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Opinion

Du sang dans les coulisses
Ali Kanaan


Fosse commune en Syrie

in Al-Quds al-Arabiyy, 1er juin 2011

La diplomatie secrète joue un rôle essentiel et effectif dans la plupart des pays. Mais en Syrie, elle constitue un élément intrinsèque et existentiel qui atteint le niveau du sacré occulte dont personne ne doit connaître ni les rites ni les textes fût-ce après un demi-siècle, contrairement à tous les règlements, à tous les usages et à toutes les lois que l’on connaît ailleurs dans le monde. La déclaration de Cendrillon Clinton, la ministre américaine des Affaires étrangères, au sujet des réformes en cours en Syrie a fait de nous tous des êtres tremblants et stupéfaits ; c’est comme si elle avait renversé sur chacun d’entre nous un seau plein de glaçons. Si ce qu’elle dit est vrai, comme se fait-il que le peuple syrien n’ait  pas entendu parler de ce cadeau béni jusqu’à maintenant ? Ou bien alors, on considère celui-ci comme un troupeau qui n’a pas le droit de savoir ce que son bouvier ou la bande de bouchers réfugiés dans le bazar veulent faire de lui ?

En revanche, nous comprenons parfaitement que la Maison Blanche et ses dirigeants tant nouveaux que vieillis comme du bon vin ne sont préoccupés ou occupés que par le seul intérêt et la seule sécurité d’Israël. Cela signifierait que la nature des réformes auxquelles cette dame a fait allusion a trait avant tout, et exclusivement, à l’ennemi sioniste et que cela n’a rien à voir ni de près ni de loin avec le peuple syrien. Cela n’est en rien une preuve nouvelle ou surprenante de la manière dont le régime (syrien) traite son peuple. Cela n’est qu’une preuve de plus du point auquel ce régime ignore et méprise son peuple, ce peuple qui ne mérite pas qu’on lui adresse le moindre mot de réconfort ou de condoléances, ni le moindre signe inspirant la sérénité et l’espoir. Ce qui importe par-dessus tout, c’est que nous fassions passer nos cartes imbibées de sang sous la table en veillant à ce qu’elles parviennent bien à Washington et aux groupes de pression sionistes qui l’entourent.

Je n’imagine pas que l’extrémisme religieux soit en aucune façon admis ni même concevable en Syrie, mais quiconque observe la logique du régime familial syrien et ses propos réitérés ne peut qu’être frappé de stupéfaction. Si les émirats islamistes étaient effectivement aussi répandus en Syrie que l’a affirmé la vague des allégations et des mensonges du régime, cela signifierait que ces musulmans extrémistes seraient plus légitimes à recevoir les rênes du gouvernement que ces créatures mythiques munies de la carte du parti Baath dont les amis occupent le trône du pouvoir avec cette arrogance sanglante et ce mépris effroyable pour la sécurité et même pour la vie des citoyens. Mais ceux qui suivent les émissions de la chaîne satellitaire du régime, dans ce  pays, avec tant ses images que ses vivats, ne peuvent voir que la situation a atteint l’état d’un ballon exagérément gonflé, alors que celui-ci explose, chaque jour, et plusieurs fois à la figure de ceux qui l’exhibent et l’agitent aux yeux du monde entier. Quiconque observe de loin la situation de notre pays ressent une amertume diabolique et oppressante à tel point qu’il a l’impression que la Syrie (telle qu’un oiseau) se serait envolée de son emplacement géographique à l’est de la Méditerranée pour aller se poser sur l’épaule de l’Océan pacifique à l’instar d’une deuxième Corée du Nord, avec toute l’obscurité et toute la fermeture de ce pays. Mais le privilège de la Syrie, c’est son emplacement unique en son genre, c’est d’être entourée de six pays, au bas mot, si nous considérons que sa côte méditerranéenne ouvre sur un seul pays (bien que divisé), Chypre, à égale distance de la  Grèce et de l’Italie, d’un côté, et de l’Egypte, de l’autre. Cela signifie que notre pays est ouvert sur le monde et sur ses perspectives, il est ouvert à tous les horizons et les forces de la tyrannie sauvage, destructrice et sanguinaire ne pourront effacer cette réalité ni en supprimer les influences épanouissantes et bienfaisantes.

Avec la poursuite de la situation actuelle d’obscurantisme, qui pourrait avoir la force d’oublier les drames frappant les enfants et les femmes réfugiés dans la steppe ? Comment pourrions-nous effacer de notre mémoire endeuillée par le drame le spectacle de ces cadavres, de ces corps éparpillés dans les rues et dans les fosses ? C’est l’image de la Libye qui se reproduit d’une manière encore plus épouvantable et avec encore plus de sauvagerie, avec encore plus de cadavres mutilés à dessein, et avec encore plus d’insistance à perpétrer les crimes avec une folie criminelle professionnelle, comme si nous nous trouvions devant une scène de cinéma importée d’un autre enfer, loin, très loin de la terre des êtres humains. Que ne donnerais-je pas, pour pouvoir me lever, un matin, et découvrir que tout ce que j’ai vu tout au long de ces dix semaines n’était rien d’autre qu’un terrible cauchemar ! Et que la Syrie, en réalité, n’est ni la Libye, ni le Yémen, ni la Somalie !

Retournons à la contemplation du petit écran : nous y verrons une rare minorité de commentateurs syriens s’exprimer sur leur chaîne satellitaire ; en effet, le pouvoir impérial tyrannique a été incapable d’obtenir de ses partisans et de ses valets qu’ils s’exprimassent. C’est pourquoi il a fait appel aux frères libanais, ceux-ci étant plus habiles et financièrement plus exigeants. A l’époque de la mort de Hafez al-Asad, les médias visuels syriens n’avaient trouvé personne pour commenter ses obsèques ; ils avaient convié des dizaines de Libanais pour faire l’inventaire de ses vertus et composer des panégyriques en son ‘honneur’. Cruelle ironie : nous ne voyons pas un seul responsable syrien qui oserait apparaître (sur le petit écran) afin de répondre aux myriades de questions qui se posent et auxquelles il apporterait une réponse nationale satisfaisante.

Il est impossible de réduire au silence les slogans populaires retentissants appelant à la chute du régime parce que ces slogans ont reçu le sceau du sang des martyrs et parce qu’ils composent un hymne quotidien sur de très nombreux canaux télévisés, que ceux-ci soient sincères avec ce peuple ou qu’ils soient mus par des intérêts douteux. Quant au conseil diplomatique poli que le président américain Obama a prodigué et qui a été repris par beaucoup de gens (« Entreprenez effectivement la réforme ou laissez le pouvoir »), ce dilemme place la jeunesse syrienne et les responsables de l’opposition nationale syrienne devant plus d’une question douloureuse : où est-il, ce dialogue qui précède obligatoirement toute mesure de réforme ? Comment peut-il y avoir réforme, avec ces fournées de martyrs ? Peut-il y avoir un dialogue, après tous ces massacres ? Les foules populaires seraient-elles devenues des troupeaux de moutons pour qu’elles oublient les martyrs de la rébellion et pour qu’elles rampent, serviles et soumises jusqu’au lieu du festin pour s’y retrouver face-à-face avec la bande des loups qui auront éliminé les traces de sang de leurs crocs et qui se seront assis afin de lever leur verre dans des toasts de gentil reproche, de convivialité et de compréhension mutuelle ?!

Le style policier brutal a encore cours, il est hégémonique sur les places des villes syriennes et dans leurs quartiers endeuillés. Ceux qui pensent encore au dialogue ou ceux qui le proposent non sans optimisme et sans espoir plein d’arrière-pensées sont dépassés par les événements et par les mesures de brutalité sanglante actuellement appliquées dans des dizaines de villes, de bourgades et de villages. L’observateur lointain est choqué ; il est comme foudroyé en assistant à ces massacres quotidiens, tandis que les responsables du régime détournent les yeux et font semblant de ne pas les voir tout en continuant à perpétrer leurs crimes comme s’ils se livraient à une sorte de compétition, c’est  à celui qui tuera le plus de Syriens !

En optant pour la méthode de la répression et de la tyrannie, le régime syrien a laissé échapper une rare occasion historique, dont il est impossible qu’elle se reproduise ou qu’elle soit récupérée, le jour où il en a terminé avec le Printemps de Damas et où il a entrepris de brutaliser les symboles des commissions issues de la société civile, à les jeter dans ses prisons et dans ses camps d’emprisonnement sans la moindre justification judiciaire et sans la moindre notion de justice humaine ou d’impartialité juridique et d’élévation morale, lorsque nous écrivions, voici de cela des années, dans Al-Quds al-Arabiyy, que ce serait la perpétuation de l’arbitraire qui allait entraîner l’explosion et préparer le terrain en vue d’une intervention étrangère, l’accusation toute prête contre nous consistait à dire que nous étions haineux, que nous étions des agents stipendiés. Il était alors évident que le pouvoir voulait que la situation ne fasse que se compliquer, virer à l’anarchie et se déchaîner jusqu’à entraîner une explosion et à pousser des forces hostiles à intervenir. Le régime, totalement impuissant face à ses crises mortelles, depuis son dos tourné au Golan sous occupation durant toutes ces années jusqu’à son échec en matière de développement économique et de construction d’un niveau minimal de libertés démocratiques et d’Etat de droit, ce régime n’avait plus d’autre solution que d’exporter ces crises tantôt au Liban, tantôt dans le Hafr al-Bâtin, tantôt enfin en Turquie, via Ocalan, et nous ne parlerons pas de l’Irak, en raison de sa situation ambiguë entre Washington, Riyad et Téhéran.

Aujourd’hui, il ne reste plus que le front intérieur, comme si le peuple était l’unique ennemi, l’ennemi le plus dangereux, pour ce régime de tyrannie, de vol organisé, de corruption passive et active.

En l’absence du climat sain et libre propice à une forme quelconque de dialogue national, que nous reste-t-il ? Celui qui ne possède pas quelque chose ne peut l’offrir à d’autres. Celui qui interdit tout dialogue et jusqu’à la possibilité de poser la question de savoir qui sont les membres de son parti dans ses réunions les plus confidentielles, comment pourrait-il autoriser le dialogue avec l’autre et comment pourrait-il reconnaître ce dernier ? En ressentirait-il d’ailleurs l’existence, pour accepter ainsi d’en écouter la voix ? D’autant que ce gouvernant n’entend que sa propre voix digne de celle d’un Staline ?

Le peuple syrien a affaire à un ensemble quasi mythologique de dieux plus implacable que les dieux païens. A l’horizon prévisible, il n’y a rien d’autre que davantage de sang patriote et innocent répandu… ou la chute du régime. Il semble que le slogan populaire qui gronde actuellement dans les rues : « La mort… et pas l’humiliation ! » est la seule option restante, jusqu’à ce que Dieu fasse advenir l’inéluctable.

Ali Kanaan, écrivain syrien

Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

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Source et traduction : Marcel Charbonnier


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