique israélienne qui a amené (au pouvoir) le Hamas est
la même qui a généré le dilemme du Hezbollah, une élite
militaire très sûre d’elle-même qui, en été 2006, a su s’opposer
à la légendaire machine de guerre israélienne. Les Israéliens
poussent les hauts-cris parce que le Hezbollah est en train de
renforcer sa capacité militaire, aidé en cela par la Syrie et
l’Iran. L’amélioration de sa capacité militaire par Israël, ça,
c’est cachère. Mais quand c’est le Hezbollah qui le fait, alors,
là : c’est sacrilège ! Si ça n’est pas du
deux-poids/deux-mesures, alors, dites-moi, s’il-vous-plaît, ce
que c’est ?!? Israël et le Hezbollah sont deux entités
militaires qui s’affrontent mutuellement ; ils ont un droit
strictement égal à améliorer leur capacité opérationnelle. Comme
le disent les Américains : ‘ce qui est bon pour l’oie, c’est bon
aussi pour le jars’.
Et la Syrie, dans tout ça ? Eh bien, la Syrie, elle reste
imperturbable, et elle regarde Israël se tordre sous la tempête…
Les dilemmes d’Israël n’est que bénédictions pour la Syrie, car
ces dilemmes – associés aux relations spéciales que la Syrie
entretient tant avec le Hamas (dont le leadership réside à
Damas) qu’avec le Hezbollah – lui confèrent un rôle majeur –
presque un droit de veto – dans le conflit arabo-israélien, qui
lui garantit que le Golan fait bien partie du deal et reste bien
sur le feu de devant de la gazinière, nullement marginalisé, ni
nullement congelé à jamais.
Décidément, ces Israéliens sont gonflés ! Ils ont contribué à
créer ces dilemmes, et ils ont pavé la voie devant leur
proéminence et leur succès, et les voilà qui, aujourd’hui,
demandent à la Syrie – que dis-je, demandent : supplient – de
les contrôler et de les réduire. Les Israéliens et les
Américains n’ont donc aucune pudeur ?!? Ils se sont acharnés à
isoler et à marginaliser la Syrie, la contraignant à développer
des liens toujours plus étroits avec l’Iran, et les voilà qui
demandent à la Syrie – que dis-je : qui supplient la Syrie – de
rompre ses relations avec Téhéran…
Ces dernières années, les Américains, et les Israéliens,
voyaient dans la Syrie un pays diabolique, semeur de trouble.
Pourquoi ne pas lui accorder le bénéfice du doute, pourquoi ne
pas voir en elle un partenaire de paix constructif, pourquoi ne
pas l’impliquer dans un processus de paix digne de ce nom ?
C’est particulièrement urgent, dès lors que la croisade
américaine pour la démocratie et les droits de l’homme a échoué
et cessé, ce qui élimine un point de friction majeur. Une telle
initiative ne pourrait qu’avoir un impact positif sur la
résolution des dilemmes dans lesquels se débat Israël.
Mais les Israéliens ne font nullement montre d’une telle
volonté. Dans la récente initiative de paix avec les Syriens, et
en dépit de leurs dilemmes et de leurs empêchements internes et
extérieurs, les Israéliens ont, au contraire, fait monter leurs
exigences – le Hamas, le Hezbollah et l’Iran – et ils ont réduit
leurs offres (d’aucuns diraient même qu’ils ont renié des
accords et des ententes passés). Si ce n’est pas là de
l’obstructionnisme, c’est, à tout le moins, de la
temporalisation, comme si les Israéliens pouvaient s’offrir le
luxe de continuer à perdre du temps. C’est très loin d’être le
cas.
La guerre de juin 1967 avait démontré qu’Israël était un géant
parmi des nains. Cependant, l’arrogance israélienne, et la
mauvaise gestion israélienne de cette victoire décisive – Sharm
el-Sheikh n’aurait jamais dû être déclaré plus important que la
paix avec les Arabes – associées à la division et à
l’incertitude arabes n’ont jamais donné à la paix sa moindre
chance. Eussent les Israéliens saisi les nombreuses opportunités
de faire la paix, et ces opportunités ont été réelles, il n’y
aurait eu aucune raison qu’émergeassent le Hamas, le Hezbollah,
et peut-être même l’Islam politique. Ou, au minimum, ce
processus aurait été retardé. Même un Iran nucléaire, dans les
conditions d’une paix arabo-israélienne, ne serait pas (comme
actuellement) « plus royaliste que le roi ».
Avec le temps, le géant (israélien) a commencé à se ratatiner,
et certains des nains (arabes) ont donné naissance à de petits
géants, en train de croître quantitativement et qualitativement,
et qui viennent hanter Israël.
Les Israéliens ont créé leurs propres croquemitaines et ils
devront vivre, ou disparaître, en même temps qu’eux.
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
[* Elias Samo est professeur de relations
internationales dans diverses universités syriennes et
américaines].
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