Opinion
Le non-événement
de la proclamation à l'ONU :
Plaidoyer pour la paix en Palestine
Chems Eddine Chitour
Mahmoud
Abbas © REUTERS
Jeudi 22 septembre
2011
«L'Amérique ne
tournera pas le dos à l'aspiration
légitime du peuple palestinien à la
dignité, aux chances de réussir et à un
État à lui; la seule résolution consiste
à répondre aux aspirations des uns et
des autres en créant deux États, où
Israéliens et Palestiniens vivront
chacun dans la paix et la sécurité.
(...) C'est pourquoi je compte
personnellement poursuivre un tel
aboutissement avec toute la patience et
le dévouement qu'exige cette tâche.»
Président Obama, discours du Caire, en
juin 2009
Effectivement, le président Obama avait
proposé en septembre 2010 à l'ONU la
création d'un Etat palestinien pour
septembre 2011. Dans ce cadre, il a
proposé, en mai, la création d'un Etat
palestinien dans les frontières du 4
juin 1967. Mal lui en a pris. Le lobby
pro-israélien l'ont rappelé à l'ordre.
Il s'est alors rétracté en ajoutant
qu'il a été mal compris; il ajoute que
des échanges de territoires devront être
consentis. Là encore, c'est un niet de
la part d'Israël qui, on s'en souvient,
malgré le simulacre des négociations de
septembre 2010, continuait allègrement
et à marche forcée, ses implantations
dont tout ce qui avait de la valeur sur
les terres palestiniennes avec en prime
une judaïsation totale de Jérusalem et
une «agression» lancinante des
Lieux-Saints de l'Islam sous les regards
tétanisés de la communauté
internationale et de la lâcheté des
potentats arabes plus soucieux de
conserver leurs trônes que de dire le
droit.
Les révoltes de la jeunesse arabe de
2011 ont donné l'illusion que les
peuples relevaient la tête, on a même vu
des jeunes palestiniens se révolter
contre l'incurie des deux pouvoirs
palestiniens celui de Ghaza et celui de
Ramallah. En vain, le rapprochement a
échoué. Il n'en fut rien. Tout se re-normalise
dans le sens voulu par les architectes
occidentaux de ces révoltes. Depuis
quelques mois, Mahmoud Abbas, dos au
mur, réclame à cor et à cri un Etat
palestinien. Pourquoi le fait-il? Le
pourra-t-il? Quels sont ses alliés et
ses détracteurs? Quelles sont les
conséquences? Pour rappel, à ce jour,
l'État de Palestine revendiqué par la
Déclaration d'Alger en 1988 est reconnu
par 117 pays membres de l'ONU sur 193,
et que son statut à l'ONU se situe entre
celui d'«observateur» et celui de
«membre», mais sans droit de vote.
Benyamin Nétanyahou a tourné en dérision
cette majorité automatique à l'Assemblée
générale «où n'importe quelle résolution
peut être adoptée». Elle «peut même
décider que le soleil se lève à l'ouest
et se couche à l'est», a-t-il ironisé,
´´mais elle n'a ni le poids, ni
l'importance du Conseil de sécurité».
Voilà qui est clair! Israël - qui a
bafoué une quarantaine de résolutions-
n' a que mépris pour l'ONU, et la
légalité internationale.
Les pour et les contre
Dans une tribune publiée mardi par le
New York Times, le prince Turki
al-Faysal avertit que, si l'Amérique
appose son veto, elle «perdra» son allié
saoudien, ce partenaire crucial de
l'Amérique au Moyen-Orient. La Turquie,
autre alliée de plus en plus
récalcitrant, a également fait monter la
pression en affirmant que reconnaître la
demande palestinienne n'était «pas un
choix mais une obligation». (...)En
réalité, personne ne sait ce qu'il en
sortira. L'armée israélienne procède à
des exercices de simulation en tenue
pour faire face à d'éventuelles émeutes
palestiniennes. La semaine dernière, des
colons extrémistes ont vandalisé des
mosquées [et arraché des pieds de vigne
plantés par les Palestiniens] et une
base militaire israélienne. (...)».(1)
Yossi Alpher y voit un plus pour Israël
puisque les ambitions palestiniennes
sont limitées. Ecoutons-le: «Nétanyahou,
écrit-il, ne veut pas entendre parler
d'Etat palestinien. Pourtant, les
négociations, en ce cas, ne porteraient
plus sur le retour des réfugiés ni sur
les Lieux saints...(..) Nous
dirigeons-nous vers une détérioration
générale des relations
israélo-palestiniennes sur fond de
triomphe palestinien ou vers une série
de non-événements certes bruyants mais
qui ne mèneront nulle part? (...) » (2)
« Par cette initiative, Abbas demande en
effet à l'ONU de régler un problème
territorial avec la reconnaissance
officielle d'un Etat palestinien basé
sur les frontières de 1967 ayant sa
capitale à Jérusalem-Est. Il ne demande
pas à l'ONU de légiférer sur le droit au
retour des réfugiés ni sur l'esplanade
des Mosquées à Jérusalem, deux points
qui font échouer les négociations
directes. Il ne s'adressera plus à
Israël au nom d'organisations de
libération qui représentent surtout la
diaspora palestinienne. La question des
frontières sera plus facile à négocier
d'Etat à Etat, contrairement à
maintenant, puisque cette question est
liée à des thèmes sur lesquels l'OLP se
montre intraitable. Tous les sujets les
plus difficiles seront plus faciles à
négocier entre deux Etats».(2)
L'Occident n'a toujours pas pris acte de
la nécessité de rendre justice au peuple
palestinien. Alain Juppé, parlant de
cette situation, dit que le statu quo
est intenable pour Israël qu'il invite à
«négocier». Il ne dit pas sur quoi? Son
sous-entendu est de rogner encore ce qui
reste de comestible du bantoustan
palestinien. Mieux, le président Sarkozy
pense avoir la solution: proposer à
Mahmoud Abbas un statut du type
«Vatican». Le Vatican; combien de
divisions aurait dit Staline? En cas
d'échec au Conseil de sécurité, du fait
du véto promis par les Etats-Unis, les
Palestiniens pourraient se tourner vers
l'Assemblée générale pour demander le
statut d' «Etat non-membre», à l'instar
du Vatican. On l'aura compris, les pays
occidentaux et leurs alliés ne veulent
pas d'un Etat palestinien avec tous les
attributs. Leur offre de négociation aux
Palestiniens tient du canalar. Négocier
quoi? Que reste-t-il des territoires
palestiniens maintenant que 500.000
colons se sont installés en Cisjordanie
sur les meilleures terres et que
Jérusalem est totalement sous l'emprise
israélienne? Les Palestiniens n'ont pas
le droit de construire, voire de réparer
leurs maisons à Jérusalem Est.
Deux Etats
Cette initiative serait, disent les
médias occidentaux, combattue au sein
même des Palestiniens. Nabil Amr,
présenté comme un leader du Fatah, est
contre. Pour lui, il ne faut pas se
mettre à dos les Etats-Unis, l'Europe,
Israël et les pourvoyeurs de la
Palestine. «La demande d'adhésion d'un
Etat palestinien de Mahmoud Abbas
comporte de nombreux risques.» C'est en
ces termes que le mouvement islamiste a
exprimé son hostilité. (...) L'annonce a
mis un terme à cinq mois de silence
prôné par le Hamas, après la signature,
le 27 avril au Caire, d'un accord
historique de réconciliation nationale
avec son ennemi de toujours, le Fatah,
au pouvoir en Cisjordanie. (..) «Pour
l'organisation, Mahmoud Abbas cherche, à
travers son initiative de sauver
l'Autorité palestinienne, à exister sur
la scène internationale», explique
Julien Salingue, enseignant à
l'Université Paris VIII. «Le Hamas n'a
donc aucun intérêt à y participer et
même tout à gagner à ce que la démarche
échoue.» (...) «Aucun acteur palestinien
n'a de mandat pour faire des concessions
historiques sur le territoire
palestinien ou les droits des
Palestiniens, en particulier le droit au
retour», a ainsi lancé le Premier
ministre du Hamas, Ismaël Haniyeh, dans
une allusion aux plus de quatre millions
de réfugiés palestiniens éparpillés dans
la région, dont près de 1,1 million
vivent à Ghaza»(3).
Même son de cloche de Fadwa Nassar qui
pense que la démarche de Abou Mazen va
sonner le glas de la réconciliation:
«Les communiqués de personnalités,
d'associations et de mouvements, des
partis et organisations, insistent sur
un ou plusieurs arguments pour rejeter
en bloc l'initiative de l'Autorité,
l'accusant surtout d'avoir abandonné en
route les principales revendications
palestiniennes, que sont la libération
de la Palestine et le droit au retour
des réfugiés mais l'accusant aussi de
manque de transparence quant à la
finalité de la démarche: un Etat
palestinien, pour quoi faire? Il reste
cependant un aspect des plus graves dans
cette démarche, celui d'avoir mis de
côté ou même tué le processus de la
réconciliation interpalestinienne. (...)
La situation dans la ville d'El-Qods,
menacée de judaïsation et de nettoyage
ethnico-religieux, laisse craindre le
pire, si la réconciliation
interpalestinienne sur des bases saines
et claires n'est pas adoptée.
(...)Pourquoi se dirige-t-on à l'ONU et
qu'est-ce qui changera sur le terrain?
Quelles sont les compromissions faites
ou à faire? De quel Etat parle-t-on au
juste? Alors que les forces
palestiniennes de la résistance
exigeaient la fin de la coordination
sécuritaire avec l'occupant, celle-ci ne
s'est jamais arrêtée et les résistants
et leurs familles continuent à être
poursuivis, soit par les sionistes, soit
par l'Autorité. (...) Les sionistes et
les services sécuritaires de l'Autorité
palestinienne continuent à se partager
la tâche de poursuivre les résistants,
ceux qui s'opposent à l'occupation et
agissent dans ce sens. La coordination
sécuritaire des services de Abbas-Fayyad
avec les sionistes, est un terme radouci
pour parler d'une collaboration de fait
avec l'ennemi. (...)»(4)
Pour Ziad Clot, avocat
franco-palestinien- interviewé par la
journaliste Sylvia Cattori- et qui avait
participé, en son temps, à des
négociations, la reconnaissance de
l'«État» ne ferait qu'apporter plus de
malheurs au peuple palestinien. «Ce ne
sera donc pas un mal si ce pseudo «État»
ne voit pas le jour le 23 septembre». Il
dévoile le business des négociations et
les stratégies personnelles
d'enrichissement: «(...) Certains
dirigeants de l'OLP sont devenus des
professionnels de la négociation. Il y a
de nombreuses personnes qui vivent
là-dessus. Mais la réalité, connue des
Palestiniens, c'est qu'aujourd'hui, il
ne reste plus grand-chose à négocier.
Quand vous regardez la carte, entre la
colonisation et Jérusalem-Est qui est
sous la totale emprise israélienne,
Israël est largement arrivé à ses fins.
Jérusalem-Est est devenue pratiquement
la capitale réunifiée israélienne et les
colons israéliens sont installés en
Cisjordanie où cela leur convient.
Aujourd'hui Il y a des intérêts
financiers immenses autour de l'Autorité
palestinienne. (...) » (5)
« La conclusion à laquelle j'arrive est
que le «processus de paix» n'est pas
seulement un spectacle mais que c'est
aussi un «business» avec quantité
d'organisations en tout genre et
d'individus qui en vivent: des
diplomates, journalistes, experts en
tout genre -dont je faisais du reste
partie lorsque je travaillais comme
conseiller juridique auprès de l'OLP-
qui ont des intérêts propres à la
poursuite dudit «processus de paix». Ce
sont ces centaines de millions de
dollars et d'euros investis chaque année
à perte qui -doublés de l'incapacité à
condamner Israël pour ses agissements-
expliquent cette fuite en avant, alors
même que l'objet des négociations -le
territoire palestinien, Jérusalem-Est
comme capitale de l'État palestinien,
l'eau, etc. a malheureusement largement
disparu aujourd'hui».(5)
Que se passera-t-il après?
L'impression générale qui se dégage est
que si l'Etat Palestinien est reconnu,
la Palestine perdrait définitivement le
droit de négocier pour le retour des
réfugiés. «Les dirigeants palestiniens,
écrit Majed Kayali, ont tout misé sur
les négociations sans se ménager des
solutions de repli.(...) Une partie des
Palestiniens considère que cela
constituerait une grande victoire
politique et diplomatique face à Israël
et rééquilibrerait le conflit
israélo-palestinien puisqu'il le
transformerait en conflit entre deux
Etats. De plus, font-ils valoir, ce
serait un pied de nez aux interminables
et stériles négociations par lesquelles
Israël épuise les Palestiniens.(...) Que
cela signifie-t-il pour les réfugiés
[palestiniens dans les pays arabes]?
Auront-ils la nationalité de ce nouvel
Etat? En seront-ils des ressortissants à
l'étranger? Seront-ils toujours
considérés comme des Palestiniens?
Seront-ils exclus de l'équation
politique, à l'instar des Palestiniens
de 1948 [les «Arabes israéliens», qui
sont restés sur place lors de la
création d'Israël en 1948]? (...)
Envisageons maintenant ce qui se
passerait en cas d'échec du vote à
l'ONU, ce qui ne ferait plaisir à aucun
patriote palestinien puisque ce serait
un succès pour Israël. La direction
palestinienne ne semble pas avoir prévu
de plan B pour parer à cette
éventualité.».(6)
Pour Pascal Boniface: «Il n'aura
pourtant aucun effet concret immédiat.
Par ailleurs, quelle que soit l'issue du
vote, la situation concrète ne changera
pas: les Territoires palestiniens
continueront d'être occupés par l'armée
israélienne. Si le vote n'aura aucune
signification sur le terrain, il est de
la plus haute importance politique et
symbolique. Du côté palestinien, cette
stratégie diplomatique est la
confirmation de l'échec de l'Intifada
armée mais également l'impasse des
négociations bilatérales avec Israël.
Côté israélien, (...) ils affirment que
cela mettrait en danger le processus
bilatéral de négociations. Ils craignent
surtout que cela montre leur isolement
au niveau international. Barack Obama,
déjà en difficulté sur le plan
politique, ne veut pas prendre le risque
de compromettre sa réélection en 2012 à
cause du dossier du Proche-Orient. Dire
qu'un vote à l'ONU va mettre en danger
les négociations bilatérales est une
plaisanterie, pour employer un
euphémisme. Celles-ci ne débouchent sur
rien et ne semblent n'être qu'un écran
de fumée pour gagner du temps et
conforter des positions de faits
accomplis en faveur d'Israël. (...) Le
vote va surtout montrer l'isolement
d'Israël et le fort soutien à la
création d'un État palestinien.
L'immense majorité des pays du Sud et
les grandes démocraties émergentes sont
sur la même position. Les rapports de
force internationaux sont modifiés par
la perte du monopole de la puissance du
monde occidental et par la montée en
puissance des pays émergents. Ne rien
céder en tablant sur la protection
américaine n'est pas viable à moyen
terme».(7)
Pour rappel, le Sommet arabe de Beyrouth
a adopté le 28 mars 2002, à l'initiative
de l'Arabie Saoudite, un plan de paix
pour le Proche-Orient - intitulé
«Initiative de paix arabe» -. Le plan,
adopté à l'unanimité des 22 pays membres
de la Ligue arabe, propose à Israël une
paix globale en échange de son retrait
total des territoires arabes occupés en
1967, y compris le Golan syrien, ainsi
qu'une solution au problème des réfugiés
palestiniens. Il réclame «l'acceptation
de la création d'un Etat indépendant sur
les territoires palestiniens occupés
depuis 1967 en Cisjordanie et dans la
bande de Ghaza, avec pour capitale
Jérusalem-Est. En contrepartie, les pays
arabes concluront un accord de paix et
établiront des relations normales avec
Israël «dans le cadre d'une paix
globale» qu'Israël a qualifié
d'«inacceptable».(8)
Aux dernières nouvelles Mahmoud Abbas
devant l’intransigeance des Etats-Unis
est prêt à donner du temps au Conseil de
sécurité pour en débattre. Il pousse le
ridicule jusqu’à « examiner » la
proposition française de « Vatican »
avec la promesse de négociations qui
naturellement ne déboucheront sur rien
de concret. Que veut Israël? La paix
proposée par les Arabes ou le chaos
continu? La proclamation bâclée d'un
Etat palestinien est un non-événement.
Si elle devait aboutir c'est du pain
bénit pour Israël qui expulserait les
Arabes israéliens qui n'ont plus
vocation à rester dans un Etat qui
deviendra l'Etat des Juifs. Mahmoud
Abbas, une fois de plus, est démonétisé
par un Occident qui a chois son camp
.Les Palestiniens à qui on a fait
miroiter cette utopie seront une fois de
plus frustrés. Il reste que la «
communauté internationale » dans son
ensemble, qui n’a pu faire appliquer
aucune des résolutions contre Israël, a
une responsabilité morale pour rendre
justice au peuple palestinien qui aspire
à vivre dignement sur ce qui lui reste
de sa terre.
1.Bronner
http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/14/un-etat-qui-inquiete-deja
2.Yossi Alpher
http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/01/pourquoi-un-etat-palestinien-aiderait-israel
3.http://www.lepoint.fr/monde/etat-palestinien-la-troublante-strategie-du-hamas-20-09-2011-1375585_24.php
4.http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Fadwa_Nassar.190911.htm
5.Journal d'un négociateur en Palestine.
Un entretien avec l'avocat Ziyad Clot
Silvia Cattori
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=26634
6.Majed Kayali
http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/19/en-cas-d-echec-a-l-onu-pas-de-plan-b
7.http://pascalbonifaceaffairesstrategiques.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/09/16/les-enjeux-du-vote-de-l-onu-sur-la-palestine.html
8.Le Monde, 30 mars 2002.
http://www.aidh. org/Actualite/Act_2002/info_israel05.htm
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 23
septembre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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