|
Affaires Stratégiques
De la dite « Révolution iranienne »,
ou pourquoi il faut relire Roger Chartier
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
Jeudi 25 juin 2009
Les événements qui courent en Iran depuis la proclamation des
résultats des élections présidentielles controversées du 12 juin
2009 auront probablement de quoi dérouter plus d’une personne.
Et, une fois n’est pas coutume, le tout ici n’est pas qu’affaire
de simple désinvolture médiatique. La chape de plomb et les
pressions exercées par les autorités iraniennes sur les
journalistes et médias nationaux comme étrangers, outre qu’elle
est à la fois absurde et condamnable, mène aussi à un effet
pervers : l’impossibilité qu’il y a à se rendre compte de ce qui
se passe précisément sur le terrain. Les torts
du régime iranien
Le pouvoir iranien n’aura dès lors pas à
s’étonner de voir que l’essentiel du relais de l’information se
fait à travers des images chocs. De plus, celles-ci expriment
quasi-exclusivement la brutalité de la répression exercée à
l’encontre de mouvements de manifestants ralliés à tout sauf au
président Mahmoud Ahmadinejad. Ce sont en effet ces seuls types
d’images qui filtrent aujourd’hui au départ de différents relais
présents sur place (appareils portables et numériques pour
beaucoup, dont on retrouve ensuite les images via Internet) ; et
ce sont ces mêmes films amateurs, qui ne sont naturellement
tournés que dans les lieux où l’agitation se fait la plus forte,
qui donnent l’impression que tout le pays serait en proie à un
tel chaos. Sur ce plan, le régime iranien a bel et bien perdu la
bataille de l’information, lui qui a tout simplement refusé d’en
jouer le jeu, à une époque pourtant où les enjeux médiatiques
comptent au rang des éléments pouvant imposer leurs marques à
l’interprétation des relations internationales. On eut pourtant
cru que les leçons de la prison irakienne d’Abu Ghraib eurent pu
être assimilées par un régime qui demeure, malgré certaines
apparences, loin d’être né de la dernière pluie.
Des fantasmes démesurés ?
Cela étant dit, cette omerta exercée sur la
réalité des évolutions iraniennes ne rend pas moins hasardeuse
la fantasmagorie entretenue par beaucoup des critiques du régime
islamique iranien. La rhétorique agressive et injustifiée de
Mahmoud Ahmadinejad face à des questions aussi sensibles que
Israël, le conflit israélo-palestinien, l’Holocauste, ou encore
le nucléaire a bien évidemment desservi le régime en place. Qui
plus est, celui-ci n’a même pas réussi à faire que ce type de
déclarations, qui n’engageaient d’ailleurs que lui-même,
n’entravent pas la mise en place de meilleures conditions
sociales comme économiques pour les Iraniens. Résultat : la
cocotte-minute iranienne a atteint le maximum de ses capacités,
et une partie non négligeable des citoyens du pays semble
refuser le réengagement du pays pour quatre ans de pénitence
supplémentaire. Mais cela n’aurait pas pour autant dû nous
empêcher de nous poser les bonnes questions. Et de nous demander
par exemple :
Pourquoi
le présupposé de base passe, dans l’approche des médias en
général, par une disqualification d’office de la réélection de
Mahmoud Ahmadinejad par une majorité de citoyens iraniens, alors
que rien n’empêche de penser, même si à titre forcément
hypothétique à ce stade, que des fraudes effectives auraient pu
effectivement gonfler le résultat sans pour autant le
bouleverser ?
Pourquoi
l’idée acquise par les médias passe par une insistance sur ce
ras-le-bol général qu’aurait une majorité d’Iraniens vis-à-vis
de la structuration (islamique et « mollahisée »)
du régime iranien, alors que le candidat malheureux Hossein
Moussavi, qui avait d’ailleurs établi un programme présidentiel
très complet et potentiellement prometteur pour l’avenir du
pays, est à mille lieues de vouloir – ou même de pouvoir –
remettre en cause cette essence philosophique du régime ?
Pourquoi
l’inscription en faux contre M. Ahmadinejad en vient à occulter
le caractère pourtant critiquable d’un H. Moussavi (à l’époque
où il fut Premier ministre entre 1981 et 1989) ou d’un Hashemi
Rafsandjani (ancien président de la République, connu pour ses
malversations financières, et resté longtemps un
anti-réformateur acharné), alors que l’on sait pertinemment que,
quelles que soient les évolutions à venir en Iran, elles feront
tout sauf pousser ce pays « dans les bras de
l’Occident » ?
La réponse est simple : elle passe par le
fait que les pays occidentaux de manière générale tablent, à
défaut d’un bouleversement radical des orientations politiques
du régime iranien, sur un éventuel parasitage de sa course vers
le nucléaire au départ de ses évolutions actuelles. Dit
autrement, à leurs yeux, qui dit blocage du processus politique
annoncé, dit autant de temps gagné vis-à-vis d’un pays dont le
renforcement régional est redouté, sans pour autant que
quiconque ait les moyens de le stopper. Et pour le reste, qui
vivra verra, semble-t-on devoir comprendre.
Révolution ou quête d’évolutions ?
Pour autant, on ne peut qu’être critique et
circonspect devant les tenants d’un optimisme démesuré dans
l’hypothèse où M. Ahmadinejad venait à devoir céder la main. On
a en effet tendance à oublier que le Shah Pahlavi lui-même,
aussi pro-occidental ait-il été le long de son règne, n’est
pourtant jamais allé jusqu’à contracter un traité de paix avec
Israël, par crainte de réactions négatives et violentes de la
part de son peuple ; peut-on raisonnablement penser qu’il en
soit autrement aujourd’hui ? Très probablement non.
De la même manière, les Iraniens sont conscients de certaines
réalités historiques, que tout le monde peine à rappeler dans
les pays occidentaux. Parmi celles-ci : l’ampleur de la
répression exercée par le Shah Pahlavi vis-à-vis de son peuple à
partir de la fin de l’année 1978, et qui avait été le résultat,
non seulement d’un feu vert, mais d’une demande de la part du
président américain de l’époque, Jimmy Carter. Celui-ci, attaché
qu’il était au respect des droits de l’homme, ne portait en rien
le Shah dans son cœur, malgré les apparences ; pourtant, la
raison d’Etat primant souvent sur les principes, il préférera
fournir au souverain iranien les moyens d’une répression
violente et massive, plutôt que de le voir le céder à un/des
successeur(s) entièrement fermé(s) à la composition avec
Washington. Certes, un tel parallèle ne peut être dressé de
manière absolue avec la situation actuelle, et il va de soi que
Barack Obama n’a, de toutes façons, aucune raison d’être attaché
à un maintien du régime iranien actuel, ce qui annule la
réitération d’un scénario similaire à celui de 1978-1979.
Néanmoins, les Iraniens n’ont pas la mémoire courte, et s’ils
sont nombreux aujourd’hui à rejeter un M. Ahmadinejad, cela ne
veut pas pour autant dire qu’ils s’envisagent dans un avenir
politique en rupture totale avec l’ensemble des conceptions de
celui-ci. L’américano-scepticisme, au même titre que l’occidentalo-scepticisme
en général, ainsi que la méfiance vis-à-vis des Arabes, des
sunnites, et des non-Persans en général, est partie intégrante
d’une certaine forme d’esprit national iranien. Et, en ce sens,
on a tout aussi tort de vouloir interpréter les aspirations
iraniennes à la modernité comme étant la preuve d’un
pro-occidentalisme fort de leur part. Les rancoeurs de beaucoup
d’Iraniens vis-à-vis des Occidentaux en général sont, réalités
historiques obligent, encore trop présentes dans les esprits
pour que l’on puisse parler d’un potentiel climat de confiance.
Et c’est pourquoi même le plus réformateur des hommes politiques
iraniens, s’il venait à accéder au pouvoir un jour prochain, ne
pourra en rien faire l’économie d’un rehaussement des
infrastructures et du niveau de vie moyen des Iraniens avant de
pouvoir envisager éventuellement des alliances diplomatiques
renouvelées. C’est dire que les événements d’Iran s’inscrivent
d’autant plus dans le temps long que le régime, pour sa part,
semble bien loin de pouvoir vaciller.
Les leçons oubliées de l’histoire
Il convient enfin de souligner ici combien
l’entretien d’attentes démesurées vis-à-vis des évolutions
iraniennes nous aura finalement fait oublier certains
enseignements historiques précieux. Parmi ceux-ci, les faits
établis par Roger Chartier. Dans son lumineux essai intitulé
Les origines culturelles de la Révolution
française (Paris, Seuil, 1999), celui-ci démontrait en effet
avec brio que, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas
les livres qui ont fait la Révolution française, mais plutôt
l’inverse. Autrement dit, les interprétations a
posteriori nous auraient poussé à vouloir voir la Révolution
française comme étant le produit d’une conscience et d’un éveil
intellectuels et culturels des Français, alors que dans les
faits, il s’avère que ce sont plutôt des dynamiques sociales, et
endogènes, qui ont naturellement abouti à la Révolution. On ne
peut qu’être tenté, aujourd’hui, d’opérer un parallèle entre
cette idée forte de R. Chartier, et la situation courant en
Iran. D’aucuns vont en effet jusqu’à qualifier les événements
iraniens de « Révolution Twitter », en
référence au fameux site Internet qui procure une grande partie
des informations dont nous disposons sur ce qui se passe sur le
terrain. Or, c’est oublier là que, dans d’autres régions du
monde, les récentes révolutions « des roses »,
« orange », ou encore « des
tulipes » n’ont en rien entraîné le type de bouleversement
qui avait été initialement escompté ; pourquoi devrait-on voir
une exception dans la dite « Révolution verte »
iranienne ? L’aboutissement des événements iraniens est encore
incertain à l’heure qu’il est, certes ; mais il ne s’apparente
en rien à une nouvelle Révolution. Et quand bien même il le
deviendrait, il sera à interpréter à la lumière de dynamiques
essentiellement endogènes, et non pas au départ d’outils
communautaires et technologiques qui, aussi importants
soient-ils, ne sauraient nous faire oublier un fait fondamental.
A savoir que, des décennies durant, ce sont principalement les
ingérences étrangères qui ont porté un tort durable à l’Iran.
Tous les droits des auteurs des Œuvres protégées reproduites et
communiquées sur ce site, sont réservés.
Publié le 25 juin 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
|