Opinion
Des protestations
anti-gouvernement éclatent au Yémen
Chris Marsden
Samedi 5 février 2011
Au moins 16.000 et, selon certains rapports, beaucoup plus de
personnes ont protesté au Yémen pour réclamer le départ d’Ali
Abdullah Saleh, le président depuis plus de 30 ans.
Les manifestants se sont rassemblés à quatre endroits au
moins de la capitale, Sanaa, dont l’université, en vue de
déjouer la police et les services de sécurité. Les protestations
ont aussi eu lieu ailleurs. Au moins 10.000 personnes ont
participé aux protestations à l’université et 6.000 ailleurs
dans la capitale.
Les manifestants ont scandé : « 30 ans au pouvoir ça
suffit! », ajoutant : « Parti au bout de 20 ans ! » en se
référant à l’insurrection qui a renversé le président tunisien
Zine El Abidine Ben Ali.
D’autres revendications comprenaient « Non à l’extension [du
mandat présidentiel]! Non à l’héritage [de la présidence]! » et
« Assez de tergiversations, assez de corruption, assez du
gouffre entre riches et pauvre. »
Une forte présence policière avait été mobilisée mais aucun
heurt avec la police n’a été rapporté.
Une série de protestations plus petites avaient eu lieu
auparavant, débouchant jeudi sur les manifestations de masse qui
ont en provoqué l’arrestation de l’activiste des droits de
l’homme, Tawakul Karman. Cela avait déclenché de nouvelles
protestations à Sanaam, et elle fut libérée lundi.
Saleh est à la tête d’un régime fortement haï. C’est un allié
des Etats-Unis et il est au pouvoir depuis 33 ans. Il était
devenu le dirigeant du Nord Yémen en 1978 et a dirigé la
République du Yémen, créée par la fusion du Nord et du Sud,
depuis 1990.
Il avait été réélu la dernière fois en 2006, pour un mandat
de sept ans. Mais un projet d’amendement de la constitution
débattu au parlement pourrait lui permettre de rester au pouvoir
à vie. Il est aussi accusé de vouloir transmettre le pouvoir à
son fils aîné Ahmed qui dirige la Garde présidentielle.
Dans un effort pour neutraliser l’opposition, Saleh a promis
dimanche lors d’une allocution télévisée « Nous sommes une
république. Nous somme contre l’héritage » du pouvoir. Il a
alors proposé des amendements constitutionnels prévoyant des
limitations du mandat présidentiel à deux mandats de cinq ou de
sept ans. Saleh a aussi promis d’augmenter de 47 dollars par
mois les salaires pour l’armée et les fonctionnaires en vue
d’acheter leur loyauté et de réduire de moitié les impôts. Il
ordonné un contrôle des prix.
Ceci ne servira pas à grand chose ou à rien du tout pour
apaiser l’opposition publique. Saleh est largement haï. Il règne
sur l’un des Etat les plus pauvres du monde où près de la moitié
de la population, qui compte 23 millions d’habitants, vit de
moins de 2 dollars par jour. Un tiers des habitants souffre de
faim chronique. Le taux d’analphabétisme est supérieur à 50 pour
cent et le chômage touche au moins 35 pour cent de personnes.
Plus des deux tiers de la population a moins de 24 ans.
Les réserves pétrolières et les recettes du pays sont en
baisse et le pays souffre d’un grave manque d’eau.
Le gouvernement Saleh est très répressif et mène une guerre
dans le Nord du pays contre les tribus chiites dissidentes qui a
entraîné la mort de milliers de civils et en a déplacé plus de
130.000. Sa guerre est soutenue par l’Arabie saoudite qui l’a
rejoint pour affirmer que l’Iran était derrière la révolte
chiite. Les Houthis sont des chiites musulmans mais une secte
tout à fait différente des chiites d’Iran. Les chiites yéménites
constituent environ 40 pour cent des 23 millions de citoyens du
pays. La majorité de la population est sunnite.
Le gouvernement mène une autre campagne répressive contre un
mouvement séparatiste armé dans le Sud où, jusqu’en 1990, un
régime soutenu par Moscou a été au pouvoir. Pour s’assurer le
soutien des Etats-Unis, Saleh s’est attribué le rôle d’un allié
important de Washington dans la « guerre contre le terrorisme »,
en dirigeant ses efforts contre les éléments islamistes, ses
alliés d’antan.
Il a été laissé libre cours aux Etats-Unis pour mener des
opérations militaires au Yémen. L’armée et la CIA y lancent des
attaques quotidiennes de drones et y organisent des escadrons de
la mort. L’importance stratégique du Yémen pour les Etats-Unis
est déterminée par ses frontières avec l’Arabie saoudite, le
premier exportateur mondial de pétrole, et le détroit de Bal
el-Mandeb, par lequel passent tous les jours 3 millions de
barils de pétrole du Moyen Orient.
Telle est l’hostilité publique aux opérations des Etats-Unis
que Saleh a même été obligé de déclarer publiquement son
opposition à l’intervention militaire étrangère et à refuser la
permission de certaines frappes de missiles américains.
Quoique ceux qui étaient engagés dans les protestations aient
été clairement inspirés par la « Révolution du Jasmin »
tunisienne, les protestations du Yémen ont été elles,
organisées, par opposition au soulèvement spontané d’Afrique du
Nord. Son architecte a été une coalition oppositionnelle qui
recherche le soutien des Etats-Unis pour son action, au même
titre que l’est Saleh.
Les Etats-Unis ont clairement fait comprendre qu’ils étaient
au moins disposés à ce qu’un certain rôle soit joué par les
partis d’opposition. Au début du mois, lors d’une visite au
Yémen la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a demandé
instamment à Saleh d’entamer un dialogue avec l’opposition en
disant que ceci aiderait à stabiliser le pays.
Le New York Times a souligné que lors de ce voyage, « un
législateur yéménite » avait demandé à Clinton « comment les
Etats-Unis pouvaient prêter un soutien au régime autoritaire de
M. Saleh alors que son pays devenait de plus en plus un havre
pour combattants. ‘Nous soutenons un gouvernement inclusif,’ a
répondu Mme Clinton. ‘Nous constatons que le Yémen traverse une
période de transition.’ »
Il y a toutes les raisons de supposer que les dirigeants
oppositionnels yéménites sont tout aussi enhardis par cette
déclaration de soutien de Washington qu’ils le sont par les
événements en Tunisie.
Le ministre des Finances de Saleh, Jalal Yaqoub, s’est servi
de l’agence Reuters pour lancer un appel à l’opposition à se
comporter de manière responsable afin d’éviter un soulèvement
révolutionnaire. « Je crois que le président Saleh reste le seul
à pouvoir maintenir la stabilité de ce pays, » a-t-il dit. « Je
crains que si la majorité des gens descend dans la rue ni nous
ni l’opposition ne sera en mesure de contrôler la situation.
Cela pourrait devenir horrible très vite… Je suis encore un peu
optimiste et pense que les choses ne deviendront pas
incontrôlables. Si c’était le cas, nous y perdons tous, tant le
gouvernement que l’opposition, et le Yémen frôlera le chaos. »
Sous le titre, « Les protestations yéménites
occasionneront-elles une autre révolution ? » le quotidien
américain Christian Science Monitor a fait ce commentaire qu’« aucun
des partis impliqués ne veut assister à des heurts au Yémen
comme il y en eut en Tunisie et en Egypte, surtout pas le
gouvernement des Etats-Unis qui a un grand intérêt à faire en
sorte que le Yémen reste stable. »
Malheureusement pour Washington et ses alliés actuels et ceux
en voie de le devenir, les tensions de classe qui se sont
déchaînées au Yémen, en Tunisie et en Egypte ne peuvent pas être
coupées à volonté. Un mouvement de masse déferle sur le Moyen
Orient qui est une menace à la survie de tous les régimes
répressifs et pro-occidentaux de la région.
(Article original paru le 28 janvier 2011)
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Publié le 5 février 2011 avec l'aimable autorisation du WSWS
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