Tunisie
Plaidoyer : Crime
contre l'enfance en Tunisie
Basma Krichene
Jeudi 22 août 2013
100.000
élèves ont abandonné l'école au cours de
la dernière année scolaire. La Tunisie
est à la veille d'une crise sociale sans
précédent : délinquance juvénile,
criminalité, terrorisme, enfants de la
rue, prostitution, contrebande... A qui
profite le crime?
Par
Basma Krichene*
Le ministère de l'Education vient de
nous informer que le nombre d'abandon
scolaire pour l'année éducative écoulée
a
atteint 100.000 élèves. Information
dramatique – distillée à dessein en
pleine période estivale – qui va avoir
des répercussions lourdes sur l'indice
de développement humain de la Tunisie et
aura sans doute un effet similaire à
celui relatif à l'abaissement dramatique
de la note souveraine de notre pays par
les agences internationales de notation.
On se rappelle que depuis 2011,
l'ex-ministre des Affaires sociales,
Mohamed Ennaceur, a surpris les
Tunisiens en annonçant que près du
quart des Tunisiens vivent en-dessous du
seuil de la pauvreté, chiffre
malheureusement contesté partiellement
par son successeur, sans doute pour ne
pas prendre les mesures qui s'imposent
et pour éviter de mettre la main dans la
poche.
Une enquête
occultée
L'information divulguée par le
ministère de l'Education ne fait que
noircir davantage les perspectives
socio-économiques du pays. Or, des
données similaires fournies par ledit
ministère étaient déjà disponibles
depuis janvier 2013 mais ne viennent
d'être révélées qu'il y a 2 jours
seulement.
Pourtant, les résultats préliminaires
de l'enquête nationale – financée par
l'Unicef – par grappe à indicateurs
multiples sur la situation des enfants
et des femmes en Tunisie (MICS 4) ont
été divulgués – partiellement – dès le
29 janvier 2013 (voir
site web de l'Unicef) au cours d'une
conférence de presse tenue au ministère
du Développement régional et de la
Planification.
Les
résultats du rapport de l'Unicef sont
évoqués au cours d'une conférence de
presse
au ministère du Développement régional,
le 19 janvier 2013.
A cet effet, la représentante de
l'Unicef, Maria Luisa Fornara, n'a pas
manqué de souligner que «l'analyse
selon les variables géographiques ou
socio-économiques démontre de fortes
disparités sur certains indicateurs
notamment dans la déscolarisation, la
malnutrition et la mortalité maternelle
et infantile». La représentante de
l'Unicef en Tunisie a même rencontré le
président provisoire de la république,
Moncef Marzouki, en février 2013, et a
notamment évoqué le problème de
l'abandon scolaire (voir
site web de l'Unicef).
Questions cruciales :
- pourquoi a-t-on occulté les
résultats de l'enquête et le chiffre
alarmant de l'abandon scolaire?
- a-t-en informé les députés de
l'Assemblée nationale constituante (ANC)
et les partis politiques des résultats
de l'enquête et où est passé le rapport
sur la situation de l'enfance au titre
de 2012?
- quelle est la stratégie du
gouvernement pour remédier au problème?
Les réponses à ces questions vont
montrer l'ampleur des dysfonctionnements
au sommet du gouvernement et
éventuellement une certaine complicité
de l'Institut national de la statistique
(INS) qui continue de nous dire que tout
va bien, voire même de L'Unicef, qui se
montre trop conciliant.
Le ministère des Affaires de la Femme
et de la Famille est actuellement en
charge de l'enfance et doit de par la
loi préparer chaque année un rapport sur
la situation de l'enfance en Tunisie. Ce
rapport destiné entre autre aux
instances internationales dont l'Unicef
est d'habitude publié au courant du mois
de janvier mais manifestement ledit
ministère ne semble pas pressé de le
publier.
La
représentante de l'Unicef, Maria Luisa
Fornara,
remet le rapport au président provisoire
de la république, en février 2013.
Le
ministère de Mme Badi aux abonnés
absents
Le ministère des Affaires de la femme
dispose, en fait, d'une direction
générale de l'enfance, d'un observatoire
de l'enfance, d'une armée de délégués à
la protection de l'enfance – une
cinquantaine dont la moitié est
motorisée – chargée de relever toutes
les atteintes touchant aux droits des
enfants et toutes les situations de
menace ou de violence ou d'agression ou
d'exploitation touchant aux enfants et
d'y remédier. Mais alors que les données
du ministère de l'Education et de l'INS
indiquent qu'il y a 100.000 cas
d'abandon scolaires dont 10.000 élèves
relevant uniquement de l'enseignement
primaire sensé être obligatoire, les
statistiques présentées par le ministère
de la Femme sur son site web indiquent
que l'ensemble des signalements reçus ne
dépassent pas les 6.000 cas en 2012
toutes menaces confondues – y compris
abandon scolaire, viol, exploitation
économique, harcèlement sexuel...).
C'est dire à quel point le dispositif
des délégués est défaillant et semble
constituer une menace pour l'enfance,
sans que l'actuelle ministre ne
parvienne à s'en apercevoir deux ans
après sa nomination.
A cet effet, le simple suivi avec les
directeurs d'établissements scolaires
aurait permis d'améliorer d'une manière
consistante l'information sur les
menaces pesant sur les enfants sauf si
on opte pour le moindre effort.
Marzouki
avec la ministre en charge de l'enfance
Sihem Badi:
la politique politicienne passe avant
les problèmes de l'enfance qui peuvent
attendre.
Sachant que l'Etat Tunisien est
signataire de la Convention
internationale des Droits de l'Enfant
depuis un quart de siècle et qu'il s'est
engagé à «prendre toutes les mesures
législatives, administratives et autres
qui sont nécessaires pour mettre en
œuvre les droits – éducation, santé... –
reconnus dans ladite Convention»,
force est de signaler que l'actuel
gouvernement n'a pris aucune mesure pour
désamorcer une véritable bombe à
retardement qui risque d'exploser à la
figure du futur gouvernement.
Cent mille élèves déscolarisés en une
année, soit 5% de la population
scolarisée – dans un pays où
l'enseignement de base est (jusqu'à
l'âge de 15 ans) obligatoire –
n'augurent rien de bon car sans doute le
taux cumulé d'abandon serait de l'ordre
de 20% au moins.
On est sans doute à la veille d'une
crise sociale sans précédent et la
rupture est proche tant on a tardé à
prendre les mesures qui s'imposent à
temps. Délinquance juvénile,
criminalité, terrorisme, enfants de la
rue, prostitution, contrebande... ne
sont que le fruit de notre incompétence,
insouciance et des calculs politiques
mesquins.
* Educatrice.
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Publié le 22 août 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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