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Opinion
Israël, une image en
lambeaux
Denis Sieffert
Denis Sieffert
Jeudi 3 juin 2010
Comme un aveu du crime, la censure est tombée lourdement
sur l’information dès l’aube de ce lundi 31 mai. Dix morts ?
Douze ? Puis neuf. Chiffre encore provisoire. Et des
dizaines de blessés. Quarante peut-être. À peine le monde
entier avait-il pris connaissance de l’événement qu’un épais
silence s’abattait, exactement semblable à celui qui avait
isolé Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Silence, on
tue ! Nous savons ce qui est advenu à Gaza. Quand les images
et le son ont été rétablis, par les chaînes arabes d’abord,
on a dénombré mille quatre cents morts, et découvert un
champ de ruines. Il n’est pas inutile de se rappeler que cet
épisode tragique avait déjà suscité indignation,
protestations et demandes d’enquête internationale. Et puis
quoi ? Rien. Le rapport Goldstone a été jeté aux orties.
Israël a été depuis intégré à l’OCDE. La France a demandé
que l’on rehausse le niveau des accords commerciaux entre
l’État hébreu et l’Union européenne. Et voilà qu’un an et
demi après, les commandos de choc de la marine israélienne
ouvrent le feu sur une flottille humanitaire qui
transportait des produits de première nécessité, des maisons
préfabriquées à installer sur les ruines de janvier 2009 et
du matériel médical. Tuent neuf personnes, blessent et
emprisonnent. Bis repetita. Indignation,
protestations et demandes d’enquête.
Émettons ici deux pronostics d’apparences contradictoires :
gageons qu’il ne se passera rien de bien méchant pour Israël du
côté des sanctions, résolutions onusiennes et autres commissions
d’enquête ; mais, parallèlement, l’image de ce pays part en
lambeaux, ses explications alambiquées de l’agresseur agressé ne
sont plus crues, et son capital de sympathie originelle – le
pays refuge après la Shoah – est à peu près dilapidé.
C’est peut-être cette contradiction qui est la plus
explosive, car elle rejaillit sur l’ensemble des relations
internationales. C’est l’opposition entre les peuples et les
grandes puissances occidentales. Certes, les protestations
officielles sont sans doute un peu plus vives cette fois. Il
est vrai que le Hamas n’est pas là pour offrir ne serait-ce
qu’un semblant d’alibi. Empiriquement, peut-être,
sentimentalement, sûrement, ce sont les peuples qui ont
raison. L’analyse juste est plutôt du côté des manifestants
qui sont descendus dans les rues du monde entier tout au
long de la journée de lundi. Parce que ceux-là, qui ne font
pas dans la diplomatie, ni ne sont prisonniers d’un
entrelacs d’intérêts économiques, stratégiques et
politiques, ont intégré une donnée fondamentale que les
chancelleries, et la plupart des commentateurs ne peuvent
exprimer : à savoir qu’Israël (ses dirigeants et une partie
de ses élites) ne veut pas la paix. En tout cas, pas
maintenant. Car Israël n’a pas renoncé à l’annexion de la
Cisjordanie, et il lui faut pour y parvenir du temps,
toujours du temps. D’où un énorme contresens dans les
explications que l’on lit ici ou là, et qui ont en commun
d’analyser, depuis dix ans, les faits et gestes des
dirigeants israéliens comme autant « d’erreurs ». Nos
analystes seraient les seuls à comprendre, et les dirigeants
seraient des sots. C’est d’ailleurs la logique de la
pétition « Appel à la raison », si médiatiquement valorisée
ces jours-ci. Les uns sincères, d’autres moins, y prenaient
en charge les intérêts d’Israël au point de donner des
conseils en communication aux dirigeants de ce pays : « Ne
faites pas cela, ce n’est pas bon pour votre image ! »
Une semaine plus tard, les promoteurs de cette démarche
sont ridiculisés. Parce que leur logique n’est pas celle des
dirigeants israéliens. Pourquoi ceux-ci seraient-ils les
seuls au monde à ne pas comprendre que les bombes sur Gaza
sont impopulaires et qu’elles renforcent le Hamas ? Comme le
blocus et ce sadisme d’État qui consiste à laisser pourrir
les denrées destinées à la population. Et que l’opération de
lundi matin donne une fois de plus raison aux plus radicaux
du côté palestinien tout en décrédibilisant ceux qui sont
engagés dans la négociation. Lundi, au prix de neuf vies
humaines, l’heure de la discussion sur le statut final d’un
État palestinien s’est encore un peu plus éloignée. Et d’ici
là la colonisation se poursuivra. Le reste est littérature
et bons sentiments. Les dirigeants israéliens savent
parfaitement que cette politique tendue vers l’objectif a un
prix. Ils savent qu’ils ont quelques jours difficiles
à passer. Pour que cela passe plus vite et mieux, ils
déploient leurs communicants. Tous excellents. Ce sont, nous
dit-on, les commandos de choc aéroportés, harnachés et armés
jusqu’aux dents qui ont été agressés. Ils étaient en
légitime défense. Les humanitaires étaient en réalité des
« terroristes »…
Chez nous, le porte-parole de l’UMP s’est empressé de
reprendre tout ça. Toute honte bue. Ce qui explique que
Bernard Kouchner n’ait vu dans cette affaire qu’un
« incident regrettable ». On fera surtout grief à
Israël d’avoir lancé son assaut meurtrier dans les eaux
internationales… Quelques milles nautiques plus loin, tout
aurait paru normal. Il y a tout de même dans tout ça quelque
chose de nouveau. La violence extrême,
« disproportionnée » comme disent aimablement les
grandes ambassades, qui a toujours été la méthode d’Israël –
frapper très fort pour terroriser –, vise à présent les
humanitaires internationaux, comme les ONG israéliennes.
C’est qu’Israël se découvre un nouvel ennemi. Les campagnes
internationales de boycott, l’émergence, en Palestine même,
de mouvements non-violents, les diverses missions civiles
inquiètent de plus en plus l’État hébreu. L’armée tire
aujourd’hui sur ces militants. Elle a commencé bien avant ce
maudit lundi 31 mai. Cela, c’est aussi une conséquence de
cette contradiction que l’on notait plus haut entre
l’inertie officielle et la mobilisation des opinions.
Voir
l’édito en vidéo.
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