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CE QUE NOUS VOILE LA BURQA

Le refus en Occident des valeurs de l'Islam
Pr Chems Eddine Chitour


Photo L'Expression

Jeudi 1er avril 2010

«Mon coeur est capable de toutes les formes. C’est une pâture pour les gazelles, un couvent pour les moines chrétiens, un temple pour les idoles, la Ka’ba du pèlerin, les Tables de la Loi mosaïque et le Livre du Coran. Je suis pour moi, la religion de I’amour. Quelque voie que prenne le chemin de I’amour, c’est là ma religion et ma foi.»
Ibn Arabi (1165-1240), (Turjman Al Ashwaq), (L’interprète des désirs).

Ce beau témoignage d’un illustre savant religieux est là pour planter le décor sur ce qu’est réellement l’Islam. Nous allons examiner dans ce qui suit ce qu’ont en fait les hommes en terre d’Occident. Un débat récurrent qui agite le landerneau politique français, est la place de l’Islam dans l’Hexagone. Après le feuilleton à épisodes multiples du voile, inauguré par un certain François Bayrou, ministre de l’Education, voilà que le rejet de l’Islam se décline cette foi-çi sous la forme du voile intégral dit burqa. On prête à Me Badinter, dont l’affection pour l’Islam, est connue, le démarrage de cette polémique grotesque sur la burqa. Le voile était aussi une obligation dans les anciens textes sacrés du judaïsme et du christianisme. Que dit le Coran? Le devoir de mettre le voile fait unanimité des quatre écoles sunnites connues et reconnues. La ‘awra (intimité, nudité) de la femme à l’égard d’un étranger est tout son corps sauf les mains et le visage. La burqa (en pachto), est un voile islamique intégral d’origine asiatique porté par les femmes, principalement en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. Le Niqâb n’est pas du tout obligatoire, car le visage et les mains de la femme ne sont pas une ‘Awra (nudité). Aucun verset du Coran ni texte de la sunna n’existe qui oblige le Niqâb à la femme musulmane. D’où viendrait alors ce regain de religiosité des femmes en Occident. Est-ce par ostentation? Est-ce par peur des parents ou du mari? Apparemment, c’est cette hypothèse qui a la faveur des politiques en France.
Chloé Leprince nous raconte par le menu, le feuilleton de la burqa à travers les états d’âme successifs du président Sarkozy. Ecoutons-la: Au moment où le chef de l’Etat change d’avis en faveur d’une interdiction de la burqa, le Conseil d’Etat pourrait lui barrer la route. En effet, depuis que l’interdiction du voile intégral est arrivée sur la place publique, à l’été 2009, le président n’a cessé de changer de discours. En juin 2009, Barack Obama s’était vanté de «ne pas dire aux citoyens ce qu’ils peuvent porter». Le 24 mars Nicolas Sarkozy a de nouveau envisagé la possibilité d’une large interdiction. «Trop longtemps nous avons supporté les atteintes à la laïcité, à l’égalité de l’homme et de la femme, les discriminations. Ce n’est plus supportable. Le voile intégral est contraire à la dignité de la femme. La réponse, c’est l’interdiction du voile intégral.»(1)
Ou en est-on à présent? On apprend que le Conseil d’Etat n’accepte pas la proposition du gouvernement en l’état. Le Conseil d’Etat rejette en termes prudents l’hypothèse d’une interdiction générale et absolue du port du voile intégral en France. Ce dispositif ne «pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable», assurent les sages dans l’avis qu’ils ont remis mardi 30 mars à François Fillon. (..) Après deux mois de réflexion, le Conseil d’Etat conclut que «seule la sécurité publique et l’exigence de lutte contre la fraude» fondent une interdiction juridiquement solide «mais uniquement dans des circonstances particulières en temps et en lieux». «Il est apparu au Conseil d’Etat qu’une interdiction générale et absolue du port du voile intégral en tant que tel ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable», indique le rapport, remis mardi matin au Premier ministre François Fillon.(2)
C’est trop facile d’accuser la famille, le mari d’imposer la burqa. On dit que 25% de celles qui portent une burqa sont des Françaises de souche converties. On comprend très mal que ces Européennes acceptent du jour au lendemain d’être des soumises. Pourtant, Jean Daniel, que l’on a connu plus pondéré, écrit: «(...) Celles qui le portent veulent donc se soustraire au regard de tous, ce qui serait une preuve d’austérité monacale si l’on oubliait qu’elles réservent ainsi l’exclusivité de leur visage et de leur corps à l’homme dont elles acceptent d’être la propriété (...) Il ne s’agit pas d’une obligation religieuse mais d’une coutume, d’ailleurs condamnée par le grand mufti d’Egypte.» Par contre, il réfute la fine analyse de Abdennour Bidar pour qui la burqa est le symptôme d’un malaise plus profond: un désir personnel d’exister. Ensuite il s’en prend aux Afghans et aux Saoudiens: «D’où vient le désir d’imposer partout le port de toutes les formes de voile, sinon des mouvements à la fois saoudiens et afghans dont la première cible fut le gouvernement algérien, coupable d’avoir empêché l’arrivée des islamistes au pouvoir en annulant le second tour d’une consultation électorale parfaitement libre?» Il conclut en invoquant Benazir Bhutto: «(...) Mais entre la tombe itinérante de ces inconnues et le voile qui soulignait la beauté d’une Benazir Bhutto, il y a l’abîme qui sépare le secret des ténèbres et la générosité de la lumière.»(3)

Une signification pluridimensionnelle

Justement, une analyse pertinente sur la signification pluridimensionnelle de la burqa nous est donnée par le philosophe Abdennour Bidar. Ecoutons-le: «Le débat sur le port de la burqa a donné lieu, ces dernières semaines, à une multitude d’analyses, parmi lesquelles les plus pertinentes l’envisagent à l’intérieur du problème plus vaste posé par le développement d’un Islam néoconservateur qui refuse le modèle occidental, ses valeurs et son mode de vie, et dont le terrain de fermentation dans notre pays est la condition sociale et économique de discrimination faite aux populations d’origine immigrée. (...)»(4)
«Face à cette affirmation d’une liberté qui se réclame de la fidélité aux principes de l’Islam, d’autres explications et critiques sont mobilisables, mais qui ne suffisent pas non plus: le fait de voir dans cet extrémisme la pathologie religieuse d’une subjectivité fragilisée par telle ou telle situation de vie ou histoire personnelle; le fait enfin de souligner que ce choix, peut-être vécu comme "volontaire et réfléchi", pourrait donc être en fait dicté par l’endoctrinement du milieu et devrait être mis sur le compte de l’ignorance religieuse. Là non plus, et bien que l’on se centre sur ces cas considérés en eux-mêmes ou pour eux-mêmes, l’explication ne satisfait pas. Car ce qui n’est toujours pas entendu, d’un point de vue psychologique et éthique, c’est le "cri" d’une subjectivité, le "je suis, j’existe" d’une conscience. Il faut en effet entendre aussi, et avant tout, la burqa comme un désir personnel d’exister. Un désir pathologiquement exprimé, peut-être, ou tout au moins effectué avec la radicalité quelque peu aveugle propre à certaines périodes de vie - le "zèle du converti", etc. (...) C’est la tenue vestimentaire de la femme "burquée" qui sert de seul refuge possible à un mal-être ressenti vis-à-vis d’un système social qui, derrière un discours et des pratiques de tolérance généralisée, dissimule contradictoirement une uniformité et une uniformisation redoutables des consciences, des attitudes, des discours».(4)«En (...) effet, quels choix sont réellement offerts aux individus dans nos sociétés pour les aider à trouver et à développer une personnalité singulière et profonde? "Sculpte ton âme comme une statue", disait Plotin, "Deviens ce que tu es", répétait Nietzsche en écho. (...) Avec la fin des grands récits, ce sont du même coup toutes nos grandes images de l’homme qui se sont effondrées. Il y a certes des abbé Pierre et des Lula, mais ce qui est le plus souvent offert dorénavant à l’admiration publique, ce sont presque exclusivement les modèles de célébrités - acteurs, sportifs, chanteurs, vedettes des médias -, dont les atouts plastiques et physiques, ou la rémunération disproportionnée à leurs mérites, ne tiendront jamais lieu de grandeur d’âme, d’héroïsme du courage, du don de soi, ou plus généralement d’une conduite de vie remarquable. Même les hommes politiques, Barack Obama en tête, semblent avoir sacrifié l’être au paraître, à travers un art de communiquer qui consacre lui aussi la pure image. "Paraître", "faire de l’argent", être beau, consommer: comment penser que ces buts dérisoires exaltés avec un ridicule confondant par la publicité suffisent à donner du sens à nos vies?»(4) Nous sommes, il est vrai, en pleine anomie. Pour le pèlerin du XXIe siècle, croire est une relation individuelle qu’il doit se forger, en prenant ce qui l’intéresse pour son parcours initiatique, dans le supermarché du croire En ces temps de «délitement des valeurs» que l’on pensait immuables, beaucoup de certitudes ont été ébranlées. Le capital symbolique qui a été sédimenté et qui part par pans entiers sous les coups de boutoir du marché du libéralisme, fruit d’une mondialisation sans éthique. Les sociétés qualifiées il y a si longtemps de «primitives» sont en train de perdre leur identité sous la pression d’un Occident qui série, catalogue et dicte la norme. A juste titre, la mondialisation et le néolibéralisme peuvent être tenus pour responsables de cette débâcle planétaire. Dans ce monde de plus en plus incertain, l’individu éprouve le besoin d’un retour à des valeurs sûres qui lui font retrouver une identité ethnique, voire religieuse que la modernité avait réduite. Le retour du religieux et le besoin «d’âme» de l’individu, quelle que soit sa latitude sont, à bien des égards, des indicateurs de l’errance multidimensionnelle. La nouvelle religion «matérialiste» basée sur le libéralisme sauvage que d’aucuns appellent le «moneythéïsme». C’est-à-dire l’asservissement au marché, au libéralisme sauvage. Pour Pierre Bourdieu, le libéralisme est à voir comme un programme de «destruction des structures collectives» et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de «l’individu seul mais libre». Nous vivons une époque où le plaisir est devenu une priorité, où les carrières autrefois toutes tracées se brisent sur l’écueil de la précarité. On assiste en définitive au développement de l’individualisme, la prééminence progressive de la marchandise sur toute autre considération, le règne de l’argent, l’exhibition des paraître. Partout dans le monde, on constate une fragilité du présent et une incertitude du lendemain. Voilà le monde que nous propose l’Occident. La valeur symbolique, écrit le philosophe Dany-Robert Dufour, est ainsi démantelée au profit de la simple et neutre valeur monétaire de la marchandise, de sorte que plus rien d’autre, aucune autre considération (morale, traditionnelle, transcendante...), ne puisse faire entrave à sa libre circulation.(5) Il vient que la burqa ne doit être interprétée comme une tentative de prosélytisme, comme le brandissent tous les Gaulois. Issue tragique écrit Abdennour Beddar, d’une modernité qui, annoncée comme «ère de l’individu», n’aura pas su donner à ce dernier de possibilités suffisantes de découvrir et d’exploiter les profondeurs de son moi, mais l’aura réduit à vivre presque exclusivement à la superficie de lui-même, c’est-à-dire, comme le déplorait déjà Tocqueville, dans le culte puéril de «vulgaires et petits plaisirs dont il remplit son âme (...) La burqa exprime quelque chose comme le refoulé de la psychologie collective: le refus d’afficher la moindre image de soi, refus qui correspondrait à la réponse de l’inconscient au règne totalitaire de l’image. (...) A cet égard, la burqa demanderait à être interprétée au-delà de ses significations habituellement invoquées, comme l’expression de l’une de ces rébellions vestimentairement exprimées de l’individualité contemporaine contre le sort d’uniformité et de pure apparence qui lui est fait! Rébellion qu’expriment consciemment ces femmes qui revendiquent haut et fort de faire un choix contre le "système ambiant". (...) L’identité totalement cachée derrière la burqa, c’est l’identité profonde du moi moderne devenu introuvable derrière la profusion de ses images et de ses superficies étalées dans le vide laissé par l’absence de tout grand projet d’existence».(4) On ne peut pas ne pas citer une autre dimension qui est celle du contentieux islamo-occidental. Barbarie, fatalisme, archaïsme, terrorisme. Autour de quelques idées fortes en «isme», la représentation occidentale des musulmans semble figée à travers les temps. La responsabilité sarrasine est évoquée par la chanson de Roland, de l’expression «gentem perfidam sarracenorum» (la nation perfide des Sarrasins), utilisée dans la première moitié du VIIIe siècle en Occident à l’étiquette «les arabes, peuple brigand» écrit par Montesquieu dans De l’esprit des lois. Plusieurs siècles après, ce discours n’a pas pris un pli. Le sarrasin est remplacé par le terroriste.(5) Mahmoud Senadji parlant de cette lutte sourde de la République [d’essence chrétienne] avec l’Islam écrit: «Il est tout à fait inapproprié de considérer le "problème" de la burqa comme une simple manoeuvre politicienne liée à des circonstances électorales pour un gouvernement dont l’assise philosophique est la revivification de la "République du nous", centrée sur ses fondements christiano-laïques. (...) Une "République du nous" si bien personnifiée par les propos d’une représentante de l’UMP lors de l’université d’été, le 5 septembre 2009, au sujet d’un Français issu de l’immigration: "Amine mange du cochon et boit de l’alcool." Traduisons: Amine est "comme" nous. La messe est dite. La scène tragique est là». (6) (...) La République comme citadelle métaphysique est une oeuvre parfaite: soit l’assimilation, soit l’exclusion. (...)

La «Vérité» de la République

L’autonomie de la société qu’est la sécularisation ne peut tolérer la présence visible de la verticalité dans l’horizontalité sociale. (...) La «République du nous» n’admet que le semblable. Elle voit dans ses minorités visibles la menace du communautarisme. (...) Là où la burqa parle de liberté, de dévouement et d’une vie quotidienne «dans laquelle chaque instant est dédié à Allah»; la République parle d’asservissement et d’oppression. Depuis septembre 2001, l’esprit gréco-chrétien et mondialatinisateur déchaîné, a trouvé dans l’Islam la nouvelle maladie planétaire. Le foulard islamique, le voile, les minarets, la burqa, les dessins sur le Prophète (Qsssl) ne sont que la traduction d’une thèse ancrée dans l’esprit des tenants d’un républicanisme intransigeant: l’incompatibilité de l’Islam avec la République. L’Islam est sommé pour accéder à la modernité et devenir citoyen de la République, d’opérer sa conversion, de s’arracher au dogme, de faire de l’Islam une culture et non une foi (...) La République, dans sa position de détenir la Vérité, demande aux musulmans de lire le Coran avec les yeux de Voltaire.(6) Tout est dit, par touches successives, l’Islam perd son âme et en Occident on refuse de comprendre que l’on peut respecter et défendre la République tout en étant musulman qui, bien comprise, est une richesse pour le vivre ensemble. Sale temps pour les musulmans.

1.Chloé Leprince: Pourquoi Sarkozy se prend les pieds dans le tapis, Rue89 |27/03/2010
2.Le Conseil d’Etat rejette l’interdiction générale du voile intégral. Le Monde 30.03.10
3.Jean Daniel: De quoi la burqa est-elle le nom? NouvelObs. 28 Janvier 2010
4.Abdennour Bidar: La burqa, symptôme d’un malaise, Le Monde 23.01.10
5.Chems E. Chitour: L’Occident et la désymbolisation du monde Mille babords 23/12/2006
6.Mahmoud Senadji: «De quoi la Burqa est-elle le nom»? Oumma.com 1er mars 2010

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale polytechnique, enp-edu.dz

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Publié le 29 mars 2010 avec l'aimable autorisation de l'
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Source : L'Expression
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