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Honduras
Honduras : l'avant et l'après-coup d'État
Arnold August
Montréal, le 15 septembre 2009
Deux mois et demi après le coup d’État militaire, les
manifestations populaires continuent au Honduras. La crédibilité
de l’administration Obama a été atteinte par la révélation de
son implication dans le renversement du président Zelaya,
contrairement à ses dénégations publiques. L’opinion publique
sud-américaine en conclut que ce n’était pas l’administration
Bush qui était malade, ce sont les États-Unis. La perte de
prestige de Washington a ouvert un débat sur l’absence de
démocratie authentique aux USA. Le Frente Nacional de
Resistencia mène la courageuse lutte du peuple au
Honduras. Depuis maintenant 70 jours, des Honduriens de tous
les horizons font face à une brutale répression militaire et
policière. De manière pacifique, avec une politique cohérente et
une organisation de plus en plus sophistiquée, ils réclament des
changements. Parmi ceux-ci, on compte la restauration de l’ordre
constitutionnel au pays et le retour du président Zelaya. À
mesure que la situation évolue, la population exige de plus en
plus vigoureusement la tenue d’une assemblée constituante, afin
de refonder la démocratie et la nation. Le peuple affirme
d’ailleurs que ces revendications sont devenues l’objectif même
de la résistance actuelle, que Zelaya revienne ou non.
Maintenant que les instigateurs du coup d’État ont déclenché
des élections, le Frente Nacional de Resistencia invite le
peuple à les boycotter. Cette non-reconnaissance des élections,
conjuguée au mouvement de masse continuel dans les rues pour
réclamer un nouveau Honduras, constitue une phase cruciale de
cette lutte. Les syndicats, groupes de femmes, paysans,
étudiants, intellectuels et citoyens issus d’autres couches de
la société sont tous montés au front. Les putschistes espèrent
légitimer le coup d’État en tenant des élections.
Des forces politiques non-reliées au régime militaire
s’associent également au mouvement de masse. La résistance a
acquis un tel prestige qu’elle a réussi à gagner l’adhésion d’un
vaste éventail de forces politiques. Par exemple, le 18 juillet
(il y a plus d’un mois et demi), dans une entrevue avec Raimundo
López, de la Prensa Latina, le député et candidat à la
présidentielle (au moment de l’article) pour le Partido de
Unificación Democrática (UD), César Ham, a affirmé qu’il y a
avait maintenant un « Honduras pré-coup d’État, et un Honduras
post-coup d’État ». En peu de mots, sa déclaration a cristallisé
la situation actuelle et fourni un contexte historique au
Honduras. L’UD est descendu dans la rue avec le Frente Nacional
de Resistencia. Deux de ses membres importants ont d’ailleurs
été assassinés par le régime militaire. Selon un communiqué de
la Prensa Latina datant du 31 août, M. Ham ainsi que
d’autres membres de l’UD ont confirmé qu’ils boycottaient les
élections. D’autres forces politiques issues des courants
non-traditionnels et même traditionnels en font autant. « Le
mouvement de base », a dit Zelaya [tel que rapporté par le
quotidien The Nation, le 4 septembre 2009], n’a qu’un
seul objectif : la transformation du Honduras, avec des
changements structurels en profondeur. « Ce mouvement est devenu
très fort et ne saurait être anéanti » a-t-il dit [1].
Par ailleurs, le 5 septembre, alors que la résistance populaire
contre le coup d’État militaire durait depuis 70 jours, le
Frente Nacional de Resistencia se préparait à prendre de
nouvelles mesures.
Le Honduras post-coup d’État fait maintenant partie du
mouvement qui s’est répandu comme une traînée de poudre à
travers l’Amérique du sud, même si le Président Zelaya n’est pas
encore rentré chez lui. Ce mouvement de base sud-américain
représente une poussée vers le pouvoir populaire, ainsi qu’une
opposition aux politiques néolibérales et à la domination
états-unienne. L’objectif de ces activistes est de se servir des
urnes afin de susciter des changements radicaux dans leurs pays
respectifs. Plusieurs d’entre eux, tels le
Venezuela, la
Bolivie et l’Équateur,
ont déjà procédé à l’élection d’assemblées constituantes et à la
création de nouvelles constitutions modernes. D’autres, comme le
Nicaragua, le
Salvador et le
Paraguay, pour ne nommer que ceux-là, sont en voie de
refonder leur nation.
Cuba est le pionnier de ces changements, même si ceux-ci se
sont déroulés dans un contexte historique complètement différent
et avec d’autres moyens. Par ailleurs, le triomphe de la
Révolution de 1959 et la transformation révolutionnaire totale
qui en a découlé sont issus de la tradition cubaine Mambisi du
XIXème siècle. Parmi ses caractéristiques, celle-ci permettait
au peuple de rédiger ses propres constitutions en tant que
République en armes, alors que Cuba était encore une colonie
espagnole.
Le Honduras constitue un exemple de que les États-Unis
qualifient, avec arrogance et mépris, de « république
bananière ». Le Honduras est le troisième pays le plus pauvre de
toute l’Amérique latine et des Caraïbes. Une grande partie de sa
population est analphabète, comme c’était le cas en Bolivie
avant l’élection d’Evo Morales et la restructuration du système
politique. Néanmoins, c’est maintenant le peuple du Honduras qui
donne des leçons à Washington quant à la nécessité actuelle,
soit la création d’une nouvelle constitution moderne.
Présentement, aux
États-Unis, la situation politique et économique est grave.
En fait, les choses vont tellement mal que certains
commentateurs américains vont jusqu’à affirmer —avec ironie,
bien sûr— que les États-Unis eux-mêmes sont devenus une
république bananière, en raison de leur immense dette étrangère.
Les États-Unis ont vu se dérouler deux victoires électorales
frauduleuses sous le règne de la famille Bush. Comment est-ce
possible qu’une réforme du système de santé divise le pays si
profondément, tout en créant des conflits entre citoyens, et que
les opposants d’extrême-droite menacent même d’avoir recours à
la violence ? Bien qu’en théorie, l’esclavage et la
discrimination raciale réglementée aient été éliminés au profit
des droits civiques, non seulement le racisme fait-il des
ravages dans la société, mais il est même en hausse. Les
États-uniens issus de l’Amérique latine sont de plus en plus
victimes d’attaques racistes dans les grands médias, lesquelles
s’insinuent ensuite dans toutes les couches de la société. Le
racisme est institutionnalisé. Le président Obama lui-même est
victime de menaces racistes et de tentatives d’intimidation par
la droite. Bien que des procédures de destitution aient été
engagées contre l’ancien vice-président
Dick Cheney (sans jamais avoir été mises à exécution), pour
crimes de guerre et pour avoir menti à ses concitoyens afin
qu’ils entrent en guerre, on entend maintenant des rumeurs
affirmant que Cheney puisse être candidat aux élections
présidentielles de 2012 ! S’il s’avère toutefois que Cheney ne
présente pas sa candidature, c’est tout de même lui qui mène le
combat pour revenir aux politiques de l’époque de Bush. Le
Washington Post approuve ouvertement la torture et rejoint
la position de Cheney [2].
Le gouvernement états-unien n’a pas encore tout dit sur les
dessous du 11 septembre. Les États-Unis sont les plus grands
marchands d’armes et de drogue au monde. C’est tout cela et bien
plus encore qui se déroule dans leurs marécages boueux, en
conformité ou en violation avec leur Constitution.
Les peuples du Sud avancent. Les sections les plus
progressistes et les penseurs avant-gardistes de la société
états-unienne ne pourraient-ils pas tenir compte de ce
mouvement, et par conséquent, réfléchir à la nécessité d’adopter
une nouvelle constitution à l’intérieur même des États-Unis,
laquelle permettrait aux citoyens de maîtriser à la fois leur
destinée et leurs politiques étrangères ? (La même question
s’applique à d’autres pays de l’hémisphère nord.)
Le peuple du Honduras, pour sa part, est assurément en faveur
d’une assemblée constituante et d’une nouvelle constitution : un
juste retour des choses plein d’une savoureuse ironie pour une
« république bananière ». Pendant la période précédant le coup
d’État, le président Zelaya construisait un nouveau pays pour
son peuple, c’est pourquoi on l’a expulsé. Néanmoins, le
Honduras d’après le coup d’État s’est transformé. Le mouvement
amorcé le 28 juin est encore plus profond et novateur que celui
du Honduras d’avant le coup d’État. Plus que jamais, le pays
s’intègre au vaste mouvement latino-américain en faveur de
nouvelles politiques économiques anti-néolibérales et de
nouvelles institutions politiques, et contre la domination
états-unienne, le pillage de ses ressources naturelles ainsi que
l’installation et l’agrandissement des bases militaires. Le
Honduras connaîtra sans doute des hauts et des bas dans un
avenir proche, mais à long terme, sa tendance est irréversible –
comme elle l’est partout dans le sud, qui d’ailleurs, se soulève
aujourd’hui.
Arnold August, auteur,
journaliste et conférencier spécialiste de Cuba. Livre
Democracy in Cuba and the 1997-98 Elections. Chapitre « Socialism
and Elections » du livre
Cuban Socialism in a New Century : Adversity, Survival, and
Renewal, (University Press of Florida, 2004) édité par
les professeurs Max Azicri et Elsie Deal. Prochain volume
Cuba : démocratie participative et élections au XXIème siècle
(automne 2010 en français, anglais, et espagnol). Membre de la
Latin American Studies Association (LASA).
Version française : Marie France Bancel
[1]
« Zelaya
Speaks », par Tom Hayden, The Nation, 4 septembre
2009.
[2]
« How
a Detainee Became an Asset : Sept. 11 Plotter Cooperated After
Waterboarding », par Peter Finn, Joby Warrick et Julie Tate,
The Washington Post, 29 août 2009.
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