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Mahsom
On
harcèle Bishara parce qu’il a raison
Amnon
Raz-Krakotzkin *
http://www.mahsom.com/article.php?id=5098
« L’hystérie
médiatique révèle la vive alarme suscitée par Bishara, mais
aussi le grand défi qu’il continue de poser à la société
israélienne, en mettant à nu les contradictions et les limites
de celle-ci »
Les informations plutôt nébuleuses sur un départ
de Bishara du Parlement israélien soulèvent une grande émotion
en Israël, émotion que l’on tente parfois de dissimuler, mais
sans grand succès.
L’hystérie médiatique révèle la vive alarme
suscitée par Bishara, mais aussi le grand défi qu’il continue
de poser à la société israélienne, en mettant à nu les
contradictions et les limites de celle-ci. Bishara suscite de la
haine parce qu’il a raison, et précisément dans les situations
où il fait l’objet d’attaques. Le besoin de déformer sans
cesse ses propos montre à quel point ils sont pertinents et représentent
un défi. La peur s’est accrue ces derniers temps, quand il est
apparu qu’il ne s’agissait pas de positions partagées par les
seuls sympathisants du parti Balad [Frant National Démocratique],
mais par la population arabe tout entière. Les documents (1) qui
se sont répandus ces derniers temps, ont conduit les services de
la Sécurité générale (Shabak) à définir la population arabe
dans son ensemble comme une « menace stratégique ».
Dans ce contexte-là, il n’est pas étonnant que la Sécurité générale
ait décidé de tenter d’isoler le parti Balad, avec la
conviction que combattre Bishara neutralisera d’un coup toute
cette effervescence.
Mais même si l’on réussit à écarter Bishara
de la scène politique (et même s’il décidait de lui-même de
quitter finalement ses fonctions au Parlement), on ne parviendra
à se débarrasser ni de son esprit ni de ses idées qui gagnent
une place de plus en plus centrale dans la construction de la
conscience des Palestiniens en Israël. Même les opposants de
Bishara ne peuvent nier la contribution décisive qui est la
sienne dans cet important processus, dans l’établissement de
bases pouvant aider la minorité palestinienne en Israël à faire
face à la guerre que l’Etat lui a récemment déclarée
publiquement. Ce serait une illusion de penser que l’éviction
de Bishara de la vie politique tuera ces principes, même si dans
un premier temps, le régime d’intimidation devait parvenir à
les réduire au silence. La société israélienne, plongée dans
une crise profonde, sans avenir, sans espoir ni sans rêve, en déplace
la responsabilité sur Bishara et le parti Balad. Nulle tentative
ici de discuter avec Balad, mais une tentative sans fin de le délégitimer.
Mais dans ce moment de danger naît aussi l’espoir que la
dramatique crise actuelle conduise la société israélienne dans
une autre voie, la conduise à affronter le défi avancé dernièrement
par les représentants de la population arabe entière.
La provocation contre Bishara,
Balad et la population arabe
La virulence des critiques en provenance de la
droite n’est, bien sûr, pas pour surprendre. Eitam, Orlev et
leurs partenaires dans l’interprétation raciste du judaïsme
sont de toute façon d’avis qu’il n’y a pas de place pour
des Arabes au Parlement, ni plus généralement dans le pays. Mais
il convient de rappeler que ce n’est pas l’extrême droite qui
a initié cette campagne de provocation à l’encontre de Bishara
mais bien des cercles tenus pour plus progressistes. Ce sont eux
qui ont cultivé à longueur d’années une représentation de
Bishara comme un nationaliste extrémiste. Cette provocation a débuté
essentiellement quand il est apparu que contrairement à ce qui était
attendu, Bishara et ses amis ne soutenaient pas automatiquement
une politique qui prétend dicter ce qui est défini comme
« de gauche » (Travailliste et Meretz), en particulier
depuis les élections de 1999 et l’époque du gouvernement Barak.
Tant que Bishara avançait ses idées en tant qu’intellectuel,
elles étaient recevables et on pouvait même en être impressionné.
Dans les années 90, il était même reconnu comme un des
intellectuels éminents en Israël. Le passage de ces idées dans
le domaine politique a mis en évidence ce que la mise en œuvre
des principes démocratiques exigeait, et cela, la population
juive l’a refusé. La gauche israélienne ne pouvait pardonner
à Bishara d’avoir mis à nu le nationalisme et l’arrogance
qui sont au fondement de son approche. Il a sacrifié la
tranquillité à l’arrogance, chose interdite aux Arabes.
Les représentants du « camp de la paix »
perdent leur calme chaque fois que Balad (et aussi d’autres
groupes) refuse leur diktat politique. Cette attitude est également
devenue par exemple la ligne éditoriale déclarée du quotidien
« Haaretz », même s’il a parfois publié des écrits
de Bishara. La frontière entre Hadash et Balad n’a cessé d’être
présentée, dans plus d’un éditorial, comme une frontière
entre le légitime et l’illégitime. Hadash était présenté
comme exprimant théoriquement une ligne d’attitude citoyenne et
de coexistence, face à un Balad nationaliste et séparatiste. De
ce point de vue, la position de « Haaretz » est
parfaitement identique à celle des services la Sécurité générale
(Shabak) même s’il se peut qu’il y ait entre eux des
divergences sur les conclusions : là où la Sécurité générale
propose de sortir du cadre de la Loi, « Haaretz » préférera
user de tolérance, en témoignage de l’extraordinaire attitude
démocratique de l’Etat d’Israël. Cette ligne qui fait la
part entre ceux qui sont définis comme « nationalistes »
et ceux qui sont considérés comme ayant une attitude « citoyenne »,
signifie simplement que la condition mise à la participation des
Arabes à la société israélienne, c’est le renoncement à
leur identité et leur mode d’identification nationale jusqu’à
se retrouver dépouillé de toute identité ; alors que la
caractérisation de l’Etat admise par le consensus les éloigne
du champ de la participation limité aux seuls Juifs, ils ne sont
pas non plus autorisés à s’identifier comme Arabes ni comme
Palestiniens.
Telle n’est évidemment pas la vraie frontière
et je ne considère pas que la position de Hadash soit si médiocre :
il est bien commode pour les progressistes israéliens de présenter
Hadash ainsi, et il est simplement dommage que pour des motifs
politiques, ses membres soient parfois entraînés à adopter ce
diagnostic simpliste. Balad, par comparaison, n’est pas un parti
« séparatiste » ni, bien sûr, « extrémiste »,
mais un parti qui a proposé un autre défi de l’intégration :
une lutte pour l’égalité qui ne soit pas fondée sur la négation
de l’identité nationale, mais précisément sur sa préservation
et son développement ; « une identité entière, une
citoyenneté pleine », comme disait le slogan électoral du
parti. En outre, l’hystérie actuelle s’est développée après
que beaucoup de Juifs se sont rendu compte, à leur grande
surprise, que cette frontière était fissurée, que les positions
essentielles de Balad étaient partagées par le public et
qu’elles étaient reçues aussi parmi les membres de Hadash.
Il y a bien entendu des différences et des
controverses fondamentales entre diverses composantes parmi les
citoyens palestiniens d’Israël - mais il y a aussi,
aujourd’hui, un large accord et c’est contre celui-ci que les
services de la Sécurité générale (Shabak) se lancent
maintenant, avec le soutien (ou dans le silence) des cercles israéliens
définis comme progressistes. Dans ce contexte, Balad est perçu
comme plus dangereux encore, comme celui qui « corrompt »
les Arabes et propage parmi la jeunesse les germes de la démocratie.
Conformément au mode de pensée infantile de la Sécurité générale
(Shabak), qui traite les Arabes comme des personnes infantiles, si
l’on éloigne l’enfant mauvais, les autres enfants apprendront
la leçon et resteront tranquilles ; ils ne chanteront pas
l’hymne national, mais s’identifieront avec l’entreprise du
« Retour à Sion ». Dans cette manière de voir, les
Arabes légitimes sont ceux qui accepteront la situation existante
avec de légères retouches et qui seront d’accord avec la
politique de la gauche.
Le défi de Bishara
Cela fait plus de deux décennies que Bishara
lance des défis à la société israélienne juive. Il a joué un
rôle central dans l’approche fondamentale de la demande de
reconnaissance d’Israël comme Etat de tous ses citoyens. Il a
bien évidemment eu des devanciers, mais son rôle aura été décisif
pour faire de ce principe une composante significative dans
l’agenda public et une base de discussion à laquelle se sont
associés de plus en plus de gens. Plus qu’un programme
explicite, cette revendication constitue une position critique qui
fait la démonstration des fondements antidémocratiques et
racistes de la réalité existante. Elle exprime une aspiration à
la démocratisation de l’Etat et à l’abrogation de toutes les
institutions et tous les mécanismes qui perpétuent la
discrimination et la dépossession des citoyens arabes. La demande
de démocratisation a montré les implications de la caractérisation
actuelle de l’Etat.
Mais si beaucoup pouvaient vivre avec le slogan
d’un « Etat de tous ses citoyens », la revendication
complémentaire avancée par Balad - à savoir la demande de
reconnaissance des citoyens palestiniens comme minorité nationale
- a suscité une opposition venant de bien des côtés.
L’exigence qui est celle de Balad, d’une égalité basée sur
la préservation de la conscience nationale, sur la reconnaissance
que seul un mode d’organisation national permettrait de lutter
et de résister aux modèles d’intégration basés sur la
« négation de l’identité », a soulevé une
opposition, y compris dans des cercles de gauche. Et cela en dépit
du fait - ou peut-être justement du fait - que cette demande
s’accompagnait d’une claire reconnaissance du droit du peuple
israélien juif à l’autodétermination. L’essence même de
cette reconnaissance (qu’on n’a pas cessé de chercher à
nier) - non pas expression de gratitude mais reconnaissance de
l’existence du collectif israélien juif - est le signe d’un
changement des règles du jeu, et elle porte le grand défi
suivant : ce ne sont pas des Juifs qui, se rappelant avec émotion
de leur progressisme, accordent des droits aux membres de la
minorité arabe, mais des Palestiniens qui reconnaissent les
droits des Juifs dans le cadre de la démocratie, de l’égalité
et de la justice, tant au niveau du citoyen qu’au niveau de la
nation.
Provoquer plutôt que de
faire face
L’opposition à Balad en général et à Bishara
en particulier s’est développée sur fond de ses prises de
position et de son activité politique ainsi que celle de ses
amis, depuis la fin des années 90 et plus particulièrement
depuis l’année 2000. Balad n’était bien sûr pas le seul
parti à être confronté, de manière continue, à la
provocation. D’autres députés arabes au Parlement ont aussi dû
faire face à des enquêtes et à l’agressivité vulgaire des
journalistes de la télévision et de la presse écrite. Mais on a
toujours insisté davantage sur Bishara, parce qu’il était
impossible de nier le défi fondamental qu’il lançait. Ce ne
sont pas seulement les positions qu’il exprimait qui suscitaient
la fureur, mais aussi le fait qu’elles étaient formulées dans
un contexte arabe, en rejetant le fait de présenter le monde
arabe comme un ennemi et en exprimant clairement une approche qui
tient que la citoyenneté d’un Arabe n’est pas conditionnée
par le rejet de son identité en tant qu’Arabe actif au sein du
monde arabe.
Ce fondement-là, qui soulève des difficultés même
parmi des Israéliens comme il faut, non racistes, constitue lui
aussi le grand défi. Les mêmes propos qu’il tenait dans le
monde arabe, Bishara les tenait aussi en hébreu, mais
contrairement à ses discours en arabe, les paroles qu’il disait
en Israël n’avaient droit qu’à l’indifférence. Bishara ne
parle pas comme des Juifs voudraient qu’il parle : il
s’exprime en tant qu’Arabe, et rejette l’argument qui veut
qu’étant citoyen d’Israël, il n’ait pas le droit de
s’exprimer en tant qu’Arabe. Dans le passé, son succès découlait
de ce qu’il s’adressait en même temps aux deux côtés, mais
il s’est abstenu de s’adresser au public israélien depuis que
toute interview de lui par un journaliste a pris des allures
d’interview par un membre de la Sécurité générale (Shabak),
où plutôt que d’exprimer une position, il était tenu de se
justifier.
La haine dont Bishara fait l’objet s’est
renforcée précisément parce qu’il a raison. Il a exprimé
d’une manière cohérente des positions opposées au « processus
de paix » dans sa structure actuelle et contesté les
principes de base qui définissent le « camp de la paix ».
Les positions qu’il a avancées se sont révélées à la fois
justes et pragmatiques. La société israélienne l’a mis à
l’écart depuis 2000, même s’il a, comme toujours, continué
à susciter de l’intérêt. La provocation contre Bishara est
devenue une composante de l’identité israélienne, en
particulier chez des gens de « gauche » qui
soutiennent qu’il « est allé trop loin », qu’il
« a dépassé les limites », tandis qu’ils se désignent
eux-mêmes comme la limite de ce qui est permis.
Bishara avait raison quand il a été le seul député
n’appartenant pas à la droite, à ne pas avoir soutenu au
Parlement le plan de Barak avant le sommet de Camp David en 2000,
et à avoir mis en garde, dans son discours au Parlement, contre
les conséquences de l’arrogante « politique du non »
de Barak. Et cela, en opposition avec le reste des députés
arabes (parmi lesquels émergeait Ahmed Tibi qui a déserté son
partenariat avec Balad immédiatement après les élections) qui
avaient rejoint le consensus du soutien. Il n’est plus besoin
aujourd’hui d’éclairer ce qu’ont été les conséquences de
la politique aventureuse et arrogante d’Ehoud Barak et de ce que
nulle opposition n’est venue de la gauche. C’est comme cela
qu’est apparu clairement que Balad n’était pas une voix sur
laquelle la gauche israélienne pouvait compter d’une manière
automatique, indépendamment de sa politique. Et c’est ce qui
est apparu une fois encore lorsque Balad a lancé le boycott des
élections entre Barak et Sharon en 2001.
Bishara avait raison lorsqu’en Syrie, en 2001,
il déclarait dans un discours à la mémoire du Président Assad,
que la résistance palestinienne à l’occupation ne pouvait réussir
si elle ne s’accompagnait pas d’une position politique arabe
d’ensemble. Sauf que, aujourd’hui encore, les différents
commentateurs israéliens sont tenus de déformer ses propos
lorsqu’ils diffusent le discours et le coupent au beau milieu.
On souligne ses paroles concernant la « résistance »
- et il n’a effectivement pas nié le droit des Palestiniens à
résister à l’occupation dans les Territoires - mais en ne
tenant absolument aucun compte du contexte : de
l’affirmation que la résistance à l’occupation n’avait
aucune chance sans une initiative politique d’ensemble. Ceux qui
ne sont pas asservis aux provocations d’Ehoud Yaari, Zvi
Yehezkeli et leurs semblables, reconnaîtront aujourd’hui
l’importance historique de ces propos qui ont été plus tard
mis en œuvre dans l’initiative de paix arabe.
Malgré cela, les médias israéliens se sont
fatigués à dissimuler les paroles de Bishara contre les opérations
suicides : un bref compte-rendu par Amira Hass des mots
qu’il avait prononcé lors d’une assemblée à Ramallah contre
les opérations suicides a été rapidement retiré du site
Internet sans laisser de trace et il n’a eu droit à aucune
mention dans l’édition imprimée. Tout à coup Bishara n’était
plus si intéressant, peut-être par crainte que le portrait de
Bishara en monstre ne se fissure et peut-être parce que, dans le
cas où l’on rapporterait ses propos, on serait bien obligé
d’examiner si des modes de résistance à l’occupation ne
seraient pas effectivement légitimes.
Bishara avait évidemment raison lorsqu’il
s’est opposé en 2000 au retrait du Liban sans accord avec la
Syrie, et lorsqu’il a appuyé la position syrienne en dépit des
critiques émises de divers côtés. Balad a effectivement vu,
avec satisfaction, dans le retrait israélien une première étape
dans la fin de l’occupation israélienne, mais il a énoncé une
position complexe en regard du contexte. Beaucoup en Israël
s’associent à cette position, mais ce qui les dérange, c’est
que Bishara le fasse en se référant explicitement aux intérêts
arabes.
L’opposition de Balad à la dernière guerre au
Liban était évidemment parfaitement justifiée et il ne s’est
pas retrouvé seul dans cette opposition. Cette opinion était
partagée par la majorité de la population arabe et par toutes
les forces politiques arabes. Ce par quoi Bishara s’est démarqué
à cette occasion, c’est le fait qu’il ait refusé de
condamner le Hezbollah et qu’il ait pointé du doigt le contexte
général de la crise : les transgressions, les actions
agressives incessantes d’Israël et la place de cette guerre
dans le cadre du plan américano-israélien. Bishara n’a pas hésité
à regarder le Hezbollah comme une organisation de résistance et
non comme une monstruosité, même s’il exprime, comme on sait,
des réserves sur une partie de ses positions.
Bishara avait clairement raison quand il a annoncé
dès le début de la guerre que le Hezbollah ne serait pas défait,
ce qui a encore attisé la colère des commentateurs qui, à ce
moment-là, salivaient encore d’enthousiasme devant
l’offensive aérienne qui devait détruire, anéantir, briser,
ruiner. Pareille chose est évidemment difficile à pardonner :
que la guerre dans laquelle Israël s’est lancé avec l’espoir
de se purifier, une guerre qui a été présentée comme une
guerre « on ne peut plus juste », qui était censée
faire oublier les horreurs quotidiennes de l’occupation et de
l’unilatéralisme - que cette guerre-là se soit achevée par
une amère déception du point de vue israélien.
Les commissions d’enquête cherchent, chacune à
sa manière, à identifier les circonstances de l’échec de la
guerre, mais s’abstiennent de faire référence à son image de
« guerre juste » menée contre un ennemi monstrueux,
une guerre destinée à libérer les Israéliens enlevés. Plus
personne en Israël ne se demande s’il y avait une justification
au carnage perpétré contre la population civile libanaise lors
de cette offensive. Au lieu de s’examiner elles-mêmes, les
autorités, en Israël, recherchent ailleurs les coupables. La
guerre a complètement ébranlé la défense israélienne, montré
les limites de la supériorité militaire et s’est accompagnée
d’une crise générale d’une société désorientée, qui
manque de confiance et de toute vision. Plus apparaît à quel
point cette guerre était un échec, plus la campagne de
provocation contre Bishara s’étend.
La provocation actuelle
A partir de ce qui est publié dans le cadre des
limites imposées par une « censure à la publication »
qui a été décrétée dans l’affaire Bishara, on peut supposer
que la Sécurité générale (Shabak) tente de lui ficeler un
dossier. On peut supposer que celui-ci est lié aux positions
prises par Bishara pendant la guerre du Liban. Israël, défait,
cherche par tous les moyens la cause de la défaite, mais au lieu
d’affronter la véritable cause - sa politique immuable - Israël
harcèle Bishara qui s’est identifié avec « l’ennemi ».
Je n’ai aucune idée de ce que peuvent être les détails de
l’affaire, mais à partir des allusions faites par les médias,
il est clair qu’on essaiera de porter contre lui les accusations
les plus graves. Le jugement public l’a déjà déclaré
coupable de soutien à l’ennemi et au terrorisme. Il ne reste
plus qu’à trouver des preuves qui s’accordent avec ces
accusations.
Toutes les enquêtes menées antérieurement sur
Bishara s’occupaient de ses activités connues, publiques. Même
si cette nouvelle enquête, d’après les allusions des
journalistes, s’appuie sur des matières confidentielles (comme
la Sécurité générale en a à profusion), il est clair
qu’elle concerne ses prises de position politiques explicites -
quelles que puissent être les informations sensationnelles que
nous a promises la promo organisée par la Sécurité générale
la semaine dernière, par l’intermédiaire des opposants de
Balad dans la presse en arabe.
Dans l’Israël d’aujourd’hui, la Sécurité
générale (Shabak) a été proclamée autorité décisionnelle en
matière de démocratie. Quand elle a déclaré que les citoyens
arabes constituaient une « menace stratégique », cela
n’a suscité aucune réaction. Même les porte-parole de la
« gauche » comme Youli Tamir et Ran Cohen
s’identifient totalement avec la ligne des services de la Sécurité
générale. La campagne menée contre Bishara n’est pas
seulement dirigée contre lui, ni seulement contre Balad. Elle est
destinée à montrer à l’ensemble de la population arabe où
sont les limites. Celui qui, dans cette situation, déclare que
Bishara « a franchi la limite » (et cela s’est dit
sans aucun lien avec cette investigation extraordinairement mystérieuse)
se fixe à lui-même cette limite qui ira en se resserrant
toujours plus, jusqu’à, peut-être, ne plus laisser le moindre
espace. Ceux aussi qui critiquent telle ou telle position de
Bishara doivent comprendre la nature du danger qui se dresse
devant nous. Cette investigation a lieu précisément contre
l’idée de réduire les différences, dans le but de faire échouer
toute tentative du genre de celle qui s’est manifestée dans les
documents de prise de position publiés récemment. C’est là
bien sûr une activité hystérique, même dans les conceptions de
la Sécurité générale, mais elle est parfaitement capable de
conduire à de grands ravages, à un régime d’oppression et
d’intimidation. C’est bien le but.
Dans ce contexte, le choix qui s’offre à nous,
Juifs israéliens, s’établit entre approuver une situation où
c’est la Sécurité générale qui gouverne ou bien
l’ouverture d’un débat général sur le large défi politique
posé par Bishara et les nombreuses personnalités palestiniennes
impliquées dans la rédaction des divers documents (1). Il est
parfaitement possible de comprendre pourquoi ces documents ont
suscité une telle opposition chez de nombreux Israéliens, et il
y a place pour une discussion approfondie sur leurs implications.
Il est impératif que ce débat remplace l’actuelle campagne de
harcèlement.
Il revient à tous ceux qui sont épris de démocratie
de se dresser face à l’offensive de provocation à laquelle on
peut s’attendre quand la Sécurité générale décidera de
lever les diverses censures à la publication. Tous ceux qui
croient dans les principes d’égalité nationale et citoyenne
doivent comprendre que ce combat ne concerne pas seulement Bishara,
mais nous tous.
Amnon Raz-Krakozkin
est historien, professeur d’histoire juive à l’université
Ben Gourion, Israël. Les éditions La Fabrique viennent de
publier son livre, Exil
et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale,
préfacé par Carlo Ginzburg.
Note :
(1) La « Constitution
Démocratique » (version intégrale), la « Vision
future des Arabes palestiniens en Israël », le « Document
en 10 points » du Centre Mossawa...
(Traduction
de l’hébreu : Michel Ghys)
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