Un mois plus tôt, les autorités sionistes se préparaient
à fomenter un dossier sécuritaire contre Azmi Bishara, dirigeant
du Rassemblement national démocratique et député à la Knesset,
alors que ce dernier se trouvait en tournée dans certains pays
arabes, invité par des institutions intellectuelles, culturelles
ou politiques. Le dossier sécuritaire fomenté par les services
de renseignements israéliens et approuvé par les autres
institutions sionistes accuse Azmi Bishara, palestinien de 48, de
connivence avec « l’ennemi » (la résistance
libanaise notamment). Avant même de leur fournir une occasion de
l’arrêter et de le juger, Azmi Bishara démissionne de la
Knesset et attend de pouvoir rentrer au pays, la tête haute.
Azmi
Bishara refuse d’être questionné par les services de
renseignements, qui avaient installé des micros et enregistré
toutes ses conversations téléphoniques, depuis des mois voire
des années. Intellectuel, écrivain, politicien, Bishara
n’avait pas l’habitude de cacher ni ses relations arabes, ni
ses idées ou opinions. Il explique son refus d’être interrogé
par des services sécuritaires (interviewé par un journaliste
palestinien, pour le quotidien sioniste, Yediot Aharanot, 10 mai
2007) : « Ils veulent m’imposer leur règle du jeu,
un jeu sécuritaire, mais je refuse ces règles. Je n’accepte
pas d’être un petit accusé entre leurs mains. Je ne m’assirai
pas devant un instructeur qui me questionnera sur mes déclarations
à telle ou telle personne, tel ou tel ami, des déclarations
qu’il faudra expliquer et justifier. Je n’accepte pas de
participer à ce jeu. Je refuse de considérer des amis comme des
agents de l’étranger.. Qui sont-ils pour intervenir ainsi dans
notre vie et dans nos relations avec le monde arabe et ses
journalistes ? »
L’accusation
de connivence avec « l’ennemi » est entièrement
refusée et semble même ridicule, pour Azmi Bishara, ses
compagnons, les Palestiniens et plus généralement les Arabes.
Car, comme Azmi le dit, « ils peuvent accuser quiconque
d’agir pour l’étranger. Mais quelles sont les informations sécuritaires
que je possède ? S’il le fallait vraiment, le Hizbullah
aurait pu me vendre des informations, car il en a plus, sur la sécurité
d’Israël, qu’un simple membre de la Knesset, ordinaire et de
plus, arabe… »
Au-delà
de cette accusation ridicule, c’est tout un climat oppressant
qui s’est développé depuis 2000 contre les Palestiniens de 48,
l’affaire de Azmi Bishara n’en est que la plus récente
expression. Même si médiatiquement, cette affaire est étouffée
au niveau européen et international, elle eut cependant plus d’écho
que des dizaines d’affaires ayant servi à roder les services sécuritaires
sionistes à la poursuite des militants et des personnalités
politiques palestiniennes de l’intérieur.
En
effet, c’est avec l’Intifada al-Aqsa, en 2000, que les
Palestiniens de 48 se manifestent massivement après une période
de « repli », due aux accords d’Oslo, qui les a
considérés comme étant une affaire interne israélienne, alors
que depuis l’occupation de la Palestine en 48, ils ont toujours
été une partie intégrante du peuple palestinien et de ce fait,
partie intégrante de l’OLP et de tous les programmes des
organisations de la lutte palestinienne. Trahis par les accords
d’Oslo, les Palestiniens de 48 ou Palestiniens de l’Intérieur
réinventent, dans leur repli, de nouvelles formes de résistance
et de lutte et font face à l’israélisation de leur société,
encouragée par les conséquences de ces accords.
C’est
à partir d’octobre 2000, qui a vu un soulèvement massif des
Palestiniens de 48 réprimé dans le sang (treize martyrs tombés)
que l’institution israélienne, surprise, met en place les
filets de sa répression policière, sécuritaire, coloniale et
institutionnelle.
Le
soulèvement d’octobre 2000 fut révélateur du fossé qui sépare
la société coloniale israélienne de la société palestinienne
dans la partie occupée en 48, fossé qui n’a fait que se
creuser encore, tout au long des années suivantes. La société
palestinienne de l’intérieur s’est organisée et a décidé
de prendre, de façon autonome, ses affaires en main :
associations, partis, diverses structures, fondations, se développent
et agissent. C’est ce qui fait dire à Azmi Bishara, dans la même
interview, concernant sa propre personne :
« Depuis
octobre 2000, le climat général m’a jugé. Ils se sont rendus
compte qu’il ne s’agit pas d’un personne qui agit pour
obtenir leur satisfaction ou des bons points de leur part… Ils
ont réalisé qu’ils avaient devant eux des gens qui savaient ce
qu’ils disaient. Nous n’avons pas émigré en Israël, mais
c’est Israël qui a choisi de venir à nous. C’est pourquoi,
il (Israël) a commencé, dès 2000, à mon avis, sa guerre contre
nous. »
En
août 2001, les organisations et associations palestiniennes de 48
proposent et obtiennent gain de cause pour qu’Israël soit dénoncé
comme un Etat d’apartheid à la conférence internationale de
Durban contre le racisme, conférence qui souleva des tempêtes de
la part des organisations et Etats, américain et européens, dont
la France. A partir de ce moment, les Palestiniens de 48, devenus,
après la Nakba, une minorité dans son propre pays, réclament de
plus en plus qu’ils soient protégés par les Nations-Unies,
refusant par là d’être considérés comme une affaire interne
israélienne. Ils développent les liens avec les pays et les
peuples arabes, de façon autonome, ne voulant pas être au
service de la politique israélienne vis-à-vis des pays arabes,
telle que l’institution israélienne envisage leur rôle.
Azmi
Bishara dit à ce propos : « Avec la Syrie et le Liban,
nous avons une culture et une nationalité commune. Nous sommes un
même peuple et nous voulons développer notre relation avec eux,
afin que notre relation soit particulière et non pas un pont de
paix, c’est un pont entre les humains, entre les gens d’une même
nationalité…. Des membres arabes de la Knesset ont visité la
Syrie avant moi, et des fêtes israéliennes ont célébré cela.
Mais mes visites, ils font du tapage autour. Pourquoi ? Car
elles n’interviennent pas dans leur agenda, mais font plutôt
partie de notre agenda. »
Un
agenda palestinien, un agenda israélien : deux conceptions
opposées pour les Palestiniens de 48 qui adoptent
progressivement, sans aucune hésitation, l’agenda palestinien :
ne plus être considéré « citoyen israélien » où
tous leurs actes devraient être mis au service de l’institution
israélienne. C’est notamment à ce niveau que se distinguent
les actes et déclarations des Palestiniens de 48 de ceux des
divers mouvements israéliens anti-guerre ou « antisionistes ».
Dans le cas des Israéliens, leur opposition à la politique de
leur Etat ou gouvernement demeure dans le cadre de leur société
coloniale et fait partie de la démocratie juive, quel que soit le
degré de violence qu’ils adoptent face à leur Etat. Ce qui est
révélateur à ce titre, c’est que rares sont les Israéliens
qui ont intégré les mouvements palestiniens pour lutter selon un
agenda palestinien. Les plus extrêmes imitent les structures
palestiniennes, mènent un travail parallèle mais refusent de se
plier à l’agenda palestinien lui-même.
C’est
cette volonté affirmée de s’organiser de façon autonome pour
arracher leurs droits nationaux, culturels, civiques, pour
s’opposer à la poursuite de la colonisation de leur pays, à la
judaïsation des zones qui leur restent encore, pour protéger
leurs lieux saints, pour se développer économiquement et
culturellement, malgré toutes les entraves et toutes les mesures
répressives, c’est contre cette volonté que les
institutions sionistes ont pris la décision de réagir, par les
lois, par la répression et tous les moyens dont elles disposent.
Concernant
la répression sanglante du soulèvement d’octobre 2000, l’Etat
d’Israël se soustraie d’abord à la mise en place d’un
commission d’enquête, réclamée par les Palestiniens de 48. Lorsque
cette commission est mise en place, elle essaie de faire porter la
responsabilité du soulèvement au dr. Azmi Bishara et sheikh Raed
Salah, au lieu d’accuser les policiers qui ont tiré sur les
manifestants. Et jusqu’à présent, les parents des victimes réclament
que les policiers assassins soient traduits en justice.
En
2002, Sheikh Raed Salah est arrêté avec une dizaine de ses
compagnons, dans un opération médiatico-policière digne des
films policiers américains. Le dossier d’accusation comporte
des milliers de pages, qui sont, pour une grande part, des
retranscriptions de conversations téléphoniques. Il serait accusé
de « financer l’ennemi » par le biais des
associations caritatives que le mouvement islamique de l’intérieur
a fondées sous le régime et le contrôle israéliens. Plusieurs
associations fondées en Palestine 48 ont matériellement aidé
les familles de Cisjordanie et de Gaza, sans distinction ni
politique, ni religieuse entre les familles. Les autorités
sionistes ont voulu, par ces arrestations, criminalisé l’action
humanitaire en la présentant tantôt comme un « soutien aux
terroristes » tantôt comme un « blanchiment de
l’argent », une sorte de crime financier. Au cours des séances
du procès, le procureur et le juge se permettent même de juger
les fondements de l’islam, comme la Zakat, essayant de
criminaliser les moindres gestes religieux musulmans.
Fin
2002, quelques cadres de Nazareth, du Rassemblement national démocratique,
sont arrêtés, accusés de « connivence avec l’ennemi »,
parce qu’ils auraient rencontré des Libanais ou des Syriens. Début
2003, Muhammad Kanaane, secrétaire général du mouvement Abnaa
al-Balad, et son frère Hussam sont arrêtés, leurs maisons dévastées
et leurs familles terrorisées, dans une opération policière
hautement médiatisée aussi, pendant que d’autres forces policières
envahissaient les locaux du parti à Haïfa et détruisaient tout
le contenu. Muhammad et son frère sont accusés de « connivence
avec l’ennemi », parce qu’ils auraient rencontré
des citoyens arabes en Jordanie. Plusieurs numéros de la revue de
jeunesse du parti sont saisis.
En
2006, les autorités policières sionistes envahissent le local de
l’association de soutien aux prisonniers, Ansar el-Sageen, située
à Majd el-Kroum, dévastent le local, prennent le matériel
informatique et mettent l’association en interdiction. Ils
mettent la main, par la même occasion, sur une collection unique
d’œuvres faites par les prisonniers. La cause serait la demande
de l’association Ansar el-Sageen d’intégrer les prisonniers
de 48 dans la liste des prisonniers qui seraient libérés par
l’échange avec le soldat israélien kidnappé. L’association
Ansar el-Sageen avait lancé un appel diffusé dans le monde,
expliquant que les prisonniers palestiniens de 48 ne sont pas des
citoyens israéliens, comme l’Etat sioniste veut le faire croire
mais des Palestiniens qui doivent figurer parmi les prisonniers
devant être libérés. A ce propos, depuis les accords d’Oslo,
les autorités sionistes refusent toutes demandes d’échange de
prisonniers concernant les prisonniers palestiniens de 48 et de la
ville d’al-Quds, considérant qu’ils sont « citoyens
israéliens », les plaçant ainsi dans une situation
impossible : Ils ne sont considérés ni « prisonniers
arabes », ni « prisonniers palestiniens », alors
qu’ils sont détenus en tant que résistants palestiniens.
Vers
2003, les Palestiniens de 48 furent progressivement interdits de
se rendre en Cisjordanie, et dès le début de l’Intifada, ils
ne peuvent se rendre dans la bande de Gaza. C’est ainsi que des
familles sont séparées, qu’elles ne peuvent partager ni célébrations
de mariages ni participation aux funérailles.
Au
niveau légal, Israël promulgue des lois racistes contre le
regroupement familial des Palestiniens séparés par la ligne
verte, ligne fictive à laquelle ne s’accrochent que ceux qui
essaient de sauver Israël de sa propre folie. Ce sont d’un coup
des centaines voire des milliers de Palestiniens qui sont menacés
d’expulsion de la partie occupée en 48, car ils n’auraient
pas le droit de vivre en « Israël » auprès de leurs
époux ou épouses.
Mais
le racisme n’est pas seulement institutionnel et la rue israélienne,
profondément embrigadée par l’esprit colonial sioniste dès sa
plus tendre enfance, est « raciste jusqu’à la moëlle »
comme l’exprime Walid Yassine, journaliste de Shefa’Amr. Des
attentats sont commis contre les Palestiniens ou leurs
institutions. En plein désengagement de la bande de Gaza, en
2005, un colon tire sur la foule dans un autobus se rendant à
Shefa ‘Amr, en Galilée. Mais ce ne sont pas l’assassin et ses
responsables qui seront jugés par l’institution israélienne,
ce sont plutôt les villageois de Shefa ‘Amr venus à la
rescousse de leurs parents et qui ont mis fin au carnage en tuant
le terroriste israélien. D’autres attentats sont commis :
contre des députés et personnalités comme Issam Makhoul, contre
l’Eglise de Nazareth, contre la mosquée de Yafa, les cimetières
musulmans ou chrétiens sont profanés, plusieurs députés
brutalisés à Haïfa lors de manifestations, et la liste serait
longue s’il fallait recenser tous les actes criminels, officiels
ou officieux, commis envers les Palestiniens de 48.
L’institution
israélienne justifie ses mesures racistes par ce qu’elle
appelle « le danger démographique », qui signifie que
les Palestiniens, dont près d’un million a été expulsé en
48, sont encore trop nombreux pour que l’Etat ait un caractère
juif. Les Palestiniens de l’intérieur ne comptent pourtant
qu’un million 200.000 dans les limites de la ligne verte. Mais
habitants originels de la Palestine, ils demeurent les témoins du
crime originel, l’invasion et la colonisation sionistes de la
Palestine, dès le début du siècle dernier.
Depuis
quelques mois, les Palestiniens de 48 représentent, de plus, pour
l’institution israélienne une « menace stratégique ».
Serait-ce la nomination du raciste Lieberman au ministère de la
« stratégie nationale » qui est à l’origine de
cette accusation ou bien est-ce un sursaut de l’institution
sioniste face à ces Palestiniens indéracinables qui a amené la
Shabak (service de sécurité intérieur) à les décrire ainsi ?
Quoiqu’il
en soit, les Palestiniens de 48, parce qu’ils sont restés, ont
vécu et se sont consolidés au cœur même de l’Etat sioniste,
sont devenus un enjeu important dans la lutte nationale
palestinienne. Témoins de premier plan de la politique de
nettoyage ethnique pratiquée par la colonisation sioniste de la
Palestine, ils sont aussi les témoins de la politique coloniale
et d’apartheid au quotidien : dans l’administration, à
l’université, dans les transports (notamment El Al que des
Européens continuent à emprunter alors que cette compagnie
pratique l’apartheid dès la réservation du billet), dans les
lieux de travail, etc…
Considérés
comme « une cinquième colonne » par l’institution
israélienne, ils osent affronter cette institution avec ses
propres outils et dans son propre foyer. Ils ont osé, lors de la
guerre contre le Liban, se désolidariser d’avec la rue israélienne,
affirmant leur soutien à la résistance libanaise, comme ils
l’affirment tous les jours avec la résistance palestinienne.
Ils essaient de faire prendre conscience à l’opinion
internationale de leur situation unique : une minorité
colonisée dans son propre pays et faisant partie, dans sa
conscience la plus profonde, du peuple palestinien et des peuples
arabes voisins. Ils sont l’épine qui empêche Israël d’être
un Etat juif pour les Juifs, même s’ils sont trahis à ce
niveau par des régimes arabes. Ils refusent, par conséquent,
d’être traités comme une affaire interne israélienne et au
fil de ces dernières années, ils se sont aguerris pour affronter
l’institution israélienne, sur ce dossier précisément. Ils
refusent le service civil que veut leur imposer l’Etat sioniste,
soi-disant pour les « intégrer » à la citoyenneté
israélienne, clamant haut et fort qu’ils n’ont pas demandé
à être citoyens de cet Etat, mais que c’est cet Etat qui
s’est imposé à eux.
L’enjeu
de la lutte nationale menée par les Palestiniens de 48 est
d’une grande importance pour les prochaines années : en
affirmant leur identité nationale palestinienne et leur
appartenance arabe, en participant de plus en plus aux débats
internes palestiniens pour la reconstruction de l’OLP où ils
seraient à nouveau intégrés, en participant aux rencontres
interpalestiniennes et interarabes de toutes sortes, en
s’adressant au monde entier afin qu’ils ne soient pas considérés
comme une affaire interne israélienne, les Palestiniens de 48
forgent de nouveaux outils de lutte qui leur permettent de dépasser
le statut de « minorité » dans lequel Israël les a
enfermés depuis 1948.
Par
leur discours de plus en plus développé, par les actions menées
(marche vers les villages détruits, protection des terres, des
villages, des maisons et des lieux saints et profanes,
consolidation de l’identité palestinienne, les Palestiniens de
48 ont réussi à remettre la question sur ses bases fondamentales
et premières : il ne s’agit ni de territoires occupés, ni
de ligne verte, ni de partage d’al-Quds en deux, mais de
l’existence même d’un Etat colonial, raciste et
expansionniste.
Le
soutien aux revendications nationales du peuple palestinien ne
peut faire l’impasse sur la situation et la lutte des
Palestiniens de 48. Les considérer comme une « minorité »
dans l’Etat d’Israël ou comme des « citoyens israéliens »,
c’est-à-dire une affaire interne israélienne pouvant être résolue
par une « démocratie élargie aux minorités « non
juives » », c’est non seulement masquer la nature du
conflit entre l’Etat sioniste d’une part et la Palestine et la
région arabe de l’autre, mais c’est aussi soutenir
l’institution israélienne dans sa répression coloniale vis-à-vis
des Palestiniens.
Centre
d'Information sur la Résistance en
Palestine