Opinion
Moscou ne peut
plus perdre la bataille diplomatique sur
la Syrie
Dmitri Kossyrev
© RIA
Novosti. Andrei Stenin
Vendredi 13 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
L'article de Vladimir Poutine publié
hier dans le New York Times et la
réponse malveillante d'une "source de
l'administration Obama" font penser à
une chose qui est passée inaperçue dans
le tourbillon des événements autour de
la Syrie. A savoir, comment la
diplomatie de Moscou concernant la Syrie
a réussi à placer la Russie dans une
situation forcément gagnante?
En général tous les commentateurs
pointent du doigt les erreurs commises
sur un dossier - ici comment Obama s'est
retrouvé dans une situation où, quoi
qu’il fasse, tout ira mal.
Peu d’observateurs, par contre,
s'intéressent à l'analyse des succès.
C'est bien dommage car cette démarche
peut être très utile.
La fausse
joie de la Maison blanche
L'article de Poutine déploie des
idées assez habituelles pour le lecteur
russe, mais qui avaient du mal à
parvenir jusqu'aux Américains et même
aux Européens. Aujourd’hui c’est chose
faite.
Et voici ce que répond une "source
anonyme de la Maison blanche" à la
publication du président russe :
"Poutine a fait une proposition et
désormais c'est sa zone de
responsabilité. Il s'est totalement
impliqué dans le désarmement de la Syrie
et… il doit faire ce qu'il a promis".
Rappelons qu'il est question de
l'initiative russe de placer sous
contrôle les armes chimiques syriennes,
en coopération avec les USA et avec
l'accord de la Syrie.
On ne peut en fait pas se réjouir
aussi sincèrement de voir Poutine se
retrouver dans la même situation
qu'Obama. Car cette source a tort sur
toute la ligne : la position de la
Russie est complètement différente. Elle
est, en fait, sans précédent. Quoi que
fasse la Russie sur le plan syrien ou
moyen-oriental, elle ne peut plus
perdre. Bien que dans certaines
situations elle n'ait rien à gagner.
C'est de l’art.
Supposons qu’Obama et quelques uns de
ses amis refusent d'évoquer la Syrie et
continuent de préparer leur attaque qui,
comme ils le savent pertinemment, est
inutile mais pourrait entraîner de
lourdes conséquences. Dans ce cas la
Russie ne perdrait rien. Et en supposant
qu'elle joue "contre" les USA ou les
Européens en cherchant à les affaiblir,
elle serait vraiment gagnante.
Pour le contraste, voici la situation
diplomatique inverse, dans laquelle il
est impossible de gagner. Elle ne
concerne pas Obama, qui avait promis
d'attaquer la Syrie si les autorités
locales utilisaient l'arme chimique, et
qui aurait découvert qu'en réalité ce
n'est pas du tout le gouvernement syrien
qui en avait fait usage. Je fais
allusion à la Russie et Edward Snowden,
qui a passé plus d'un mois dans la zone
de transit de Cheremetievo. Voilà une
situation où il était impossible de
gagner. Le remettre aux Américains ? La
Russie serait devenue la risée du monde
entier, sans parler du fait que cela est
contraire à la législation nationale. Le
laisser entrer en Russie (ce qui s'est
produit) ? Moscou n'en avait pas besoin
et les Américains se voyaient forcés
d'aller au conflit avec le Kremlin.
Une chose est réconfortante.
L’affaire Snowden s'est simplement
produite. Tandis que les bases de la
position gagnante russe sur la Syrie ont
été posées depuis des années. Le succès
vient souvent d'une politique réfléchie
et pas d’actes convulsifs.
Prévoir le
succès à long terme
Il est encore possible de retrouver
aujourd'hui sur internet les
appréciations méprisantes des "experts"
russes disant que Moscou avait mal réagi
au début du Printemps arabe. Ces
"experts" s'indignaient : comment
peut-on s'accrocher au passé, aux
régimes militaires et aux dictateurs
obsolètes ? Bien sûr selon eux, il
fallait immédiatement se reprendre et
commencer à se lier d'amitié avec les
nouvelles forces vives de la région,
même s'il s'agissait des Frères
musulmans. On ne sait jamais, ils
pourraient pardonner ! Nicolas Ier se
comportait de la même manière et luttait
contre toutes les révolutions en Europe
: on sait comment il a fini !
Mais à l'époque de Nicolas les
révolutions n'étaient pas des processus
dirigés, qui plus est par les
technologies actuelles, utilisées pour
faire sortir dans la rue une foule qui
ignore même à qui tout cela profite.
En fait, la Russie n'a pas échoué sur
ce plan. En revanche la situation qui a
débuté en 2010-2011 était bien sans
précédent et les débats, à l’origine,
visaient à comprendre pourquoi les
"occidentalistes" utilisaient leurs
technologies informatiques pour
renverser des régimes amis. Puis on a
découvert que personne n'avait le
monopole de ces technologies, que les
initiateurs n'étaient pas les
"occidentalistes" mais les
"orientalistes" qui avait senti
l'affaiblissement des USA et de
l'Europe.
Et au final certains pays arabes, qui
veulent "remettre les choses au clair"
avec les Iraniens, les Syriens et
d'autres régimes indésirables comme
celui de Kadhafi en Libye, utilisent
l'Occident prétendu tout-puissant comme
une "call girl", pour bombarder telle
cible et s'en aller. Moscou ne s'est pas
retrouvé dans une telle situation et ce
n'est certainement pas une perte.
Il ne faut pas non plus oublier la
Libye : à la veille de l'opération
libyenne au printemps-été 2011 la Russie
avait cédé aux arguments des USA et des
ses alliés en ne bloquant pas la
résolution du Conseil de sécurité des
Nations unies. Ce texte avait ensuite
été utilisé de manière perfide pour
justifier l'opération militaire de
l'Otan, au grand bonheur des
"reconstructeurs arabes du
Moyen-Orient". C'était une défaite
pour la Russie, au moins morale. Mais
elle a servi de leçon.
Voyons aujourd’hui qui la Russie a en
face d’elle. Moscou ne se bat pas au
Moyen-Orient contre les USA ou l'Europe
– c'est désormais clair. Elle se bat
pour le droit international mais aussi
pour que son application corresponde à
la disposition réelle des forces dans le
monde. Elle n'a pas besoin d'aider Obama
à s’embrouiller davantage dans sa
politique au Moyen-Orient.
Imaginez que l'opération américaine
commence en Syrie et qu’il devienne
soudainement impossible d'ignorer que
l'attaque chimique dans la banlieue de
Damas du 21 août a été perpétrée par
l'opposition syrienne… Moscou, avec son
attitude actuelle, sauve en quelque
sorte Obama d'une situation
insupportable. Parce que la Russie n'a
pas besoin de sa défaite. Elle le
préfère sympathique et heureux.
Selon un journaliste du NYT, "Poutine
a soudainement fait de l'ombre à Obama
en tant que leader mondial dictant
l'ordre du jour de la crise syrienne. Il
a réaffirmé les intérêts de la Russie
dans la région, où ils avaient été
marginalisés après l'effondrement de
l'URSS".
Après tout, on ne peut pas être
toujours au service des autres – il faut
bien parfois s'occuper de soi-même. Mais
je le répète, les racines du succès
russe d'aujourd'hui ont été plantées en
2010-2011, lorsque chaque pays a
décidé comment il réagirait au Printemps
arabe.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 13 septembre 2013
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