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Quartier sans cible
Bleu, blanc, rage
Cédric Mathiot
Dimanche 6 décembre 2009
Nadir Dendoune, journaliste né en France de parents
algériens, raconte sa difficulté à se sentir tout à fait
français.
Nadir Dendoune n’est pas un casseur. Il n’est pas désœuvré.
Il n’a brûlé aucun drapeau français ni cogné sur aucun CRS en
fêtant la victoire de l’équipe d’Algérie face à l’Egypte. Il ne
correspond pas au cliché du jeune de banlieue à cran.
D’ailleurs, à 36 ans, il n’est plus vraiment un jeune. En plein
débat sur l’identité nationale, son CV comblerait un directeur
de casting à la recherche d’un fils d’immigrés de banlieue qui a
réussi à s’en sortir. Il est français, né en France de parents
algériens. Il vient de Seine-Saint-Denis, d’une famille de neuf
enfants. Il est devenu journaliste. Il a des amis, des amours,
de toutes les communautés. Il est sorti d’une prestigieuse
école, le Centre de formation des journalistes (CFJ). Il
travaille pour M 6, France 3. Il va dans des fêtes où «ça
brille».
Et s’il vit en banlieue, à l’Ile-Saint-Denis où il a passé sa
jeunesse, c’est par choix, pour la mixité sociale. «Parce
qu’il ne faut pas que tous ceux qui ont réussi se barrent et
laissent ceux qui n’y arrivent pas.» Il a une «vie qui
marche». Mais elle n’a pas comblé le vide qu’il a à
l’endroit du drapeau : «Je ne me sens pas rebeu. Je ne me
sens pas plus français que ça non plus.»
Identité désolée
Il est assis sur la banquette d’un bistrot de la rue des
Dames, près de la place de Clichy à Paris. Il regarde par la
vitre et avise un passant. Le type marche d’un pas pressé. Il
est blanc. Nadir dit : «Regarde, lui, là, il est chez lui,
il est bien. Quand les Blancs marchent dans la rue, on sent
qu’ils sont chez eux. Moi, je ne me suis jamais senti chez moi
en France.» Il a un visage dur, que durcit encore une
barbe. La colère affleure, mais aussi le dépit et la douleur
devant son identité désolée.
«J’ai eu toute ma vie une putain de rancœur, j’aimerais
dépasser ça.» Il fait partie d’une génération d’enfants
d’immigrés à qui une génération d’hommes politiques, Le Pen,
Villiers, Sarkozy, a répété : «La France, tu l’aimes ou tu
la quittes.» L’aime-t-il ? «Exige-t-on des Français non
immigrés qu’ils aiment la France ? Les immigrés, eux, ont le
devoir de l’aimer, ou de fermer leur gueule, ou de partir. Mes
parents m’ont toujours dit : "Sois bien poli. Ne fais pas de
bruit, sinon on va nous mettre à la porte." Moi, j’ai
fini par comprendre que personne n’avait à exiger de moi que
j’aime la France plus que les autres Français. Je ne suis pas
fier d’être français. Je ne chante pas la Marseillaise. Je
n’aime pas le racisme bon teint des blagues des hommes
politiques français. Et pourtant, que cela plaise ou non, je
suis français. Je peux sifflerla Marseillaise,
je peux dire ce que je veux : "Je baise la France", je peux me
raconter des histoi res, je peux me dire que je suis
arabe. Mais je suis français. Il faut que les autres
l’acceptent.»
Nadir ne prétend pas être «représentatif». «Je
n’ai pas raison ni tort, c’est ma vérité. Je sais par exemple
que mes sœurs [il en a sept] n’ont pas toutes vécu les
choses comme moi. Mais quand j’ai écrit mon livre, j’ai reçu des
tas de lettres et de mails de gens qui me disaient : "Ta vie,
c’est ma vie."»
Le livre, c’est un pamphlet publié au sortir de l’école de
journalisme, en 2007 : Lettre ouverte à un fils d’immigré
(1). Le fils d’immigré, c’est Nicolas Sarkozy, époque ministère
de l’Intérieur. Le Sarkozy de la compulsion sécuritaire et du
Kärcher. A qui l’enfant de la Seine-Saint-Denis écrit,
provocateur : «J’ai compris que ton Kärcher, c’était ta
grande gueule. A moi d’ouvrir la mienne.»
«Frenchy from Paris»
C’est un livre règlement de comptes avec la France, un livre
plein de rage autant qu’une bouleversante mise à nue. Nadir
raconte comment on naît en France, comment on devient étranger
dans son pays et comment on en souffre. Nadir raconte le travail
de la relégation sociale et de la discrimination banale. Un
copain de classe en primaire qui lui dit : «Mon père veut
pas que je joue avec les Arabes.» Lui, le soir à sa mère :
«C’est quoi Arabe ?» Sa mère : «Tu n’es pas arabe,
tu es algérien.» Le mal-être, la pauvreté. La violence :
celle du quartier, celle des autres, la sienne. Les bagarres,
très tôt. La cruauté aveugle des châtiments qu’il a réservés
dans la cour à des boucs émissaires choisis parce qu’ils étaient
«blancs» et «bourgeois». Il raconte les
contrôles de police auxquels il s’est habitué adolescent. Il dit
sa gratitude, quand il a été en âge de se faire jeter à l’entrée
des boîtes de nuit, à ses potes blancs qui préféraient passer la
nuit dehors avec lui que d’aller danser sans lui («grâce à
eux, je ne serai jamais raciste»).
Il y a eu les bandes, les bastons à l’arme blanche et la
glissade qui l’a mené une dizaine de jours en taule. Puis, la
main d’un animateur social qu’il l’a «remis à l’endroit».
«C’est le premier mec qui a cru en moi.» L’instinct de
fuite, enfin. Un voyage pour l’Australie. Et ce récit, comme une
expérience paranormale, de la première fois que Nadir Dendoune a
été pris par surprise, aux antipodes, par le sentiment d’être
français. Il avait 20 ans.
«En 1993, je suis allé en Australie avec un pote. On
voulait faire un raid en vélo. Et ça a été un choc. Bien plus
tard, j’ai lu Sartre : "On est juif dans le regard des
autres." C’est vrai aussi quand on est arabe. En Australie,
j’ai cessé de l’être, parce que plus personne ne me voyait comme
ça. L’Arabe de banlieue qui va venir arracher le sac des
vieilles a disparu. Quand j’allais dans les fêtes en Australie,
on me demandait d’où je venais. Je disais "de France", et les
gens gueulaient, "Ah, le France, vive le France, Parisse !
The good wine ! " J’ai eu des rapports d’égalité
avec les gens. En France, j’étais un Arabe, là, d’un coup,
j’étais devenu le porte-parole de la France, "Frenchy from
Paris", enfant du pays des droits de l’homme, des Lumières, de
la mode, du picrate. Pour les filles, j’étais le "French
lover".» Il raconte avec amusement comment, un jour, dans un pub
où un écran géant retransmettait un match de rugby du XV de
France, un Australien bourré le traite de «fucking French».
Nadir a passé sept ans en Australie. «J’ai vécu comme un
homme blanc. En fait, je n’avais jamais été français avant.»
Il a fini par regagner la France en 2002, après un périple
qu’il a voulu spectaculaire : un tour du monde en vélo contre le
sida, soutenu par la Croix-Rouge. Et comme par désenchantement,
le miracle australien a opéré à rebours : le french guy
est redevenu l’Arabe. «Sauf que ce qui avait changé, c’est
que le fait de vivre à l’étranger m’avait fait comprendre qu’on
était traité comme de la merde en France. Que pendant vingt ans,
je m’étais habitué, parce qu’on me voyait comme ça, et que je me
voyais comme ça aussi. Le problème de notre pays, c’est que dans
l’inconscient collectif, tu ne peux pas être arabe et français
en même temps. C’est quelque chose qu’on ne pourra pas changer
si on ne va pas chercher dans les zones sombres du
passé.»
«Traités comme des demeurés»
Nadir dit : «Je suis un enfant de la colonisation, pas de
l’immigration.» «Enfant, j’ai des souvenirs d’employés
de la CAF ou de la Poste qui se foutaient de la gueule de mon
père ou de ma mère. Qui les tutoyaient, qui leur parlaient comme
à des demeurés. Mes parents ne disaient rien. Parce qu’ils
parlent très mal français, parce qu’ils n’avaient pas
les armes, ni l’envie. Eux n’ont jamais eu peur que d’une chose
: qu’on les foute dehors. C’est aussi ça, le prix de la
colonisation. Ce n’est pas que les morts de la guerre d’Algérie,
c’est tout ce qui a fait qu’on a persuadé mon père et tant
d’autres qu’ils étaient des êtres inférieurs. Mon père est né en
1928, ma mère en 1936. Ils sont nés et ont grandi en Algérie
française. Ils ont transporté cette crainte. Une facture
arrivait, il fallait la payer dans la minute pour ne pas avoir
d’ennuis. Ils ont vécu dans une posture de dominés. J’ai grandi
avec ça. "Arabe", je trouvais que c’est un mot qui
faisait sale. J’ai souffert avec les meufs. Les meufs blanches,
quand j’étais gamin, j’ai l’impression qu’elles me voyaient
comme moche et crade.»
«Le F5, c’était l’hôtel Hilton»
Le père de Nadir, Mohand Dendoune, est arrivé en France en
1950. Il avait 22 ans et venait d’un village de Kabylie. «Il
est venu sans visa, l’Algérie était française. C’est comme s’il
avait quitté la Corrèze pour venir à Paris. Son grand frère
était en France depuis 1948. Mon père est resté quatre ans, puis
il est reparti en Algérie.» Il est revenu s’installer en
France avec sa femme et leurs deux premières filles en 1957, en
pleine guerre d’indépendance. Nadir a parlé quelquefois de cette
période à ses parents. «Ma mère m’a raconté comme elle a
vécu la guerre, au bled. Elle était dans un village de femmes,
et les militaires français venaient parfois pour chercher des
hommes cachés. C’est ce dont elle se souvient. Je crois que mon
père, quand il était en France, a donné de l’argent pour le FLN.
Mes parents sont illettrés. Ils n’ont jamais eu de conscience
politique. Des fois, j’en ai voulu à mon père, presque de la
honte. Venir vivre dans le pays qui a colonisé tes ancêtres. Je
me disais : Putain il a abusé de venir ici. Quémander du
travail, ramasser des miettes. Après, avec l’âge, je me suis
rendu compte. Il vient d’un bled où il n’y avait pas d’eau, pas
d’électricité. Quand il est venu en France, il a mis sa fierté
dans sa poche. Il est allé là où il pourrait le mieux nourrir sa
femme et ses gosses. Je crois que sa seule fierté, c’est de ne
pas avoir pris la nationalité française.»
Les parents de Nadir ont toujours vécu à l’Ile- Saint-Denis.
D’abord dans des bidonvilles. «Ils ont vécu à cinq ou six
dans une pièce de 9 m2.» Plus tard, en 1968,
avant sa naissance, ils ont emménagé dans la tour de la cité
Maurice-Thorez. «Et là, c’était l’hôtel Hilton pour eux.
C’était un F5, tout neuf. Il y avait des placards, un balcon, un
ascenseur, quatre chambres…» Le père a été manœuvre,
ouvrier chez Renault, puis il a trouvé un poste de jardinier
dans un centre hospitalier. «J’ai quelques images de lui
allant bosser. Il se barrait à 5 heures du matin avec sa petite
gamelle. Ça me fait marrer quand je me souviens de Sarkozy
parlant de la France qui se lève tôt. Il faut voir la gueule
qu’elle a la France à 5 heures du matin dans le métro. Elle est
vachement bronzée, au petit matin. Mon père n’a jamais eu aucune
reconnaissance. Moi, je trouve que c’est un héros français. Il a
élevé neuf Français qui bossent [son frère travaille dans
un service d’imprimerie d’un hôpital, ses sœurs sont assistante
sociale, infirmière, mère au foyer, assistante de direction…],
qui payent leurs impôts, qui se sont mariés, ont eu des enfants.
C’est pas un truc que t’entends souvent dans la bouche des
hommes politiques.»
«Pourtant, mes parents ne m’ont jamais dit qu’il fallait
que j’ai une haine de la France. Ils m’ont jamais dit "la
France, c’est un pays d’enculés", alors que mon père
aurait pu balancer. Ils se sont peut-être dit nous, on a fait le
choix de mettre notre fierté de côté, il ne faut pas que nos
enfants grandissent avec la rage.» Pendant très longtemps,
Nadir n’a pas parlé de ça à ses parents. «Quand j’ai
commencé à lire des bouquins, après 30 piges, à me rendre compte
des trucs, j’ai commencé à discuter avec mon père… Des fois,
j’en parle avec ma mère dans la cuisine. Mais il y a de la
pudeur à parler de ça. Ils veulent que ça reste derrière.
Peut-être aussi qu’ils ont du mal à en parler parce que c’est
flou pour eux aussi. Ils n’avaient pas de projet en venant en
France. La vie a décidé pour eux. Ce qui est dur quand t’es
enfant rebeu en France, c’est le grand écart qu’il y a entre les
deux mondes. T’as la tentation de faire un choix, si tu veux
être en paix avec tes identités : il y en a qui font le choix de
la culture arabe, d’autres qui jettent la culture de leurs
parents. Moi, je ne veux pas être dans ce cas de figure. Alors
je n’ai pas d’identité. Certains se disent que s’ils deviennent
"pro-français", s’ils boivent de l’alcool, ils trahiront leur
propre père. Quand tu sais qu’ils ont vécu sous l’empire
colonial… C’est vachement complexe. Et ce serait plus simple si
en France, on ne considérait pas qu’être français, c’est bouffer
du porc ou picoler. Etre français, c’est payer ses impôts,
participer à la vie française.»
Le bled, la cité, la tombe
Nadir se souvient qu’à la fin des années 80, quand son père
est parti à la retraite, il a parlé de «revenir au bled».
«Avec mes sœurs, je ne sais pas ce qu’on aurait fait. Je ne
vois pas comment on aurait pu y aller.» L’Algérie, il n’y
est allé que quatre fois en trente-six ans. «Je crois que
c’est ma mère qui n’a pas voulu qu’on parte. Elle est plus
attachée à la France que mon père. Elle a ses copines, elle fait
ses courses. Passer cinquante ans dans un pays, ça crée des
liens. Des fois, je lui dis : "Si je deviens riche, je vous paye
un truc dans le sud de la France, au bord de la mer." Elle me
dit : "Non, je reste dans la cité. Je connais tout le monde. Il
y a des jeunes qui m’aident à porter mon sac." Elle kiffe. Ils
passent en moyenne trois mois par an en Algérie. Mon père aime
un peu plus le bled, alors il part plus longtemps. Il a sa
baraque, il aime s’occuper des plantes. Quand ils vont mourir,
je me dis que si on les enterre ici, en France, nous on peut
aller voir leur tombe, parce que nous, on est ici, et qu’au
bled, on n’ y va presque pas. Ou alors, il y aurait peut -être
un bon truc à faire : qu’on les enterre là-bas, mais sur la
tombe, mettre une inscription : "Morts à l’Ile-Saint-Denis,
93." Pour dire que la plus grande partie de leur vie a été
là-bas. Ma mère, sa famille est morte là-bas. En même temps,
elle aime ses gosses plus que tout au monde. Je pense que le
truc le plus important, c’est de dire qu’ils ont vécu en France,
pour marquer le truc, pour dire qu’ils ont fait partie du
paysage français. Même s’ils n’ont pas la carte, s’ils ne votent
pas, ils sont aussi français que toi et moi.»
«C’est pour eux que j’en suis là aujourd’hui. Il y a une
revanche, en tant que fils d’ouvrier, mais il y a aussi une
revanche culturelle, d’un fils d’Algérien illettré qui puisse
sortir un livre en langue française. Symboliquement, c’est super
fort. Je sais qu’ils sont fiers, parce que mon père, il a une
sorte de commode où il garde tout, les livres, les articles. Des
gens m’ont dit que quand il rentre au bled, il les
montre . Moi, ça m’a rendu plus costaud. Je sais que
tout n’est ni noir ni blanc. J’ai les armes pour comprendre. Le
fait d’avoir fait le CFJ m’a fait avancer, perdre mon complexe
d’infériorité.»
Nadir a intégré le Centre de formation des journalistes
en 2005, en remportant la bourse Julien-Prunet qui permet à des
profils «atypiques» d’éviter l’épreuve du concours. «Quand je
suis arrivé au CFJ, il y avait des exercices d’écriture. Il
fallait rendre des petits trucs, moi j’avais honte et j’avais
peur. Les mecs faisaient des super belles phrases. J’ai écrit un
truc péchu, avec des mots à moi, et le prof m’a dit : "j’adore
ton style." Je kiffe d’être avec des gens qui ne sont
pas du 93. Ce sont les premiers à m’avoir dit que j’avais du
talent. Pendant ma formation, j’ai bouffé des tonnes de
bouquins. J’ai rattrapé du retard. Dans ta cité, on te dit que
le théâtre, c’est pas pour toi, que les musées, c’est pas pour
toi, que la langue française, c’est pas pour toi… Maintenant,
j’aimerais juste être un journaliste français. Moi, j’ai été
recruté par des journaux parce que j’avais des contacts en
banlieue. Ils m’ont demandé de faire des papiers sur l’islam. Je
n’ai plus envie de faire ça. Et c’est pas facile aussi de voir
que dans les boîtes où j’ai bossé, il n’y a pas un Noir ou un
Arabe, à part les gens que tu croises le matin qui viennent
faire le ménage. Il y a des choses que je vis encore mal. La
dernière fois, je faisais un reportage sur un forcené planqué
chez lui. Il y avait quinze équipes de tournage. Et le seul mec
à qui un flic a demandé sa carte de presse et ce qu’il faisait
là, c’était moi. Ça devrait me passer dessus, mais ça m’est de
plus en plus insupportable.»
«La neige, un truc de Blancs»
Au printemps 2008, Nadir s’est lancé dans un projet fou.
L’ascension de l’Everest. Parce qu’il «étouffait» et
voulait faire un truc un peu «barge», pour «se
réconcilier avec [son] identité, devenir le premier
Franco-Algérien à atteindre le sommet». «La neige, même
si ça fait cliché de le dire, c’est un truc de Blancs. Ça coûte
super cher. Je suis allé voir des sponsors, ils m’ont pris pour
un mytho, un Rebeu qui veut monter sur la montagne. Ça m’a
encore plus donné la gniaque.» C’est une parabole de sa vie
qu’il racontera dans un prochain livre (avant, dit-il, de passer
à tout autre chose, «d’écrire le truc le plus universel qui
soit, une histoire d’amour»). «J’ai bidonné, pour faire
croire à l’organisation que j’avais déjà grimpé sur des sommets.
Ça a été ultra-dur. Je suis tombé sur des bâtards, des Anglais,
des Américains qui n’ont fait que me casser les couilles en me
disant qu’ils étaient venus nous défendre en 1942 et qu’on les
laissait tout seuls en Irak. Moi, ce que je voulais, c’est
brandir au sommet un drapeau français et algérien.»
Nadir est arrivé au sommet. Pas le drapeau tricolore. «Je
l’ai perdu en chemin. Soyons honnêtes, j’ai pas trop insisté
pour le retrouver. Parce qu’au fur et à mesure de l’ascension,
j’ai pris dans la gueule une espèce de constat d’échec. J’ai
voulu dire "vous avez gagné" à tous ceux qui m’ont
toujours considéré comme un "Français… mais", et pas comme un
Français à part entière. Et quand je suis redescendu, j’ai eu un
peu les boules. J’en ai chialé. Je me suis dit que j’avais raté
une occasion.» A côté du fanion algérien (
«pour remercier mes parents»), Nadir a quand même bricolé
un drapeau de la Seine-Saint-Denis, avec le numéro de son
département, le 93, dans un cœur.
(1) Lettre ouverte à un fils d’immigré.
Editions Danger Public, 180 pages
Le sommaire de Nadir Dendoune
Le
manifeste du Collectif 24H sans nous
Publié le 16 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de
Quartier sans cible
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