Opinion
Avez-vous les
moyens de bombarder le dictateur libyen
?
Dmitri Kossyrev
Photo:
RIA Novosti - © AFP/ Mahmad Turkia
Jeudi 23 juin
2011
Dans le contexte du grand combat
budgétaire livré au sein du Congrès
américain, la bataille autour de
"l’argent pour la Libye" paraît
insignifiante. La situation est la
suivante: deux groupes de législateurs
s'opposent. Le Sénat propose une
résolution pour soutenir la
participation américaine aux actions
militaires, et la Chambre des
représentants pourrait cette semaine en
bloquer le financement. Si cela
arrivait, de nombreuses autres questions
financières seraient soulevées: qui
dirigera l’opération contre le colonel
Kadhafi qui refuse de partir? Or, s'il
ne se trouve personne pour poursuivre
ladite opération, qui va dédommager les
Libyens pour le préjudice qui leur a été
causé?
Les républicains apprécient
également les économies
L’histoire a commencé
approximativement comme ceci: le
président de la Chambre des
représentants, le républicain John
Boehner, a déclaré vendredi dernier que
le président Barack Obama n’avait pas
apporté de réponse satisfaisante aux
demandes des législateurs concernant la
"mission libyenne de l’OTAN", son
intérêt et son objectif (on abordera
plus en détails les questions et les
réponses plus tard). Pour cette raison,
cette semaine le Congrès pourrait
commencer la procédure d'arrêt du
financement.
Parmi les cris de colère, citons la
lettre de 37 membres très conservateurs
de l’Institut de politique étrangère
(dont les "faucons" de George W. Bush:
Paul Wolfowitz et Liz Cheney). Dans leur
lettre ils fustigent les congressistes
de vouloir rejeter leur responsabilité
d’alliés et de leaders de l’Alliance
occidentale, etc.
Les compagnons d'idées des signataires,
qui siègent actuellement au Sénat, ont
réagit à leur tour avec fermeté et
soumis mardi à l’examen des législateurs
la résolution qui autorise le président
à utiliser la force en Libye pendant un
an (à l'exception des opérations
terrestres).
A noter qu’on assiste certainement à un
bras de fer au sein du camp des
conservateurs. Car normalement les
républicains montrent plus de fermeté
que les démocrates dans leur refus de
donner de l’argent à Obama. Les
républicains torpillent au Congrès tous
les programmes, car cela plaît aux
électeurs et que cela crée des problèmes
au démocrate Obama à un an de l’élection
présidentielle. Et la Libye? La Libye
pourrait également être concernée.
Rappelons (en parlant de la grande
bataille budgétaire) que théoriquement,
dans six semaines, le gouvernement
américain risque de se voir obligé de
partir en vacances. Parce qu’il est en
faillite et ne peut plus emprunter de
l’argent pour ses activités: la loi
stipule que la dette publique doit
plafonner à 14,3 mille milliards de
dollars, et cette limite est atteinte.
Si le Congrès la relevait, il serait
possible de continuer à vivre, à crédit,
évidemment. Or, si le Congrès augmente
cette limite (il n’a pas le choix), il
exigera une contrepartie.
Les républicains et les démocrates
proposent actuellement à qui mieux-mieux
des programmes de rigueur budgétaire:
les uns disent qu’il faut économiser
2.000 milliards, et les autres disent
qu’il serait préférable d’en économiser
4. Et il n’y existe aucune différence
entre les deux partis: tous veulent
réduire les dépenses. Ainsi les guerres
sont-elles devenues moins populaires.
A la guerre et en amour…
A la guerre comme en amour, tous les
moyens sont bons, mais la question est
de savoir ce que l'on doit considérer
comme l’amour et comme la guerre. Barack
Obama a sérieusement irrité les
congressistes qui voulaient une réponse
aux questions suivantes: pourquoi les
opérations militaires américaines en
Libye ont-elles commencé sans l’aval du
Congrès (comme le stipule la
constitution), et quel est le but de ces
opérations. Obama n’a rien trouvé
d’autre à dire que "ce n’est pas une
guerre."
Il y a eu un cas similaire avec son
confrère démocrate Bill Clinton qui, à
la question: "avez-vous eu une relation
sexuelle avec Monica Lewinsky?", a
répondu "non" sous serment. Puis il a
expliqué qu’il ne considérait pas les
bagatelles telles que les jeux oraux
comme un véritable rapport sexuel.
On comprend donc la réponse de John
Boehner à Obama qui a déclaré qu’au
Congrès de telles plaisanteries du
président ne passeraient pas. Les
bombardements en Libye par des drones,
la fourniture aux forces de l’OTAN
d'informations et d'un soutien
logistique sont un acte de guerre. En
fait, la sanction du Congrès est
nécessaire seulement si l’opération
militaire dure plus de 90 jours: or ce
délai est déjà dépassé. Et surtout,
comment peut-on ne pas qualifier cela de
guerre s’il existe des dépenses ad hoc?
Et ces dernières seront réduites par le
Congrès.
Qui pourrait remplacer les
Etats-Unis?
L’administration américaine a
probablement agi intelligemment en
refusant de participer aux opérations
militaires les plus actives, rejetant ce
fardeau sur l'OTAN, plus précisément sur
les alliés européens. Mais leurs
problèmes budgétaires sont similaires à
ceux des Américains. L’Europe va
connaître un été et un automne très
"chauds" avec des grèves et des
manifestations, avant tout dans les pays
endettés: en Grèce, en Espagne, au
Portugal… Et voilà que la Libye vient
s’ajouter à tout cela.
Auparavant, dans de telles situations
les Etats-Unis s’appuyaient sur leur
allié européen le plus proche, la
Grande-Bretagne. Mais voici la
déclaration du commandant en chef de la
Royal Air Force Simon Bryant: si
l’opération libyenne dépassait le cadre
temporel de cet été, la capacité de
l’armée de l’air de réagir aux futures
"situations d’urgence" serait menacée.
Autrement dit, il n’y aura plus d’argent
et de munitions pour une véritable
guerre, si elle éclatait. D’ailleurs, le
commandant de la Royal Navy Mark
Stanhope déclare la même chose au sujet
de la flotte. On a également entendu des
plaintes en provenance de Benghazi,
siège du gouvernement de l’opposition:
le groupe de contact (c’est-à-dire les
Américains et les Européens) soi-disant,
ne donnent pas l’argent promis. De ce
fait, il serait impossible de faire la
guerre et même d’exploiter le pétrole
des territoires contrôlés par Benghazi.
Mais si personne ne veut
dépenser de l’argent pour la guerre,
serait-ce la paix?
Le tableau paraît clair. La solution la
plus simple pour sortir de la situation
actuelle consiste à obliger Benghazi à
accepter tout accord avec le démon
Kadhafi, puisqu’aucun missile n’est
capable de l’atteindre. Ensuite, il faut
qualifier le futur régime en Libye, à
défaut de démocratique, de régime
aspirant à la démocratie. Et si on veut
réellement continuer à faire le bien de
l’humanité, il est possible de
recommencer à bombarder Kadhafi après la
fin de la crise financière.
Mais il existe tout de même un problème,
une nouvelle fois financier. Qui payera
pour les destructions déjà causées à la
Libye, et quel sera le montant à
acquitter? Généralement, dans des cas
semblables, on ne juge pas les
vainqueurs. Mais qui a vaincu dans cette
histoire libyenne insensée?
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
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