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Al-Ahram Weekly

‘Initiative’ VS principes
Azmi Bishara

‘Si Israël rejette la position arabe la plus favorable qui soit (pour lui), alors les Arabes devraient peut-être recourir à des demandes maximalistes, et demander à Israël de bien vouloir proposer son propre plan’, écrit Azmi Bishara.

D’après les ministres des Affaires étrangères américain et israélien, l’initiative de paix arabe est une position arabe qui n’engage à rien, pour laquelle les Arabes méritent une petite tape dans le dos et un petit coup de coude amical, susceptible de le leur faire modifier. Le simple fait que l’initiative arabe puisse susciter ce genre d’encouragement est précisément ce qui fait que cette initiative n’en est pas une…

Bien entendu, le ministre israélien des Affaires étrangères refuse de croire que cette histoire aurait commencé avant les élections qui l’ont portée au pouvoir, voici quatre années. Après l’échec lamentable de l’école néoconservatrice des relations extérieures dans le monde arabe, et après que la feuille de route se soit si profondément égarée dans un labyrinthe de perdition qu’il faudrait une nouvelle feuille de route pour trouver la sortie, elle a besoin – elle (Tzipi Livni), et son homologue américaine (Condoleezza Rice) – de se passer les nerfs sur quelque chose. Mais leur flexibilité flambante neuve est telle que tout ce qu’elles aperçoivent, c’est une « position » arabe – une position on ne peut plus inopérante…

Ce qu’il aurait peut-être fallu, c’était peut-être une nouvelle initiative arabe, annoncée au plus fort de ces deux administrations. Là, pour le coup, on aurait pu appeler ça une initiative. Mieux encore, peut-être les Arabes devraient faire une nouvelle proposition, tous les trois ou quatre ans, modifiant les « positions » qui constituèrent naguère les points cardinaux de la précédente initiative de paix, afin de calmer toute nouvelle escouade d’envoyés spéciaux américains. Ainsi, en vingt ans, ou quelque chose d’approchant, après que quatre ou cinq gouvernements israéliens et administrations israéliennes soient arrivés aux affaires et en soient repartis, les Arabes approuveront l’annexion par Israël d’une confortable proportion de la Cisjordanie, et ils sauront gré à Israël non seulement de leur avoir demandé de reconnaître non pas seulement Israël stricto sensu, mais également l’Article 7a de sa loi organique, qui le définit comme un Etat à la fois démocratique et juif. Tout est possible, dès lors qu’Israël trouvent des Arabes capables d’arguer du fait qu’il « est préférable d’accepter ce qu’on nous offre maintenant, plutôt que d’être contraints d’accepter pire », bref, qu’ « un ‘tiens’ vaut mieux que ‘deux tu l’auras’ »…

Tel est le sort qui échoit à une initiative de paix émanant de la dynamique de la faiblesse. Sans victoire rendant les préceptes d’une initiative de paix plus exigeants, ou sans la capacité de modifier l’équilibre des forces en faveur de ses auteurs, l’initiative demeure ni plus ni moins qu’une simple proposition qui n’attend plus que de nouvelles réserves. C’est la raison pour laquelle un preneur d’initiative est soit une partie neutre, désireuse de servir d’intermédiaire entre des parties antagonistes incapables de rejoindre un terrain médian tout seuls, soit un camp victorieux désireux de traduire une victoire militaire en victoire politique, ou encore un parti considérablement supérieur, qui a le pouvoir d’imposer son initiative. Quant à une initiative mise en avant de manière totalement hypothétique, elle ne saurait être interprétée que comme une forme de recul, et elle est certaines d’aiguiser l’appétit de l’adversaire pour de nouvelles concessions. La vie réelle n’est pas faite de ces jeux de simulation auxquels on joue dans les centres d’études stratégiques qui survivent aux dialogues arabo-israéliens…

De cette dernière catégorie d’initiative relève celle dont on voudrait qu’elle apaise l’adversaire et qu’elle cultive les faveurs des alliés. L’initiative arabe (de Riyadh) relève de cette catégorie, et ceux qui la recommandent sont les « amis » des Arabes et leurs conseillers appartenant à la gauche américaine et à la gauche israélienne. D’après ceux-ci, Israël n’a aucune objection contre une solution équitable. Israël a simplement peur que les Arabes ne cherchent à le détruire et à jeter les Israéliens à la mer. Les Israéliens ne sont pas racistes. Non ; ils sont tout juste un petit peu nerveux. Par conséquent, la seule chose qu’ont à faire les Arabes, c’est permettre aux Israéliens de se relaxer. Où les Arabes ont-ils rencontré cette peur, auparavant ? Ah oui ! C’était cette peur qui avait poussé les Palestiniens dans le désert et c’est encore elle qui avait fait que des bombes à fragmentation étaient tombées sur les villages du Sud Liban, sur la vallée de la Beqaa et sur le Jabal Amel… C’est là une peur terrifiante. Aujourd’hui, on attend des Arabes qu’ils sympathisent avec cette peur parfaitement compréhensible du droit au retour des Palestiniens, avec cette peur que Jérusalem ne soit restituée aux Arabes, et avec la peur d’un retrait jusqu’aux frontières d’avant juin 1967. Et immédiatement après viendra la peur d’une rupture de l’unité nationale israélienne. Certains Arabes se sont déjà employés à apaiser de tels malentendus. Ils agissaient vraisemblablement par déférence envers les exigences signifiées par la ministre israélienne des Affaires étrangères à l’occasion de la dernière conférence annuelle de l’Aipac [American Israeli Public Affairs Committee]. Même Benyamin Netanyahu aurait été embarrassé de devoir dire aux Arabes ce que cette douce et modérée ministre des Affaires étrangères a dit, dans son discours adressé au puissant lobby pro-israélien. Ce que les gouvernements arabes doivent faire, a-t-elle dit, c’est normaliser leurs relations avec Israël afin qu’en fin de compte, Israël (et peut-être même les Arabes) puisse(nt) reconnaître le gouvernement palestinien d’union nationale.

La résultante de tous ces efforts arabes, c’est le fait que la situation est devenue de plus en plus perverse, depuis l’initiative arabe, qui fut promptement court-circuitée par la feuille de route. Soudain, Sharon était salué à l’égal d’un homme de paix, bien contre son gré, si bien qu’il fut contraint de tirer la gueule à Sharm Al-Shaïkh tandis qu’il écoutait les Arabes décrire son plan de retrait unilatéral de Gaza comme une étape de mise en pratique de la feuille de route. Et même certains d’entre eux surpassèrent la proposition arabe en faisant preuve d’un esprit d’initiative encore supérieur. Normalement, bien entendu, il s’agit là d’un trait particulièrement positif, d’une qualité hautement appréciée dans les sociétés capitalistes, dès lors qu’elle est l’antonyme de la paresse, de l’indifférence et de l’apathie par lesquelles nous autres, les Orientaux, nous sommes si souvent catalogués. Mais en cette instance, tout du moins, il n’y eut aucune pénurie d’esprit d’initiative, en particulier quand il s’est agi de faire plaisir aux Américains en acceptant, par exemple, d’abaisser le seuil de la proposition arabe jusqu’au niveau (médiocre) de la feuille de route.

En théorie, tout du moins, la position arabe – par opposition à la position des pays qui ont signé des traités de paix avec Israël – est la suivante : ils ne reconnaissent pas Israël, et la cause palestinienne tourne autour des réfugiés et de la totalité de la Palestine postérieure au partage de 1948. De plus, les résolutions ad hoc de l’Onu, que les Arabes ont approuvées, constituent la base de toute solution juste ; en fonction de ces résolutions, Israël devrait se retirer inconditionnellement jusqu’aux frontières de l’avant juin 1967. L’initiative de paix arabe était, supposait-on, conçue comme un moyen pour combler le fossé entre la position arabe et la position israélienne. Si Israël rejette cette initiative, alors la logique semble commander que les Arabes retournent sur leur position originelle, au lieu de faire de l’initiative une nouveau point de départ pour combler le fossé entre la nouvelle position arabe et la vieille position israélienne. Autrement dit, aussi longtemps qu’Israël s’entêtera à snober l’initiative de paix arabe, ou à la traiter comme un menu à la carte où choisir ce qui lui plaît, puis renvoyer ce qu’il a commandé et exiger des cuisines qu’elles lui envoient quelque chose de nouveau, les responsables arabes devraient se contenter de réitérer leur position originelle, seule alternative possible, et souligner que si Israël n’aime pas le plat du jour, le temps est peut-être venu, pour lui, de produire une initiative de paix de sa fabrication.

Quand les Arabes ont produit cette initiative, dans le climat postérieur aux attentats du 11 septembre 2001, ils ont eu tort. Ils n’auraient pu choisir pire moment. Mais maintenant que cette initiative a été unanimement approuvée et signée, ils doivent attendre qu’Israël l’accepte, plutôt que de s’empresser de retourner à de nouvelles délibérations au premier signe de désapprobation de sa part.

Ou, peut-être, mieux, encore : pourquoi ne pas faire tourner un peu les tables ? Si Israël a réellement peur, alors il doit prendre conscience du fait que la reconnaissance arabe et la paix sont les meilleures garanties de sa sécurité et de sa tranquillité. Laissons donc Israël proposer une initiative de paix aux Arabes, qu’ils l’examinent et disent : « Bravo, mais il faudra resserrer quelques boulons, ici ou là, et aussi quelques initiatives concrètes, histoire de calmer nos peurs. » De toutes les manières, il y a plein de choses qu’Israël peut faire pour apporter la preuve de ses bonnes intentions. Il pourrait, par exemple, stopper la construction des colonies et démanteler celles qu’il a promis de supprimer. Il pourrait mettre un terme à sa politique d’assassinats « ciblés ». Il pourrait se conformer à la décision de la cour de La Haye sur le mur de séparation, il pourrait déclarer son intention de se retirer jusqu’aux frontières d’avant juin 1967, il pourrait abroger les lois relatives à l’annexion de Jérusalem et des Hauts Plateaux du Golan. Telles sont en effet les mesures qu’Israël doit prendre, s’il veut rassurer les Arabes quant à sa volonté de paix.

C’est ainsi que les pays – je parle, ici, de pays entièrement souverains – gèrent leurs affaires étrangères, sans considération aucune pour des clivages internes tels ceux entre « modérés » et « extrémistes ». S’ils négocient, ils le font en tant que partenaires de négociations, ils puisent dans leurs forces respectives de manière à adhérer autant que possible à leurs positions de départ. La mêle logique prévaut en matière de négociations entre une puissance occupante et un peuple soumis à occupation. Tant que la puissance occupante ne reconnaît pas le droit du peuple occupé à l’autodétermination et tant qu’il ne déclare pas son intention de se retirer, vous n’avez pas des négociations, mais une nouvelle forme de brutalité, et appeler les gens assis autour de la table de négociation les « deux parties » ne change strictement rien à cette réalité. C’est la raison pour laquelle les mouvements de libération prennent la résolution de soutenir la résistance et de ne pas négocier avec la puissance occupante, et réussissent, peu ou prou, à réconcilier les exigences de la résistance avec celles de la vie quotidienne, jusqu’au jour où la puissance occupante déclare son intention de lever l’occupation. Ce n’est qu’alors qu’il y a réellement quelque chose à négocier.

En Palestine, le mouvement de libération a changé de piste ; il a commencé à rêver que la puissance occupante finirait par le reconnaître. Une fois ce rêve devenu réalisé, l’Organisation de Libération de la Palestine commença à abriter « deux ailes » ; elle se fragmenta et se réduisit en une hypothétique entité politique consistant en des restes de mouvement de libération ne jouissant d’aucune des prérogatives de la souveraineté. Finalement, toutefois, le peuple sous occupation eut la possibilité de participer à des élections législatives : il élit alors un parlement qui produisit un gouvernement qui rejeta le jeu post-Oslo. Ce gouvernement était déterminé à mener exactement la politique pour laquelle il avait été porté au pouvoir : il tint lieu de mouvement de libération déterminé à combattre l’occupation. En même temps, toutefois, ce gouvernement s’opposa à des négociations avec Israël, mais, afin de demeurer au pouvoir, il délégua des membres de ses partis d’opposition – exactement les mêmes que ceux qui avaient désintégré le mouvement de libération et amené l’entité politique hypothétique à entrer dans des négociations –, sans toutefois inventer un mécanisme qui aurait pu lui permettre de garder les négociateurs sous contrôle.

Autrement dit, le gouvernement n’a peut-être pas négocié, mais il n’a pas fait de son rejet de toute négociation une position dirimante, et il ne disposait plus d’aucun levier lui permettant de s’assurer que des négociations ne mettraient pas en danger les priorités que s’est fixées le mouvement. Peut-être, un jour, se réveillera-t-il pour prendre conscience du fait que, pour Israël et les Etats-Unis, un gouvernement palestinien n’est rien d’autre qu’un président d’Autorité palestinienne flanqué de ses conseillers, qui acceptent de négocier dans les termes dictés par Israël.

Mais laissons ce sujet pour un autre jour…

traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

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Source et traduction : Marcel Charbonnier


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