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IRIS

Les relations franco-syriennes : Un pas en avant, deux pas en arrière ?
Barah Mikaïl


Barah Mikaïl - Photo IRIS

IRIS, 4 janvier 2008  

L’état actuel des relations franco-syriennes a bien de quoi en dérouter plus d’un. Depuis son accès à la présidence, Nicolas Sarkozy avait en effet donné l’impression de chercher à trancher avec les méthodes de son prédécesseur à l’Elysée. Il fera ainsi miroiter à l’adresse de Damas des carottes là où Jacques Chirac s’était avéré, du début de l’année 2005 jusqu’à la fin de son mandat, plus prompt à agiter des bâtons. Le « deal » proposé par le président français aux Syriens était clair : que ceux-ci fassent preuve de responsabilité en cessant leurs ingérences au Liban, et Paris saura les récompenser en retour. Quelle serait cette récompense ? Rien ne filtrera officiellement sur ce plan. Mais Damas, intéressé par le renouement de ses relations diplomatiques avec Paris, donnera l’impression d’acquiescer. Et Paris procédera effectivement au dégel de ses relations diplomatiques, ce dont témoigneront tant les navettes effectuées par des émissaires de l’Elysée vers la Syrie que les quelques coups de fil que le président français est réputé avoir passé ces dernières semaines à son homologue syrien. Sans oublier, fait loin d’être anodin, la rencontre qui réunira, le 2 novembre 2007, en marge de la conférence des pays voisins de l’Irak, les ministres des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, et syrien, Walid al-Moallem.

UNE RUPTURE SOUDAINE ?

C’est pourtant d’Egypte que le changement d’attitude français sera officialisé, lorsque N. Sarkozy, à l’occasion d’une visite officielle au Caire, déclarera le 30 décembre 2007 que son pays n’aurait plus de contact avec la Syrie tant que celle-ci ne faciliterait pas la désignation par les Libanais d’un président de consensus. L’acquiescement et l’appui du président égyptien Hosni Moubarak à ces propos ne seront en rien surprenants, tant les relations syro-égyptiennes, qui réagissent le plus souvent au diapason des relations syro-saoudiennes, sont loin d’avoir été au beau fixe particulièrement depuis les évolutions du conflit israélo-libanais de l’été 2006. Plus inattendue sera par contre l’officialisation par N. Sarkozy d’une telle et nouvelle attitude, tant l’endroit ne s’y prêtait pas forcément, et tant les efforts déployés ces derniers mois par la France à l’égard de la Syrie donnaient l’impression d’avoir finalement été écartés d’un revers de main, sans avertissement préalable.

Faut-il y déceler un coup de tête de la part du président français ? Pas forcément, et pour cause. En décembre 2007 déjà, B. Kouchner, suite à l’assassinat au Liban du général François al-Hajj, avait annulé une rencontre prévue à New York avec W. al-Moallem. Quelques jours plus tard, c’est le président français en personne qui fera montre de son impatience devant l’incapacité des principales formations politiques libanaises à se mettre d’accord sur le nom d’un successeur au président sortant Emile Lahoud. Dans un cas, comme dans l’autre, le message était clair : Damas était soupçonné d’avoir attenté à la vie du général libanais tout comme de ne pas faire le nécessaire pour permettre aux partis de l’opposition libanaise de valider la nomination du chef d’état major Michel Sleimane à la magistrature suprême. L’attitude du président français rejoindra ainsi, pour le coup, celle adoptée par J. Chirac environ trois ans plus tôt, quand celui-ci avait décidé de rompre tout contact diplomatique avec Damas, sous-entendant par là que le pays pourrait s’attendre au pire s’il ne changeait pas son attitude.

Mais comparaison n’est pas raison, et en ce sens, les motifs qui entretenaient naguère un J. Chirac ne sont pas nécessairement similaires à ceux qui animent son successeur. La réelle obsession anti-syrienne portée par l’ancien locataire de l’Elysée pouvait en effet puiser dans un ensemble d’explications fondées : politico-stratégiques (le logique étiolement du lien franco-syrien depuis la promotion par Paris et Washington de la résolution 1559 de l’ONU en appelant notamment à un retrait militaire syrien du Liban), politiques (la quête par la France d’un répondant syrien à ses exigences sur le Liban, en vain) mais aussi personnelles (l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri, qui sera vite imputé à la Syrie). Il n’est par contre en rien exagéré de vouloir considérer que les conceptions entretenues par N. Sarkozy pour ce qui relève du cas syrien le cèdent amplement moins à l’affectif (sans quoi le Colonel libyen Moammar Kaddhafi n’aurait probablement pas bénéficié de la sollicitude dont la capitale française aura amplement été témoin) et tout autant, sinon beaucoup plus, au pragmatisme. En ce sens, et quand bien même rien ne permet d’exclure le fait que le locataire actuel de l’Elysée soit effectivement convaincu de ce que Damas reste à même de faire la pluie et le beau temps au Liban, il convient de se demander aujourd’hui si l’embryon de dialogue entamé il y a peu entre Paris et Damas a pu être fondé sur quoi que ce soit de concret et de prometteur à terme, que ce soit pour les Syriens ou pour les Français eux-mêmes.

LE(S) PARADOXE(S) SYRIEN(S)

La formulation de l’équation politique syrienne est en effet bien moins complexe qu’il ne pourrait y paraître de prime abord. Damas revendique ainsi la restitution du plateau du Golan, occupé par l’Etat hébreu depuis juin 1967 et annexé en 1981, comme condition sine qua non pour la conclusion d’un traité de paix avec Israël ; or, l’on voit mal comment N. Sarkozy pourrait réussir sur une question que les Etats-Unis ne cherchent même pas à évoquer, tant elle se heurte à une intransigeance israélienne qui ne varie généralement que très peu. Quant à la France, elle rejoint les Etats-Unis sur la nécessité qu’il y aurait selon eux de défaire l’alliance stratégique nouée aujourd’hui encore entre Damas et Téhéran ; or, comment y parvenir, alors que la Syrie trouve des motifs de protection auprès de l’Iran, que parachève allègrement la forte portée des relations l’entretenant tant au Hezbollah libanais qu’au Hamas palestinien, sans oublier l’abri qu’elle fournit à plusieurs anciens baasistes irakiens réfugiés sur son territoire et réputés avoir des connexions avec certains des groupes rebelles engagés en Irak dans des actions anti-coalition ? Qui plus est, l’importance stratégique de la Syrie s’est considérablement étiolée depuis son retrait forcé du Liban en avril 2005, et son économie cacochyme, combinée à la rareté des ressources énergétiques en présence sur son territoire, en font un pays certes encore doté de capacités sur le plan diplomatique, mais pourtant peu susceptible d’attirer vers lui la sollicitude des pays occidentaux, sauf à le voir se soumettre pleinement aux demandes et conditions de ces derniers.

Or, les logiques prévalant dans le cas du régime syrien font la part belle à des options souveraines – encore - basées sur les fondements idéologiques du nationalisme arabe. Cette posture, si elle peut encore trouver un répondant sincère auprès de certains éléments de l’appareil d’Etat, s’avère surtout être, par la force des choses, l’une des conditions sine qua non pour la stabilité du régime. La sclérose des institutions politiques syriennes n’est en effet plus à prouver, et la forte corruption régnant dans le pays, combinée à un impossible renouvellement générationnel de l’appareil d’état, ne sont pas là pour faciliter la tâche. Dans ce contexte, le calcul fait au départ de Damas est simple : que la Syrie transige sur la question de ses relations avec Israël, et qu’elle se soumette ouvertement aux injonctions de(s) pays occidentaux concernant la donne libanaise notamment, et elle fera tout simplement la preuve de sa facile renonciation à ses fondements idéologiques, qui plus est sans contrepartie digne en retour. Qu’elle maintienne le cap, bien au contraire, et prône la souveraineté non négociable de ses décisions, et elle se gagnera le respect de tous sans pour autant avoir renoncé à – voire parce qu’elle sera restée attachée à - sa dignité (le fameux sharaf). On le voit, les solutions médianes peinent à émerger devant une telle conception des choses. Dans le même temps, c’est bel et bien le « syndrome iranien » qui fait ses preuves à travers le cas syrien, l’un et l’autre de ces pays s’avérant convaincus de ce que la « dure loi » des relations internationales rend toute politique d’alliance vaine, particulièrement vis-à-vis des pays occidentaux, tant celle-ci demeure à la merci d’un bref et rapide retournement de situation. Le sort de Saddam Hussein ayant été, aux yeux des uns comme des autres, l’un des exemples les plus frappants en la matière. Ainsi, c’est bien le statu quo qui semble appelé à se maintenir dans les prochains temps, les Syriens n’ayant de leur point de vue aucune raison objective de minimiser la portée réelle de leur rôle dans les évolutions libanaises, et les Français n’ayant pour leur part, dans leur conception des faits s’entend, aucune raison de jouer une politique vouée à leur mettre à dos les membres de la majorité parlementaire libanaise et leurs alliés régionaux comme internationaux. Dans cette perspective, le bras de fer franco-syrien semble bel et bien avoir repris son cours, mais il se double d’une partie de poker dont la nature réelle des cartes, en l’occurrence celles effectivement détenues par Damas, demeure à maints égards occultée.

PENDANT CE TEMPS, À WASHINGTON…

Plus généralement, le président français a jusqu’ici fait la preuve, sur le plan des relations internationales, de sa faible sensibilité aux motifs d’ordre idéologique, particulièrement à compter du moment où l’intérêt national de son pays le commandait. C’est ainsi que cette même posture a toutes les chances de continuer à prévaloir dans les cas tant de l’Iran que de la Syrie. Par contre, il va de soi que l’importance stratégique régionale amplement diminuée de Damas, combinée à la très faible probabilité qu’il y a de voir un Bashar el-Assad devenir soudainement perméable à des requêtes françaises coïncidant avec les demandes de la majorité parlementaire libanaise, ne préjugent en rien d’une amélioration palpable des relations entre Paris et Damas, sur le court terme à tout le moins. Rien ne dit, bien entendu, que la France aurait pu réussir à plier la Syrie à ses exigences si elle avait maintenu ouverte la porte du dialogue. Dans le même temps, l’histoire récente a amplement démontré que le fait de braquer le régime syrien avait, dans le meilleur des cas, pour effet de le radicaliser et de rendre vaine toute concession de sa part. La déclaration faite par N. Sarkozy en Egypte risque fort à ce titre de ne garantir aucun bénéfice notoire à la France. Et ce, particulièrement dans un contexte où, élections présidentielles oblige, l’immobilisme pressenti des Etats-Unis sur le plan des affaires proche-orientales pour l’année 2008 n’a en rien empêché l’Administration Bush de permettre à deux représentants du Congrès américain, Arlen Specter (Républicain) et Patrick Kennedy (Démocrate), de se rendre à Damas et d’y évoquer, devant le président B. al-Assad, « l’importance du rôle de la Syrie dans la région » ainsi que l’existence d’une « occasion pour un rôle américain qui relancerait les discussions de paix entre la Syrie et Israël ». Soit autant de faits dont la diplomatie française semble ne pas avoir été prévenue au préalable…

Barah Mikaïl Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au Moyen-Orient (Dalloz, 2006)



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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