Opinion
Le «légitimisme»
des Frères
Badis
Guettaf
Samedi 23 février
2013
Ennahda est
bel et bien piégée. Les Frères
tunisiens, qui n’avaient pas d’autre
programme que d’imposer leur vision
religieuse et d’instaurer l’ordre
«islamique», se sont engouffrés dans une
réalité qui ne leur fait aucune
concession. Aveuglés par leur «victoire»
électorale, ils n’ont pas mesuré sa
signification. Ils n’ont pas vu que
l’écrasante majorité du peuple n’a pas
voté du tout ou, quand elle a voté, n’a
pas voté pour eux. Ils n’ont pas compris
que la minorité qui leur a donné la
«majorité» des sièges à l’Assemblée
constituante a, pour une part, espéré
des réponses aux questions lancinantes
de chômage, de pauvreté et d’exclusion
sociale. Ce qu’a compris Hamadi Jebali,
le Premier ministre démissionnaire. Un
Frère qui tient de sa différence de
parcours avec Rached Ghannouchi une
meilleure connaissance de son pays et de
sa société. Sa démission informe sur
l’entêtement de son parti, avec lequel
il ne voulait plus gouverner, à aller
jusqu’au bout de sa logique. Bien naïfs
sont ceux qui ont cru, ne serait-ce
qu’un instant, que les Frères musulmans
pouvaient accepter de se mettre au
niveau de leurs adversaires politiques,
qu’ils pouvaient abandonner ce pour quoi
ils avaient milité depuis des décennies
: «ré islamiser les Tunisiens». Ils ont,
pour ce faire, le soutien du Qatar et de
l’Arabie des Saoud, des Etats-Unis. Ces
derniers, jusqu’à un certain point, de
crainte d’un retour de feu contre leurs
intérêts stratégiques. Les derniers
événements sont illustratifs de la fuite
en avant de Ghannouchi et des puristes
de la Confrérie. Ennahda travaille
ouvertement à se maintenir au pouvoir,
du moins le plus longtemps possible, le
plus longtemps que pourra lui accorder
le rapport de force actuel. Le temps
d’aboutir à une situation de non-retour,
grâce à une mainmise sur les
institutions et à un embrigadement, même
musclé, de la population, parallèlement
à une réduction providentielle des
capacités de mobilisation des forces
adverses. En se retirant, Jebali qui
est, rappelons-le, le secrétaire général
des Frères, semble bien avoir rompu avec
ce programme qui lui paraissait
suicidaire selon ses convictions et son
approche à l’égard de la gouvernance de
la Tunisie. Ce que confirme, en
filigrane, son discours d’adieu où il
s’excuse devant le peuple, où surtout il
renvoie la «responsabilité de l’échec à
tous les partis», y compris le sien et
où il maintient que les enjeux actuels
relèvent de la gestion et non de la
politique. En réponse, Ennahda, en solo,
jouissant ostensiblement de la
«légitimité» des urnes, choisit un
Premier ministre de remplacement, envers
et contre tout et tous. Ce candidat sera
présenté à un président, Moncef
Marzouki, dont le parti, le CPR,
n’existe presque plus suite aux
démissions en cascade, et dont le poids
électoral rapporté au poste occupé
laisse songeur du point de vue
démocratique. Devant cette confusion au
sommet de l’Etat, les Tunisiens sont
perplexes et inquiets, quand ils ne se
préparent pas au pire, en termes de
dérives sécuritaires, voire de chaos.
«Oncle Sam, dites-nous ce qui va se
passer en Tunisie !» s’écrie Raouf Ben
Hédi sur le site Business News. Une
allusion directe aux accointances des
Etats-Unis avec une partie des Frères
jugés «modérés», comme Hamadi Jebali qui
n’aurait selon ce point de vue pas «osé
de se démarquer» sans leur appui.
B. G.
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