Opinion
Les Etats-Unis et
Kadhafi:
Les assassins réclament une enquête
criminelle
Bill
Van Auken
Mercredi 26 octobre 2011
La secrétaire d'Etat américaine, Hillary
Clinton, a solennellement annoncé
dimanche que Washington « appuyait
fortement les appels » à une enquête
indépendante sur le meurtre barbare du
chef d'Etat libyen évincé, Mouammar
Kadhadi.
Sur quoi exactement Mme Clinton
veut-elle enquêter qu'elle ne connaît
pas déjà ?
Kadhafi a été capture jeudi alors qu'il
fuyait sa ville natale de Syrte. Au
cours du mois précédent, Syrte avait
subi un bombardement continu de l'OTAN
et un siège brutal des soi-disant
« rebelles » qui ont détruit la ville en
causant la mort d'un nombre incalculable
de civils et de blessés.
Son convoi, détecté par des avions
espions américains, fut d'abord attaqué
par un drone Predator américain qui
était téléguidé depuis une base aérienne
au Nevada. Un avion de surveillance
américain AWAC a ensuite fait appel à
des avions de combat français qui ont
largué deux bombes de 500 livres sur les
véhicules dans lesquels se trouvaient le
colonel Kadhafi et son entourage.
Les frappes aériennes ont laissé des
dizaines de morts et le dirigeant libyen
blessé. Il fut ensuite pourchassé par
les « rebelles » soutenus par l'OTAN qui
agissaient en accord avec des
« conseillers » des forces des unités
spéciales britanniques SAS.
Les derniers moments de Kadhafi ont été
enregistrés par un nombre de séquences
vidéo agitées et filmées avec les
téléphones portables de ses assaillants.
Elles montrent un Kadhafi blessé hurlant
et résistant faiblement à une horde de
miliciens frénétiques qui sont en train
de le provoquer et de l'attaquer alors
qu'il crie « Allahou Akbar » - « Dieu
est grand ». Il est traîné, frappé à
coups de pied et battu jusqu'au sang à
coups de fusils et de poings avant
d'être jeté sur le capot d'un véhicule.
Une séquence montre un pistolet près de
sa tête puis son corps sur le trottoir
alors que du sang coule de l'arrière de
son crâne.
Comme l'a dit laconiquement l'un des
membres du Conseil national de
transition (CNT) soutenu par l'OTAN basé
à Benghazi, « Ils l'ont battu très
durement puis ils l'ont tué. »
A la question posée à Clinton par
Christiane Amanpour de la chaîne
américaine ABC quant à sa « réaction
première » aux horribles séquences vidéo
des téléphones portables, Clinton a
répondu, « Eh bien Christiane, vous
savez, personne ne veut bien évidemment
voir un être humain dans cet état. »
Les déclarations de Clinton avaient
manifestement été bien préparées et
visaient à apaiser le dégoût provoqué
dans le monde par les vues du lynchage
de Kadhafi. Quant à sa « réaction
première », elle avait été révélée le
jour de l'assassinat même, lorsqu'elle
avait ri en disant à un journaliste,
« Nous sommes venus, nous avons vu, il
est mort. »
En effet, 48 heures à peine avant le
lynchage de Kadhafi, la secrétaire
d'Etat américaine s'était envolée pour
Tripoli où elle avait déclaré que le
dirigeant libyen devait être « capturé
mort ou vif, » dès que possible.
Il s'agissait difficilement d'une
boutade. La guerre Etats-Unis/OTAN
contre la Libye qui a duré huit mois a
été menée dans le but d'un « changement
de régime » pour renverser Kadhafi et
mettre en place un régime marionnette
qui répondra plus docilement aux
attentes de Washington et de ses alliés
de l'OTAN, ainsi que des grands
conglomérats énergétiques occidentaux.
En utilisant comme couverture les
soulèvements populaires survenus en
Tunisie et dans l'Egypte avoisinantes,
les Etats-Unis et leurs alliés ont
délibérément fomenté en Libye une
confrontation armée pour ensuite
chercher à rassembler un soutien pour
s'assurer de l'approbation de l'ONU pour
une intervention sous le faux prétexte
de protéger la vie des civils.
Sous cette bannière « humanitaire », ils
ont mené une guerre aérienne incessante
et criminelle contre ce pays d'Afrique
du Nord riche en pétrole tout en
effectuant sans cesse des tirs de
missiles et des bombardements qui
ciblaient Kadhafi et sa famille. Le 1er
mai, une frappe aérienne de missiles de
l'OTAN sur la résidence de Kadhafi à
Tripoli avait tué l'un de ses fils et
trois de ses petits-enfants. Tous les
moyens techniques des Etats-Unis et de
l'OTAN avaient été mis en oeuvre en
Libye dans le but de localiser le
dirigeant libyen pour le tuer.
Ce n'était pas non plus la première
tentative du genre. En 1969 déjà, comme
le révèle Henry Kissinger dans ses
mémoires, des discussions avaient eu
lieu au sein du gouvernement américain
au sujet d'une action secrète pour
assassiner Kadhafi, en raison surtout de
son nationalisme radical, son ingérence
dans le contrôle américano-saoudien de
la politique pétrolière de l'OPEP
(Organisation des pays exportateurs de
pétrole) et de sa fermeture de la plus
grande base aérienne du Pentagone sur le
continent africain. En 1986, le
gouvernement Reagan avait exécuté le
bombardement de la résidence-caserne de
Kadhafi à Tripoli. Et, dans les années
1990, les services secrets britanniques
MI6 avaient comploté avec des éléments
islamistes en vue de le tuer.
Alors qu'après la dissolution de l'Union
soviétique Kadhafi avait cherché à
s'arranger avec l'Occident en renonçant
aux « armes de destruction massive » et
en collaborant activement à la « guerre
mondiale contre le terrorisme » des
Etats-Unis, les puissances impérialistes
n'ont ni pardonné ni oublié ses
infractions d'antan.
Quant à Hillary Clinton et au
gouvernement Obama, le fait d'appeler à
une enquête sur le meurtre de Kadhafi
est de loin plus que du cynisme. C'est
comme si le gouvernement Eisenhower
avait exigé une enquête sur l'assassinat
de Patrice Lumumba, ou si la Maison
Blanche de Nixon avait demandé une
enquête internationale sur la mort de
Salvador Allende.
La principale différence est qu'à
l'époque c'était la CIA qui était connue
comme « Murder Inc. » (Cie des
assassinats) pour ses opérations
secrètes. A présent, le gouvernement
américain dans son ensemble préconise
ouvertement et sans complexe
l'assassinat comme un outil principal de
la politique étrangère.
A trois reprises, en moins de six mois,
le président Obama était venu parader
devant les caméras de télévision pour
annoncer des exécutions illégales. En
mai dernier, il s'agissait de la
liquidation d'Oussama ben Laden qui, non
armé, fut tué par balle par des forces
spéciales américaines. En septembre, eut
lieu l'assassinat au Yémen par un
missile hellfire d'un citoyen américain,
Anwar-al-Awlaki. Un deuxième citoyen
américain, Samir Khan, fut tué au cours
d'une attaque. Et maintenant, Obama
revendique le mérite du lynchage de
Kadhafi.
D'innombrables autres personnes ont été
assassinées de la même manière avec
moins de tapage au Pakistan, au Yémen,
en Somalie et ailleurs. Deux semaines
après le meurtre d'Awlaki, un missile
hellfire a coûté la vie à son fils,
Abdulrahman âgé de 16 ans, et qui, tout
comme son père, était un citoyen
américain né aux Etats-Unis. Cette
attaque, qui a tué huit autres
personnes, la plupart d'entre eux des
mineurs, n'a pratiquement pas été
signalée dans les médias américains.
Au lieu de cela, les magnats de la
presse discutent pour savoir si ces
« succès de la politique étrangère »
contribueront à faire réélire le
président, avec Obama se présentant
vraisemblablement aux élections avec son
score record d'« assassin en chef » qui
approuve les « kill lists »(listes de
personnes à tuer) établies par le comité
secret qui est effectivement devenu un
nouveau service extraconstitutionnel du
gouvernement américain.
Le meurtre sauvage de Mouammar Kadhafi
est emblématique d'une politique
illégale et violente de la part de
l'élite dirigeante américaine qui
cherche désespérément à compenser le
déclin économique du capitalisme
américain par une série sans fin de
guerres et de provocations destinées à
prendre le contrôle des ressources
vitales et des marchés.
Obama et Hillary Clinton croient, à
juste titre, qu'ils n'ont rien à
craindre d'une enquête des Nations unies
ou de la Cour pénale internationale sur
le meurtre de Kadhafi. Néanmoins, la
tentative irresponsable de réimposer le
colonialisme au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord ne résoudra pas mais, au
contraire, ne fera qu'exacerber les
insolubles contradictions économiques et
sociales et la crise du capitalisme
américain et mondial.
La crise entraînera la classe ouvrière
dans une lutte internationale en créant
les conditions d'un règlement de compte
révolutionnaire avec les crimes de
l'impérialisme américain.
(Article original paru le 24 octobre
2011)
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Publié le 26 octobre 2011 avec
l'aimable autorisation du WSWS
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