Opinion
La guerre d'Irak
dix ans après :
un tournant pour l'impérialisme
américain
Bill van
Auken - David North
Jeudi 21 mars 2013
Aujourd'hui marque le dixième
anniversaire de l'invasion
anglo-américaine de l'Irak. Il y a dix
ans, le monde regardait la campagne de
bombardements dite « choc et stupeur »
enflammer le ciel nocturne de Bagdad
avec des nuages gonflés de flammes et de
fumées.
Cette campagne et
les dix années sanglantes d'occupation
qui ont suivi ont eu un effet
dévastateur sur un pays qui faisait
partie des sociétés les plus avancées du
Moyen-Orient. Des centaines de milliers
de civils irakiens ont été tués et des
millions ont été mis à la rue.
La manière dont
l'armée américaine a mené la guerre a
créé des crimes d'une ampleur
vertigineuse. Parmi ceux-ci, la
transformation de Falludja, ville de 350
000 personnes, en une zone de tir à vue,
le bombardement de ses résidents avec
des bombes au phosphore blanc,
interdites par le droit international,
et l'exécution sommaire de prisonniers
blessés. Dix ans plus tard, à Falludja
le taux de cancer chez les enfants et
d'anomalies à la naissance est
comparable à ceux d'Hiroshima après le
largage de la bombe atomique.
La divulgation des
photographies écoeurantes d'Abu Ghraib a
soulevé un coin du voile sur le
caractère barbare de cette guerre, qui
impliquait l'usage systématique de la
torture, des escadrons de la mort et de
massacres sectaires pour terroriser la
population irakienne afin qu'elle se
soumette.
Les Irakiens
continuent à mourir de la violence
sectaire déchaînée contre eux par la
guerre ainsi que de la destruction des
infrastructures qui les a privés d'eau
potable, de services de santé et
d'autres éléments essentiels à la vie.
Un million d'enfants de moins de 18 ans
ont perdu au moins un de leurs deux
parents, et des centaines de milliers
souffrent de graves blessures.
Aux États-Unis
aussi, en plus de la mort de près de
4500 soldats, 34 000 sont rentrés
blessés et des centaines de milliers
souffrent de traumatismes
psychologiques.
Tous ces meurtres
et cette violence ont été perpétrés sur
la base de mensonges, résumés dans
l'affirmation que le gouvernement
Irakien cachait « des armes de
destruction massive. » Ces prétextes
faux pour lancer cette guerre ne sont
pas moins criminels que ceux utilisés
par le troisième Reich pour justifier
l'invasion de la Pologne et des autres
pays que l'Allemagne visait au début de
la deuxième Guerre mondiale.
Si la jurisprudence
établie à Nuremberg par le procès des
dirigeants nazis survivants à la fin de
la guerre avait été suivie, tous les
responsables de l'invasion de l'Irak –
en premier lieu George W. Bush, Dick
Cheney, Donald Rumsfeld, Colin Powell et
Condoleeza Rice – auraient été traduits
en justice et, à tout le moins, envoyés
en prison pour le restant de leurs
jours.
Au Royaume-Uni, le
même sort aurait été réservé à
l'ex-Premier ministre Tony Blair et à
d'autres dans son gouvernement.
Si les Nazis
étaient coupables du déclenchement d'une
guerre en Europe qui a abouti à un
génocide, le lancement de la guerre
contre l'Irak par Washington a entraîné
un sociocide, la destruction
systématique d'une société. Après plus
d'une dizaine d'années de sanctions
économiques sévères, toute la puissance
de l'armée américaine a été employée
pour réduire en lambeaux ce qu'il
restait de l'économie du pays, de ses
infrastructures et de son tissu social.
Tous les grands
médias ont été complices du lancement de
la guerre, répétant les prétextes de
l'agression qu'ils savaient être faux.
En particulier, le New York Times
a joué un rôle indispensable pour
légitimer les actions du gouvernement
Bush et concocter des « preuves » des
armes de destruction massive irakiennes
qui n'existaient pas. Des faiseurs
d'opinion bien en vue comme Thomas
Friedman du Times et Richard
Cohen ou Charles Krauthammer du
Washington Post se sont profondément
impliqués dans la promotion de la
guerre.
Une fois l'invasion
lancée, des journalistes « incorporés [embedded]
» ont servi de propagandistes à l'armée
américaine, tout en dissimulant
soigneusement les atrocités de la guerre
et ses effets dévastateurs.
Cette guerre,
démesurée par la criminalité de sa
préparation comme de son exécution, a
marqué un tournant essentiel dans
l'histoire de l'impérialisme américain.
Même si cette guerre s'est terminée dans
le chaos, avec les mensonges utilisés
pour la justifier démasqués et, d'un
point de vue opérationnel, largement
considérée comme un désastre total, elle
a néanmoins créé les conditions
nécessaires pour l'intensification de la
guerre en Afghanistan et l'éruption
toujours plus grande du militarisme
américain sur la planète.
L'Irak a été une
guerre impérialiste prédatrice. Elle a
été menée dans le cadre d'une stratégie
américaine qui incubait depuis longtemps
pour réorganiser le Moyen-Orient afin de
garantir les intérêts américains et de
contrôler les vastes ressources
énergétiques de la région.
Derrière cette
stratégie, il y avait un effort pour
compenser l'intensification de la crise
économique par l'usage de la force
militaire. En même temps, la « guerre
choisie » a servi de moyen pour
détourner les tensions sociales
explosives générées par l'inégalité
sociale à l'intérieur du pays vers
l'extérieur sous forme de violence
militaire.
En poursuivant ces
objectifs, les attaques terroristes du
11 septembre n'ont jamais rien
représenté de plus qu'un prétexte
cynique. Le régime de Saddam Hussein,
quels que soient ses crimes contre le
peuple irakien, était laïc, un ennemi
d'Al Quaïda et en rien impliqué dans le
11 septembre.
A cet égard, cette
guerre a établi un mode opératoire pour
Washington: mener des interventions au
Moyen-Orient pour changer les régimes en
place, cibler des gouvernements laïcs et
soutenir tacitement ou directement des
forces islamistes et liées à Al Quaïda
pour atteindre ses objectifs. Ce fut le
cas en Libye en 2011 et ça l'est
aujourd'hui en Syrie.
Pendant ce temps,
l'interminable « guerre mondiale contre
le terrorisme » dont l'Irak était censé
être la clef de voûte, s'est accompagnée
d'une accumulation sans précédent de
pouvoir par l'Etat et son appareil
militaire et de renseignement ainsi que
par une intensification des atteintes
aux droits démocratiques aux États-Unis
et dans le monde entier. Sous le
gouvernement Obama, cela a atteint le
stade où le président revendique le
droit d'ordonner l'exécution de citoyens
américains par des frappes de drones
sans présenter de chefs d'accusation et
encore moins d'avoir à les prouver
devant un tribunal.
La guerre d'Irak a
représenté un tournant non seulement
pour l'impérialisme américain, mais
aussi pour l'évolution politique de
l'Europe. À l'exception de la
Grande-Bretagne, la bourgeoisie
européenne avait adopté une attitude
prudente durant la préparation de
l'invasion américaine, exprimant dans
bien des cas des réserves et des
désaccords. Cependant, après une série
de conflits publics, les puissances
européennes ont modifié leur position,
en venant à considérer cette guerre
comme une opportunité pour un
impérialisme non entravé dans lequel
elles pourraient elles aussi prendre
part au pillage.
Les suites de la
guerre ont également vu une dérive très
forte vers la droite de la part des
partis ostensiblement anti-guerre,
lesquels ont abandonné la prétention à
s'opposer à l'impérialisme. N'ayant fait
aucune tentative de mobiliser la large
opposition populaire qui avait émergé
spontanément en des manifestations
massives sur toute la surface du globe à
la veille de l'invasion américaine, ces
forces ont évolué rapidement pour
s'aligner derrière l'intervention
impérialiste et la soutenir. Les
organisations politiques allant des
Verts en Allemagne à Rifondazione
Communista en Italie ont directement
soutenu la guerre en Afghanistan.
Aux États-Unis
mêmes, le mouvement anti-guerre officiel
a travaillé sans relâche pour canaliser
l'opposition populaire massive à la
guerre d'Irak derrière les Démocrates,
qui ont voté au Congrès pour la financer
jusqu'au bout. Avec l'élection d'Obama,
les éléments de la pseudo-gauche sont
devenus des partisans entièrement
assumés des opérations de l'armée
américaine, promouvant des interventions
« humanitaires » en Libye et en Syrie.
L'Irak a démenti
toutes les affirmations de ceux qui
prétendent que nous vivons dans un monde
post-impérialiste. L'escalade des
opérations impérialistes se poursuit
dans le monde entier. Le retrait des
troupes américaines d'Irak et le retrait
toujours en cours d'Afghanistan
n'indiquent pas, comme l'a répété Obama,
que la « vague de guerres se retire, »
mais il indique plutôt que l'on libère
des effectifs et des ressources
militaires pour des interventions encore
plus importantes ailleurs.
Alors même qu'il
poursuit sa guerre en Afghanistan,
Washington est en train de d'avancer de
façon agressive en Afrique, intervenant
en Syrie, préparant la guerre contre
l'Iran et le « pivot » en Asie, avec des
menaces de plus en plus belliqueuses
contre la Chine.
De nouvelles
guerres sont inévitables, alimentées par
la crise insoluble du capitalisme
américain et mondial. Elles sont
facilitées pour une bonne partie par le
fait que les crimes de la guerre d'Irak
sont restés impunis.
Personne n'a été
tenu responsable, en application du
droit international, pour avoir préparé
et mené une guerre d'agression qui a
coûté la vie à des centaines de milliers
d'êtres humains, ni les politiciens qui
l'ont conçue, ni les généraux qui l'ont
menée, ni les journalistes qui nous ont
servi les mensonges pour la promouvoir.
Certains se sont vus récompensés par des
postes élevés dans les universités,
comme Condoleeza Rice à l'université de
Stanford. D'autres bénéficient d'une
retraite confortable, ou sont membres de
divers conseils d'administration dans de
grandes entreprises ou dans des think
tanks, ou mènent d'autres activités
lucratives. Les pontes des médias
continuent à pontifier comme si de rien
n'était.
Ce crime politique
impuni a eu des conséquences très
profondes partout sur la planète, et
l'intensification du néocolonialisme
impérialiste a préparé le terrain pour
de nouvelles conflagrations.
Des leçons très
profondes suscitant la réflexion doivent
être tirées de cette guerre, qui, loin
d'avoir été un épisode isolé, relégué au
passé, continue à définir
l'environnement politique d'aujourd'hui.
L'expérience de la guerre d'Irak
démontre que la lutte contre la guerre,
qui est au cœur de la vie politique dans
chaque pays, ne peut pas être menée tant
que la classe ouvrière est liée aux
partis politiques qui mènent ces guerres
et qu'elle reste soumise au système
économique capitaliste qui les rend
inévitables.
Dix ans après
l'invasion de l'Irak, il faut dire que
l'unique voix fermement opposée à cette
guerre a été celle du World Socialist
Web Site et du Comité international
de la Quatrième Internationale. Les
déclarations qui nous avons écrites,
avant et pendant la guerre d'Irak,
témoignent des positions politiques
fondées sur des principes de ce
mouvement et de la puissance d'une
perspective marxiste.
La lutte contre la
guerre aujourd'hui requiert la
construction du Parti de l'égalité
socialiste.
(Article original
paru le 19 mars 2013)
Voir aussi :
La crise du capitalisme américain et la
guerre contre l'Irak
Copyright 1998 - 2012 - World Socialist
Web Site - Tous droits réservés
Publié le 21 mars 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
Le
dossier Irak
Les dernières mises à jour
|