Opinion
France-Algérie, de
débat biaisé
Badis
Guettaf
Dimanche 22 janvier
2012
A
l’origine, parce qu’il y a toujours une
origine à tout et que sans remonter à
l’origine on ne comprend rien à rien, il
y a eu un débarquement de troupes
françaises à Sidi Fredj. Commença alors
une guerre de conquête, dont le moins
qu’on puisse dire est qu’elle ne faisait
pas de quartiers dans les rangs du
peuple algérien. Elle n’en fera
d’ailleurs jamais, à chaque fois que, se
relevant après une bataille perdue, les
Algériens se remettaient à refuser la
conquête. La conquête fut elle-même à
l’origine d’une colonisation de
peuplement. Des dizaines de milliers de
Français et d’Européens ont trouvé une
issue à leur misère et, encouragés,
soutenus et protégés par la puissance
occupante, ont cru bon de venir
s’installer en Algérie, à la place des
Algériens chassés de leurs terres. Les
Algériens qui ont survécu à la conquête,
à ses expéditions, à ses enfumades, aux
famines et aux épidémies, ne
s’appelaient pas «Algériens», mais
«indigènes», un statut indéfini qui ne
constituait pas une nationalité et qui
avait l’utilité de leur ôter toute
prétention citoyenne, fusse celle de la
France républicaine, libertaire,
égalitaire et fraternelle, avec les lois
de laquelle ils étaient censés être
administrés. Se créa une société avec
des gens au centre, reconnus et
jouissant de tous les droits que la
Révolution française avait conquis et
une masse marginalisée, corvéable,
ignorée dans son humanité, sans droit
aucun, sauf celui de se soumettre aux
desiderata de la toute puissante
colonisation. Quelques indigènes
affleurent qui serviront d’ornements
témoins de la générosité et de l’action
civilisatrice de l’action coloniale.
Sans aller dans le détail de la société,
ainsi bâtie, et dans les subtilités de
son fonctionnement, on aura tout de même
réalisé la mise à plat des origines de
ce qu’on appelle, indistinctement,
«événements d’Algérie», «Guerre
d’Algérie», «Tragédie algérienne»,
«Drame algérien» etc. Le but est de ne
pas s’embourber dans les savantes
circonvolutions d’historiens, de
spécialistes des relations algéro-françaises
et autres analystes, qui occultent
l’abominable condition faite à un peuple
en traitant du problème comme d’un
conflit entre deux parties aux fautes
partagées. Le FLN et son Armée de
Libération Nationale seraient autant
«coupables» que les hordes
colonialistes, voire autant que l’OAS.
Le sujet fondamental est exclu du champ.
La colonisation perd son atroce réalité
et c’est la balance entre le
comportement des uns et des autres qui
va prendre le relais. C’est comme si on
pouvait juger une victime en légitime
défense, chargée de preuves à ciel
ouvert, de la même façon que son
agresseur, son bourreau dans le cas qui
nous concerne. On s’étonne alors que la
victime parle de reconnaissance des
crimes commis, quand on veut les nier ou
pire lui en faire porter une partie du
fardeau. Cette année de cinquantenaire
de l’indépendance de l’Algérie, au nom
de la réconciliation bénéfique pour les
deux nations et de la profondeur des
liens qui unissent l’Algérie et la
France, les discours vont fuser plus que
de coutume, sur la «nécessité de tourner
la page», quand cette dernière est
constamment ouverte et subit des
aménagements enjolivant les faits, à la
gloire de la colonisation. Revenons
seulement aux origines et discutons
calmement de cette Histoire troublée qui
a profondément déchiré des millions de
personnes qui ne demandaient qu’à vivre
en hommes et femmes libres, dans la
dignité humaine, à se réapproprier la
terre spoliée de leurs ancêtres et à
recouvrer la souveraineté de leur pays.
On verra qu’il sera moins question de
haine, du côté de la victime, que de
respect d’une mémoire agressée qui veut
faire des pieds-noirs des victimes des
Algériens et non de leur statut d’indus
occupants de la terre d’autrui.
B.G.
Publié sur
Le jour d'Algérie
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