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Il
faut recontextualiser l'holocauste, et en tirer les leçons
D'une négation l'autre
Dr. Azmi Bishara
14 décembre 2006, Al-Hayat
L’holocauste nazi avait pour objectif de débarrasser
l’Europe de sa « souillure juive ». Cette expression
désignait tout ensemble le capital bancaire par opposition au
capital industriel, et la dégénérescence morale, le manque de
patriotisme, le mépris envers les valeurs nationales, les inégalités
patrimoniales, et d’autres maux du même genre provoqués par le
« ver » qui rongeait et minait tout ce qu’on
trouvait de noble et de pur chez le peuple allemand. Ce ver était
la souillure raciale qui jamais ne s’était assimilée, un
intrus par essence, qui s’évertuait néanmoins à rester dans
le fruit pour continuer d’y nuire. Ce ver était la juiverie
européenne et ses diverses manifestations, parmi lesquelles le
capitalisme, le communisme et le libéralisme – et sa seule présence,
aux yeux de ce diabolique système de pensée, constituait un véritable
fléau qui ravageait la pureté raciale.
Le capitalisme moderne, tel qu’imposé de
force par l’Etat bureaucratique centralisé, entra en
convergeance avec un nationalisme tardif extrêmement idéologique,
fanatiquement et rageusement xénophobe, qui avait pris racine au
sein des « verspäteten Nationen » (c’est-à-dire
les Etats-nations séculaires de la « vieille Europe »,
NDT), avec également une longue histoire d’antisémitisme
religieux [1] remontant au Moyen-Age et aux équipées des croisés
en route pour la Palestine - qui attaquaient des villages juifs en
Europe centrale -, et enfin avec un ostracisme religieux qui
visait à la fois les musulmans et les juifs dans l’Espagne
d’après la Reconquista, et qui informa en partie l’identité
européenne par une double détermination : externe – les
musulmans – et interne – les juifs.
Mais l’obsession nazie – annihiler les
Juifs – fut également attisée par une idéologie qui
incorporait l’ingénierie sociale d’essence totalitaire (fondée
sur le darwinisme social et un certain nombre de découvertes
biologiques alors récentes, le tout appliqué aux êtres
humains), en même temps qu’un socialisme romantique et
populiste, hostile au communisme, au socialisme démocratique et
au libéralisme, trois idéologies considérées comme
fondamentalement étrangères au « Volksgeist » -
« l’esprit du peuple ».
Cette forme d’extermination de masse, menée
à bien froidement et justifiée de façon pseudo-scientifique,
aurait été impossible sans une forte capacité à compartimenter
– d’un côté, le fonctionnaire bureaucratique et le devoir
d’obéir aux ordres, et de l’autre, l’individu et sa sphère
morale privée. Cette compartimentation est l’un des phénomènes
caractéristiques de l’appareil d’Etat moderne.
L’extermination n’aurait pas plus été possible sans tout un
travail de documentation, d’enregistrement et d’archivage, également
caractéristique de l’Etat moderne.
Ce qu’il y a d’ironique dans cette
taxinomie humaine pseudo-scientifique, et dans la documentation
obsessionnelle des noms, des adresses, des biens confisqués et
des caractéristiques physiques des gens qui étaient rassemblés
et expédiés dans les camps de concentration, et de là aux
chambres à gaz, c’est que toute cette paperasserie est devenue
la plus importante source historique de première main sur
l’holocauste, et le principal instrument de réfutation
opposable aux affirmations de ceux qui en nient l’existence, ou
en minimisent l’ampleur.
Ce n’est pas tellement le nombre des victimes
en lui-même qui distingue l’holocauste. Aussi unique qu’il
ait été au XXème siècle, des millions [2]
d’autochtones ont été exterminés en masse aux Amériques au
cours des siècles précédents. Ce n’est pas non plus une
question d’échelle : au cours de la seule seconde guerre
mondiale, des gens ont été tués par millions bien plus hors des
chambres à gaz nazies que dans leur enceinte [3], y inclus des
Russes, des Allemands, des Polonais, des Français, des Italiens
et des ressortissants de bien d’autres nationalités.
L’horreur véritable de l’holocauste réside non seulement
dans la sélection délibérée de peuples entiers – les Juifs
et les Tziganes [4] – en vue de leur extermination, ainsi que
dans l’échelle de ce crime, mais également dans le caractère total
de sa cible et dans la méthode « rationnelle » qui a
présidé à son exécution.
Les Juifs ont été raflés chez eux dans le
silence général de leurs voisins, un silence seulement entrecoupé
par les discours de haine des groupes antisémites et par la
complicité active des informateurs. La plupart des Juifs qui sont
morts en camps de concentration n’étaient pas des sionistes ;
en fait, beaucoup n’avaient même probablement jamais entendu
parler du sionisme. Qui plus est, la part du mouvement sioniste
dans les tentatives de sauvetage de Juifs, ou de conspiration avec
les Nazis, est restée très marginale, quel que soit le nombre
d’études réalisées sur les deux sujets, et quand bien même
la majeure partie de leurs conclusions ont été corroborées. Le
sionisme avait bien deux faces ; ce sont les perspectives et
les objectifs des chercheurs qui étaient et demeurent en désaccord.
Le mouvement sioniste a pris corps et a fixé
son regard sur la terre de Palestine bien avant l’holocauste.
Les sionistes ont seulement utilisé l’holocauste pour justifier
rétrospectivement leur projet national, sans égard pour le fait
que cette justification est précisément ce qui a conduit
certains Arabes à nier l’existence de l’holocauste.
Cependant, bien qu’il y ait des gens pour penser qu’en
minimisant ou même en niant l’holocauste, ils affaiblissent la
revendication juive d’un Etat en Palestine, la majeure partie du
public arabe éduqué et informé n’a jamais nié l’holocauste
ni l’existence de l’antisémitisme en Europe. Bien plutôt,
ils ont avancé – avec raison – que les Palestiniens ne
devraient pas avoir à payer pour ce crime atroce, puisqu’il a
été commis en Europe.
Bien que l’antisémitisme ait vaguement existé
dans le monde arabe à des périodes antérieures, du fait d’un
mélange entre les restes d’une certaine culture religieuse et
des idées nationalistes extrémistes importées d’Europe, ce
n’est qu’après 1967 [5] que l’antisémitisme en tant
qu’hostilité envers les Juifs a commencé à s’y propager de
façon significative sous la forme de productions culturelles et
intellectuelles. Cet essor a manifestement coïncidé avec le développement
d’une attitude métaphysique qui cherchait à expliquer l’écrasante
défaite arabe de cette année-là dans les termes d’une
confrontation avec un « mal absolu » engagé dans une
conspiration mondiale à l’instar de celle décrite dans les
« Protocoles des sages de Sion », dont il a été démontré
qu’ils ont été inventés de toutes pièces à la fin du XIXème
siècle par les services secrets russes [6], ce qui ne les a pas
empêchés d’abuser nombre d’oreilles naïves dans le monde
arabe au lendemain de la défaite de 1967. De façon semblable, la
négation de l’holocauste a émergé à cette même période, et
dans cette même optique d’une grotesque théorie
conspirationniste, qui attribuait à une cabale juive
internationale le pouvoir de faire avaler au monde entier un
ensemble de mensonges proprement incroyable.
Je souhaiterais indiquer l’existence de deux
formes distinctes de négation de l’holocauste. La première,
embrassée par certains éléments des droites traditionnelles et
des nouvelles droites extrêmes en Europe, consiste à affirmer
que l’holocauste n’a jamais eu lieu. Cette forme n’a pas
attiré une audience suffisante pour influencer le comportement
des sociétés et des nations. La seconde forme de négation
consiste à passer sous silence le fait que l’holocauste s’est
inscrit dans un contexte historique déterminé, et donc à
traiter de l’holocauste comme d’une aberration d’essence
diabolique qui s’est en quelque sorte produite en-dehors de
toute limite de temps et de lieu. Cette approche a une conséquence
fort considérable : elle empêche l’étude de
l’holocauste en tant que phénomène historique et en tant
qu’introduction révélatrice aux dangers du racisme, du
chauvinisme nationaliste extrémiste et de l’ingénierie sociale
totalitaire, pour les sociétés de masse modernes.
Mais la négation de l’holocauste peut revêtir
une autre apparence, à savoir sa réduction à un simple
instrument au service d’objectifs politiques. Le mouvement
sioniste y a excellé – les rituels et la rhétorique qu’il déploie
pour commémorer les victimes de l’holocauste outrepassent
largement son souci réel pour les victimes et ses activités
concrètes en vue de combattre le phénomène alors qu’il avait
lieu. En fait, le sujet ne figurait même pas à l’ordre du jour
de la communauté juive organisée en Palestine mandataire – le
Yishouv – pendant les années de guerre, et de nombreux
sionistes à cette époque ont trouvé gênant d’entendre parler
de Juifs « traînés à l’abattoir » sans opposer de
résistance ; une telle représentation rentrait en conflit
avec l’esprit nationaliste combatif et avec l’image de
l’homme nouveau [7] qu’ils tentaient d’inculquer. Ce n’est
pas avant le procès Eichmann (en 1961, NDT) que le silence
embarrassé fut rompu et que les émotions jaillirent brusquement
[8].
Au fil des tentatives sionistes de représenter
l’histoire de tout le peuple juif comme une seule et unique
suite ininterrompue d’oppression et de persécution culminant inéluctablement
avec l’holocauste, l’histoire de ce dernier a été transformée
en propriété exclusive d’Israël. Les victimes des chambres à
gaz nazies ont été nationalisées et converties, malgré elles,
soit en épisode de la lutte sioniste en vue de créer un Etat,
soit en instrument de chantage pour amener les récalcitrants à
soutenir les objectifs sionistes ou pour justifier les crimes que
l’Etat sioniste commet contre d’autres. C’est comme si
l’ampleur du crime que constitue l’holocauste donnait droit à
Israël de se poser en victime par excellence ou en seul
représentant des victimes, et comme si cela le plaçait, en tant
que victime par définition, au-dessus de toute accusation.
Le fait que le sionisme dépeigne les Juifs
dans leur ensemble comme victimes des atrocités nazies a provoqué
l’essor de deux phénomènes curieux. Le premier consiste en ce
que n’importe quel Israélien peut parler et agir en tant que
victime, quand bien même il aurait plus à voir idéologiquement
et psychologiquement avec le coupable ou avec le « kapo »
- comme l’on désigne ces Juifs qui coopérèrent avec les nazis
dans les camps de concentration. En d’autres termes, le simple
fait d’être né d’une mère juive donne en quelque sorte le
droit de représenter toutes les victimes, y compris face à ceux
qui sont en fait bien plus réellement des victimes, et face à
ceux qui font preuve de plus d’hostilité envers le nazisme, le
racisme et leurs rejetons. Le second phénomène, c’est ce
monopole revendiqué par la classe dirigeante israélienne qui prétend
parler au nom des Juifs et de l’histoire juive en général, ce
qui se manifeste largement dans les demandes et les pressions en
vue d’un soutien financier et politique à Israël.
Dans le premier cas, le défi que constituent
la compréhension et l’apprentissage des leçons à tirer du phénomène
nazi est réduit à une sorte de thérapie, dans laquelle ceux qui
jouent le rôle de la victime aident ceux qui jouent le rôle du
criminel à se débarrasser de leur culpabilité en satisfaisant
les demandes psychologiques et matérielles des premiers. Il y a
quelque chose de moralement répugnant dans cette transmission des
péchés, ou de l’innocence, des parents aux enfants – par
opposition à un processus objectif d’investigation historique
en vue de combattre le racisme sous toutes ses formes et dans
toutes les sociétés. Après tout, dans l’Europe
d’aujourd’hui, les principales victimes du racisme ne sont pas
les Juifs, et en Palestine, le sionisme n’est pas la victime
mais le criminel. Malheureusement, les séances de thérapie Israël-Allemagne
ignorent de si crues réalités, et, ce faisant, donnent carte
blanche aux Israéliens et aux Allemands pour se décharger de
leur racisme sur les autres, comme si l’holocauste était une
affaire exclusivement israélo-allemande n’ayant absolument rien
à voir avec le phénomène plus vaste qu’est le racisme.
C’est comme si à travers leur catharsis mutuelle en ce qui
concerne l’holocauste, ils s’exonéraient de toute
responsabilité pour ce qui est du racisme.
Dans le même temps, l’Europe s’accommode
fort bien du monopole sans mandat ni logique, dénué de légitimation
historique, que le sionisme s’arroge sur le rôle de
porte-parole des victimes de l’holocauste. La plupart des
objectifs et des revendications du sionisme n’exigent pas de
l’Europe qu’elle s’engage dans un processus sérieux
d’introspection afin d’extirper les causes les plus profondes
qui ont engendré l’holocauste. Contrairement à ce à quoi
l’on pourrait s’attendre en toute logique, voilà qui est
conforme aux objectifs du sionisme, parce que l’unicité
monolithique de l’holocauste s’en trouve préservée, alors
que, en comparaison, l’importance des autres crimes commis par
l’Europe en est diminuée. On en arrivé ainsi à débarrasser
l’Europe de la question juive toute entière pour la déverser
au Moyen-Orient. On peut penser que c’est un soulagement pour
les responsables politiques européens de pouvoir se disculper
eux-mêmes de l’holocauste en apaisant Israël par des
sympathies anti-palestiniennes, anti-arabes et même
anti-musulmanes. Cependant, si ce genre de comportement confirme
une chose, c’est bien la persistance du syndrome sous-jacent, un
syndrome qui n’en est pas moins recouvert d’un certificat de
santé morale, délivré et tamponné par Israël chaque fois
qu’un dirigeant européen fait une visite expiatoire au musée
Yad Vashem à Jérusalem.
C’est bien la raison pour laquelle toutes les
victimes du racisme à travers le monde devraient faire campagne
pour mettre fin à la mainmise sioniste sur le rôle de
porte-parole des victimes de l’holocauste. Inversement, ceux
parmi les Arabes et les Palestiniens qui nient la réalité de
l’holocauste ne sauraient faire de plus grand présent au
racisme européen et sioniste que cette négation même. Quel intérêt
peut-il bien y avoir pour les Arabes ou l’islam à disculper
l’Europe de l’une des pages les plus noires de sa propre
histoire ? Faire cela, ce n’est pas seulement absoudre l’Europe
d’un crime qui a bien été effectivement commis, mais c’est
aussi s’attirer son mépris, et se réveiller un jour face à
une Europe joignant ses forces à celles d’Israël contre les négateurs
arabes ou musulmans de l’holocauste de façon si venimeuse que
l’on pourrait croire que l’holocauste a eu lieu en Egypte ou
en Iran, et que nier l’holocauste est un crime bien plus grave
que le perpétrer. La négation de l’holocauste n’est rien
d’autre qu’une pure stupidité, y compris lorsqu’elle ne
constitue pas un argument ou un instrument politique. Mais Israël
n’en sera pas moins prompt à retourner la provocation contre
ses adversaires moyen-orientaux, qui n’ont rien à voir dans la
perpétration de l’holocauste.
D’autre part, l’holocauste est un phénomène
qui mérite de faire l’objet de recherches universitaires
appropriées, dont l’objectif est de distinguer réalité et
fiction. Aucune péripétie de l’histoire ne se situe hors du
champ d’action de ce processus. Cela dit, on peut difficilement
affirmer que Téhéran serait traditionnellement un haut lieu des
études sur l’holocauste ; le sujet ne se classe pas en
Iran parmi les priorités académiques. Et une conférence - tenue
à Téhéran – qui a été suivie d’un discours politique
niant la réalité de l’holocauste ne peut pas être considérée
comme une conférence universitaire ; il s’agissait d’une
démonstration politique, qui porte atteinte aux Arabes et aux
musulmans, et ne rend service qu’aux droites extrêmes et aux
forces néo-nazies en Europe, ainsi qu’au mouvement sioniste.
Pendant la seconde guerre mondiale, alors que
certains Arabes et d’autres parmi les peuples du Tiers-Monde
applaudissaient l’Allemagne, parce qu’elle combattait les
puissances coloniales qu’étaient alors la France et la
Grande-Bretagne, les gauches du monde arabe et du Tiers-Monde,
alliées avec l’Union Soviétique, affirmaient que les victimes
du racisme n’avaient pas à prendre parti en faveur du régime
nazi raciste. Leur attitude était juste. Aujourd’hui, il
n’existe même pas la moindre justification pragmatique - bien
qu’immorale – pour se rallier au racisme européen. Nier
l’holocauste ne fragilise en rien les justifications morales de
l’existence de l’Etat d’Israël, contrairement à ce que
certains s’imaginent. Ce qui est très réel, en revanche,
c’est que nier l’holocauste revient à fournir aux droites
européennes et à Israël un ennemi bienvenu sur lequel décharger
leurs problèmes. Cet ennemi inclut les Palestiniens et les
Arabes, et plus spécifiquement les musulmans fondamentalistes,
ceux que George W. Bush aime à qualifier d’ « islamo-fascistes ».
La première réaction qu’ont eu les Arabes
face à l’holocauste a été simple et franche, et bien plus
rationnelle : l’holocauste a bien eu lieu, mais ce sont les
Européens, et non pas les Arabes, qui devraient en assumer la
responsabilité. C’est l’opinion qui a prévalu tout au long
des années 1940 et 1950 – et le sens que nous avons tous su
garder de ce qu’est la normalité continue de s’y tenir
fermement.
Notes du traducteur :
[1] A proprement parler, la
notion d’ « antisémitisme religieux » utilisée par
Bishara est à la fois un anachronisme et un cliché de la rhétorique
sioniste. En effet, le terme même d’ « antisémitisme »
a été forgé pour la première fois en septembre 1879 par
Wilhelm Marr, un publiciste allemand (antisémite pour de bon,
celui-là). Si le phénomène précède bien sûr l’invention du
mot en lui-même, l’antisémitisme est, comme l’indique la
constitution même du mot, un concept d’ordre racial,
puisqu’il désigne l’hostilité envers la « race sémite »,
comprise restrictivement comme synonyme de la « race juive ».
(A l’origine, la catégorie « sémitique » était
d’ordre linguistique, désignant un ensemble de langues aux
origines communes, dont l’arabe, l’hébreu et l’araméen).
L’hostilité qui avait prévalu envers les juifs jusqu’à l’émergence
des théories raciales, puis de l’antisémitisme, est plus
couramment désignée comme un « antijudaïsme chrétien »,
fondé sur les différends théologiques et historico-mythiques
opposant juifs et chrétiens. D’où les nombreux clichés de cet
« antijudaïsme chrétien » : les juifs ont refusé
de reconnaître Jésus comme le messie, ils seraient le peuple déicide
pour l’avoir crucifié, et des accusations de sacrifice rituel
d’enfants ont même été formulées à leur encontre. Face à
cette dichotomie entre « antijudaïsme chrétien » et
« antisémitisme racial » (cette dernière expression
étant plutôt de l’ordre du pléonasme), il est intéressant de
constater qu’un historien de la stature d’un Yosef Hayim
Yerushalmi a pu défendre de manière convaincante une vision plus
nuancée et évolutive, en se référant à la notion de « pureté
du sang » (limpieza del sangre) qui a en partie
sous-tendu la chasse aux « judaïsants » dans l’Espagne
du XVème siècle, l’élargissant non plus seulement
à ceux qui conservaient en secret des pratiques judaïques, mais
également dans une certaine mesure à ceux qui étaient généalogiquement
liés à des juifs. (voir l’article passionnant de Y.H.
Yerushalmi, « De la limpieza de sangre espagnole au
nazisme : continuités et ruptures », in Esprit,
mars-avril 1993)
[2] En fait, l’ordre de
grandeur du nombre de victimes « amérindiennes » est
d’au moins 70 millions de morts.
[3] Le bilan établi par Raul
Hilberg dans son monumental ouvrage « La destruction des
Juifs d’Europe » est de 5,1 millions de Juifs assassinés
par les Nazis, toutes méthodes de mise à mort confondues.
[4] Des différents noms qui
sont donnés à ces derniers (eux-mêmes ne se désignent que
comme « Rom », mot masculin singulier signifiant
« époux »), c’est bien le terme « tzigane »
(« Zigeuner » en allemand) qu’a utilisé la littérature
raciste allemande. Selon Patrik Ourednik, « en 1905, l’Institut
allemand pour la question tzigane publia le ZIGEUNERBUCH, le livre
tzigane, dans lequel des psychiatres et des anthropologues et des
biologistes expliquaient les causes de l’infériorité des
Tziganes et en quoi ils pouvaient nuire à la société. » (« Europeana,
une brève histoire du XXème siècle », Allia,
2004, p. 130).
[5] C’est-à-dire après l’écrasante
victoire israélienne dans la Guerre des Six Jours lancée par
Israël le 5 juin 1967, principalement contre l’Egypte et la
Syrie. (NDT)
[6] Plus exactement, il s’agit
d’un faux fabriqué à la toute fin du XIXème siècle
par Matvei Vasilyevich (« Mathieu ») Golovinski pour
la police politique secrète du tsar, l’Okhrana. Ces « Protocoles »
sont une falsification et un détournement du livre « Dialogue
aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » écrit et publié
à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly.
[7] Plus exactement : du
« Juif nouveau ». Alain Dieckhoff note que « dans
la littérature sioniste, le terme " hébreu "
(ivri) est très fréquemment utilisé par opposition à
celui de " juif " (yehoudi). L’hébreu,
c’est le nouveau Juif, le Juif national qui, se détournant
autant de l’affadissement confessionnel, prôné par l’Israélite,
que du séparatisme de ghetto du Juif orthodoxe, recherche la
grandeur du passé biblique lorsque le peuple juif vivait indépendant
en Palestine. Pour Mikha Berdichevski, " le Nietzsche
juif ", l’alternative offerte par le sionisme était
limpide. " Être ou ne pas être ! Être les
derniers Juifs ou les premier Hébreux ! " ».
(Alain Dieckhoff, « L’invention d’une nation – Israël
et la modernité politique », Gallimard, 1993, p. 319, note
44).
[8] Bishara ne le dit pas explicitement, mais c’était
d’ailleurs bien là l’objectif principal du procès
Eichmann, quasiment mis sur pied par le seul David Ben Gourion,
alors Premier Ministre d’Israël, afin de faire œuvre « pédagogique ».
Idith Zertal explique que « c’est l’affaire Eichmann
[…] qui constitua le véritable tournant dans le processus de
mobilisation explicite et organisé de la Shoah au service de la
politique et de la raison d’État israéliennes, en particulier
dans le contexte du conflit israélo-arabe. […] le procès
Eichmann offrait la meilleure opportunité de ranimer l’unité
nationale à travers la mémoire. Il y parviendrait en mobilisant
le puissant potentiel politique de la Shoah et de ses victimes […]
». (Idith Zertal, « La nation et la mort – La Shoah
dans le discours et la politique d’Israël », La Découverte,
2004, p. 142 et p. 148). Quant à Shlomo Ben-Ami, il explique à
ce sujet que Ben-Gourion « découvrit soudain qu’il était
impossible de bâtir une nation unie à travers le seul ethos du
nouvel Israël, du " sabra " [le « nouveau Juif »,
né en Israël, par opposition au Juif exilique de la diaspora,
NDT], parce que les gens venaient de différentes parties du
monde, et c’est pourquoi il fallait recourir à la mémoire
juive, aux valeurs juives, à la catastrophe juive [la Shoah,
NDT], en tant que moyens d’unir la nation à peine née. »
(Débat radio-diffusé entre Norman Finkelstein et Shlomo Ben-Ami,
Democracy Now !, 14 février 2006, transcription complète
– en anglais : http://www.democracynow.org/finkelstein-benami.shtml)
Traduit de l’anglais en français par Xavier
Rabilloud, membre de Tlaxcala,
le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette
traduction est en Copyleft : elle est libre de toute reproduction,
à condition de respecter son intégrité et de mentionner
auteurs, traducteur et sources.
URL de cette traduction : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2681&lg=fr
URL de l'article en anglais : http://blog.mondediplo.net/IMG/rtf/Holocaust.rtf
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