Opinion
Le fond des choses
Ali
Hakimi
Samedi 24 août 2013
Les discours officiels dominants, des
puissances occidentales, relayés par la
machine médiatique mondialisée, ne
laissent pas beaucoup de place à une
lecture circonstanciée des processus en
œuvre en Egypte. Dans cet esprit, le pur
souci de propagande met en scène les
seuls acteurs qui vaillent pour la
réalisation des objectifs politiques
et/ou diplomatiques.
Peut importe donc la réalité de la
situation politique et sociale qui a
mené à la disqualification, par les
militaires, du président élu des Frères
musulmans Mohamed Morsi, ainsi que les
rapports de force au sein de la
formation sociale égyptienne.
Découpé du contexte, le coup d’Etat mené
par le général Abdel Fatah Al-Sissi, ce
faisant, peut à loisir autoriser à
invoquer les notions de « légitimité »
et de respect du choix des urnes et les
concepts de démocratie. L’opinion est
ainsi faite autour d’un schématisme
réducteur qui convoque le syndrome du
putsch, qui a pu entraîner le Venezuela
à retirer son ambassadeur du Caire et à
la réhabilitation du président déchu.
Théâtre de l’approche, une confrontation
entre les forces armées et les Frères
musulmans, commodément désignés sous le
label de « pro-Morsi », afin d’évacuer
la nature partisane des contestataires
et leur singularité religieuse.
Le tout étant de mettre en scène des
légalistes opposés à des putschistes,
tandis que les dizaines de millions
d’Egyptiens qui ont déferlé des mois
durant, jusqu’au raz-de-marée du 30 juin
2013, contre la gouvernance de Morsi et
de sa Confrérie, sont occultés ou
ignorés. Alors même qu’ils pèsent de
tout leur poids sur le comportement de
l’armée, à laquelle ils n’ont donné
qu’une procuration pour « sauver » le
pays et assurer une transition orientée
vers la satisfaction des attentes et
préoccupations populaires à l’origine du
mouvement qui a conduit à la chute du
régime de Hosni Moubarak. Les Frères
musulmans, eux-mêmes, par pur
aveuglement, par tactique ou par fuite
en avant désespérée, se posent comme
étant le « peuple», l’Islam victime d’un
complot laïc ou les représentants de la
légitimité bafouée. Tout en enfermant
leurs partisans dans une acception
fantasmée de leur nombre et de
l’assurance d’une victoire couronnée par
le retour de Morsi à la tête du pays.
Seule entorse au décorum, il est parfois
fait allusion à une « profonde division»
du pays.
Un schéma construit autour de
l’espoir que la contesta frériste allait
durer et imposer des négociations, à
même d’inverser la dynamique de remise
en cause des perspectives que l’arrivée
au pouvoir des Frères avait laissées
escompter. Ce ne fut pas le cas, et
l’offensive occidentale a fait long feu,
pour contraindre et les Etats-Unis et
l’Europe à baisser de plusieurs crans
leurs exigences, dont le confortement
est largement surestimé si l’on se
réfère à ces « aides financières » dont
l’efficacité s’est avérée être plus que
douteuse, en termes d’impact sur
l’économie égyptienne ou sur
l’atténuation des immenses difficultés
qui ont déstabilisé le pays.
Lucidement, le Time écrit : « La
nécessité pour les Etats-Unis de
conserver une influence dans le pays le
plus peuplé du Monde arabe est si
importante que nous n’allons
probablement couper aucune aide. » Cela,
quand une lame de fond anti-Etats-Unis a
enflé au point que soit brandie la
revendication par « Tamarod » du rejet
de toute aide de ce pays ; aide
assimilée au bradage de la souveraineté
nationale. Sans préjudice de la montée
quasi irrépressible du nationalisme et
du désir populaire d’un retour au
Nassérisme, que préfigurerait la
personne de Al-Sissi et qu’augure
l’incapacité des formations politiques à
offrir une alternative crédible, encore
moins à rassembler.
De fait, nous allons probablement
assister au déploiement d’une nouvelle
stratégie atlantiste, annoncée par
l’attitude de la monarchie saoudienne,
des Emirats et du Koweït, d’offrir au
nouveau pouvoir un soutien financier qui
pourrait l’aider à éviter ou à contenir
la grogne sociale qui ne manquera pas de
se manifester. D’autant que son niveau
de radicalisation, eu égard au stade
d’organisation atteint à travers la
constitution de Comités populaires,
annonce une confrontation dont l’issue
pourrait être fatale pour le système
toujours en place en Egypte, partant
pour tout l’équilibre géopolitique de la
région. Cependant, le reflux frériste
dans la société est en cours et le
basculement de ses éléments les plus
avancés dans la clandestinité ou dans la
violence armée en constitue des
indicateurs significatifs. L’heure sera
donc bien, soit aux concessions à un
pouvoir populiste dirigé par un «
sauveur», soit à un approfondissement de
la crise. Dans les deux cas, le camp
occidental aura beaucoup perdu de son
influence et doit se préparer à
renégocier ses certitudes.
Publié sur
Reporters.dz
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