Opinion
Kerry-Lavrov-Rohani,
subtilités diplomatiques sur le dossier
syrien
Dmitri Kossyrev
© RIA
Novosti. Andrei Stenin
Jeudi 26 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Tout d'abord apparaît une
notification avec mention "urgent"
envoyée par les services de presse de
l'Onu : une "opportunité photo" de
rencontrer les ministres des Affaires
étrangères russe et américain après leur
entretien en marge de l'Assemblée
générale.
L'opportunité photo signifie :
prendre des photos et partir sans poser
de questions. Les résultats de
l'entretien ne sont pas divulgués. Mais
ils s'inscrivent dans le cadre général.
Ce cadre n'est pas seulement "syrien",
il est bien plus large, et l'Iran y
apparaît de manière la plus sérieuse.
Quant à la rencontre, Kerry-Lavrov ont
tout de même dit quelques mots à son
issue.
Le travail
avance
Si après une rencontre les diplomates
s'étendent longuement sur leurs
différends, alors les choses vont mal.
Lorsqu'ils se quittent en silence et
très mystérieux, alors ils ont réussi à
s'entendre sur quelque chose. Et les
observateurs commencent à décrypter les
accords convenus. Alors quelles
accroches avons-nous ?
En ce qui concerne la Syrie, les USA
et la Russie continueront à avancer
conformément à l'accord Kerry-Lavrov
convenu à Genève les 12-14 septembre, a
très brièvement déclaré aux journalistes
russes Lavrov. Cela signifie que d'abord
l'Organisation pour l'interdiction des
armes chimiques adopte son document,
puis le Conseil de sécurité des Nations
unies adopte une résolution et ensuite
démarre la procédure de destruction des
armes chimiques (toutes les AC en Syrie,
sans oublier l'opposition).
Question d'un journaliste: est-ce que
les USA insistent toujours sur une
résolution "sévère" du CS ?
Réponse de Lavrov: j'ai déjà dit
qu'on avançait conformément à l'accord
de Genève.
(Qui ne prévoit aucune action
militaire automatique sans l'autorisant
du CS.)
Dans ce cadre s'inscrit également un
autre mouvement brownien à l'Onu, par
exemple, la rencontre de Lavrov avec
l'émissaire de l'Onu pour la Syrie
Lakhdar Brahimi, qui ont évoqué la
conférence à venir à Genève appelée à
mettre fin à la guerre civile et établir
un nouveau gouvernement en Syrie.
Du côté américain on présente la
situation de manière suivante : Kerry et
Lavrov ne se sont pas entendus sur le
texte de la résolution du CS, mais ils
continuent à travailler sur le règlement
dans l'ensemble. Y compris sur le texte
de la résolution. Il est à noter que ce
travail avance à plein régime. On verra
plus tard la philologie.
Evidemment, les USA sont conscients
qu'il n'y aura aucune formulation dans
la résolution à l'instar de celles qui
ont permis d'attaquer la Libye. Moscou
et Pékin l'empêcheront. Mais une
résolution est nécessaire. Ce qui nous
amène à une conclusion très simple : les
Etats-Unis ont autant besoin que la
Russie (si ce n'est plus) que le conflit
syrien cesse. Mais ils ont leurs propres
"lignes rouges".
Revoyons le discours d'hier de Barack
Obama à l'Onu – sa position syrienne y
était clairement définie. Il faut une
"résolution forte", en effet, mais
laquelle – cela reste à convenir. Le
président a également dit que les
actions militaires ne réglaient pas les
choses, l'Amérique et les autres ne
peuvent pas décider qui dirigera la
Syrie, mais… Bachar al-Assad doit
partir. Obama est très déterminé à ce
sujet.
En regardant l'évolution de la
position américaine concernant la Syrie,
qui a commencé par le soutien
inconditionnel de son "opposition" –
sans préciser de quelle opposition il
s'agit concrètement – on constate que le
départ d'Assad est le dernier bastion
d'Obama. Sans cela il perdrait la face.
Alors que la Russie ne cherche pas du
tout dans cette histoire à anéantir
moralement l'Amérique et à faire perdre
la face à son président. Les deux pays
doivent élaborer un mécanisme de travail
commun même en présence de différends,
voici ce qui est plus important que tout
le reste.
En ce qui concerne Assad, l'accord de
Genève Kerry-Lavrov explique qu'il faut
empêcher l'effondrement instantané du
gouvernement syrien. Et une transition
progressive du pouvoir – tout reste
possible.
La couleur de
la barbe a de l'importance
Le fond de toute cette diplomatie de
l'Onu autour de la Syrie est que le
conflit est bien plus large, il concerne
de nombreux Etats. En fait, la Russie et
les Etats-Unis cherchent ensemble à
empêcher une grande guerre dans tout le
Moyen-Orient, et ses principaux
figurants sont l'Arabie saoudite avec le
Qatar, la Turquie et l'Iran.
En fait, c'est précisément le
problème de Moscou et de Washington –
les événements ont évolué sans influence
directe et décisive aussi bien de l'un
que de l'autre. Or c'est nécessaire afin
de reprendre les rênes de cette
charrette qui mène droit vers une
guerre. Et il serait peut-être plus
pratique de le faire ensemble que chacun
de son côté.
Dans ce sens, les événements les plus
marquants à l'ouverture de la session de
l'AG de l'Onu ne se produisent pas
autour de Lavrov ou de Kerry. Il ne faut
pas oublier un autre personnage
mystérieux – le président iranien Hassan
Rohani. On a l'impression que toute la
presse qui suit la diplomatie
internationale ne parle que de lui.
L'ancien président Ahmadinejad avait
une barbe noire et était très méchant et
faisait des tacles aux Américains. Alors
que Rohani a une barbe blanche, il est
gentil et s'exprime très calmement. Il a
également publié un article récemment
dans le Washington Post… Et il rencontre
beaucoup de gens à l'Onu, après tout
c'est intéressant pour tout le monde. Un
pays isolé ? Ce n'est certainement pas
l'Iran.
Le milieu d'experts américains a
explosé à la veille de son arrivée – il
s'avère que beaucoup d'Américains
souhaiteraient voir cesser cette
situation anormale où les Etats ne
communiquent pas depuis 1979. L'intitulé
le plus typique est "Donnez une chance à
l'Iran".
Rohani a prononcé son discours à la
tribune de l'Onu pratiquement en même
temps que Lavrov et Kerry discutaient à
côté. La délégation israélienne a, à son
habitude, boycotté l'événement, et c'est
dommage. Rohani a appelé à la paix,
contrairement à son prédécesseur il a
reconnu l'holocauste… C'est tout pour
l'instant.
Sans oublier l'épisode lorsque
quelqu'un de l'entourage d'Obama a eu
l'idée d'organiser une rencontre entre
les deux présidents. Une poignée de
mains et quelques mots. Ce serait un
événement historique – première fois
depuis 1979. Mais les collaborateurs de
Rohani ont poliment refusé cette
invitation : c'est encore trop tôt.
Mais il ne sera pas trop tôt lorsqu'à
ce même endroit, à l'Onu, se tiendra
cette semaine la réunion des six
médiateurs (les cinq membres permanents
du CS et l'Allemagne) depuis longtemps
en négociations avec Téhéran concernant
ses programmes nucléaires. C'est alors
que tout le monde verra si l'Iran est
vraiment prêt à dialoguer à ce sujet, et
cela aura une certaine relation avec la
participation de l'Iran au règlement de
la crise syrienne. Car il est clair
qu'on ne pourrait se passer de l'Iran,
ni de l'Arabie saoudite, d'ailleurs.
Après tout, ce sont les véritables
parties du conflit, et non les Syriens.
La diplomatie saoudienne reste
silencieuse dans cette histoire, et
celle d'Israël est, au contraire, très
retentissante, les deux pays ne sont pas
satisfaits par la situation. Mais Obama
a déjà insinué qu'il pourrait lever les
objections contre la participation de
l'Iran à la conférence de Genève sur
l'avenir de la Syrie. Or c'est un grand
changement pour l'Amérique. Cela
pourrait signifier qu'il existe une
chance non seulement pour des accords
sur la Syrie à terme, mais aussi pour
une nouvelle politique mondiale dans
tout le Moyen-Orient et pas seulement.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 27 septembre 2013
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