Opinion
La Tunisie au
piège d'une «illégitimité durable»
Ali
Guidara
Mercredi 9 janvier
2013
Le temps est venu
pour la «troïka» de faire le bilan de
ses échecs et de céder le pouvoir à une
équipe de technocrates compétents et
intègres qui sauront comment remettre le
pays sur la bonne voie.
Par
Ali
Guidara*
Jusqu'aux élections du 23 octobre 2011,
la Tunisie a bénéficié d'un capital de
sympathie international sans précédent.
Ayant été le premier pays de la région à
déloger une dictature mafieuse, le 14
janvier 2011, avec les moyens les plus
pacifiques et civilisés qui soient, la
Tunisie a suscité le respect et la
considération du monde entier; elle a
même eu droit à une longue standing
ovation du Congrès américain.
Après le
succès, l'échec et le chaos
Peu après, l'accueil de centaines de
milliers de réfugiés en provenance de la
Libye voisine en guerre et la gestion
irréprochable par la Tunisie de ce flux
de réfugiés, dans des conditions
délicates mais avec un élan de
solidarité historique, ont renforcé
l'image que les Tunisiens reflètent à
travers le monde, à savoir celle d'une
nation pacifique, plurielle, ouverte et
tolérante. La planète entière voyait
dans ce pays libéré un nouveau socle
pour la démocratisation de toute la
région et tous les rêves étaient alors
permis.
Le rêve, hélas, n'aura duré que
quelques mois et le capital de sympathie
se sera vite volatilisé.
Élus pour remplir le mandat d'écrire
une nouvelle constitution dans un délai
qui devait prendre fin le 22 octobre
2012, les membres de l'Assemblée
nationale constituante (Anc), par
naïveté ou calcul, ont cautionné la
formation d'un gouvernement dominé par
le parti islamiste Ennahdha, en
coalition avec ses deux partenaires dits
de gauche. C'était en fait le début d'un
nouveau cauchemar pour le pays, avec, à
la clé, une confiscation du pouvoir pour
un temps indéterminé.
La gestion chaotique du pays par des
incompétents sans vision ni projet
viable a aggravé la situation économique
et empiré les tensions sociales. Il y a
eu déferlement de prédicateurs
islamistes, sous l'œil bienveillant d'Ennahdha,
dont les objectifs étaient clairement
d'appeler à l'islamisation forcée de
tous les aspects de la vie tout en
faisant l'apologie de la haine contre
les modernes, quitte à nuire au pays.
Instrumentalisation des groupuscules
extrémistes
Les responsables d'Ennahdha, tout en
marginalisant leurs partenaires, n'ont
cessé de répéter que leur but est de
faire régner l'islam politique en
Tunisie, au mépris des urgences du pays
en crise et des souffrances des
déshérités qui attendent toujours
l'amélioration de leur sort.
L'instrumentalisation de la religion
et des groupuscules extrémistes avec les
ravages qu'elle a provoqués, à doses
régulières, a conduit le pays à une
insécurité généralisée et à un chaos
dans les affaires publiques.
Cette stratégie du chaos a achevé
l'image du pays dans le monde et a bien
profité au parti islamiste, qui s'en
sert pour renforcer sa mainmise sur
l'appareil de l'Etat et se maintenir au
pouvoir sans avoir de comptes à rendre,
incapable qu'il est de gouverner dans
des conditions normales de gouvernance
et d'imputabilité.
Malgré ses échecs successifs sur tous
les plans et la perte de sa crédibilité
aussi bien à l'intérieur qu'à
l'extérieur du pays, la «troïka»
au pouvoir dominée par Ennahdha préfère
marginaliser encore plus le pays et
ignorer le fait que son mandat est échu
depuis le 22 octobre 2012. Le temps est
pourtant venu pour elle de faire le
bilan de ses échecs et de céder le
pouvoir à une équipe pragmatique de
technocrates compétents et de
personnalités patriotiques intègres qui
sauront comment remettre le pays sur la
bonne voie, bâtir sans tergiversations
des institutions démocratiques dignes de
ce nom et sillonner le monde afin de
rassurer nos partenaires et solliciter
leur soutien, en attendant les
prochaines élections.
Et l'opposition dans tout cela?
Elle n'a d'opposition que le nom. En
grande partie, elle fait du sur place à
l'instar de la «troïka» au pouvoir avec
de temps à autre des coups de gueule
stériles qui ne tardent pas à s'évanouir
dans le torrent de palabres vaines et de
médiocrité généralisée.
Cette «opposition» a, en
réalité, tout raté. Elle ne joue aucun
rôle constructif dans les débats de
l'Assemblée constituante, lorsque ses
membres ne sont pas absents des séances.
Elle n'a fait que réagir à des critiques
sans jamais proposer une vision ou un
projet viable qui ferait sortir le pays
de sa crise. Le pire est qu'elle a
surtout gâché la date butoir du 23
octobre 2012, qui constituait une
occasion historique pour présenter une
motion de censure contre le gouvernement
en place qui n'a accompli aucune
réalisation positive digne de ce nom,
durant l'année de son mandat légitime.
C'est à se demander si cette
opposition voulait vraiment jouer un
rôle dans cette phase de transition
démocratique ou si elle ne cherchait
qu'une position dans l'échiquier
politique.
Le piège
tendu par Ennahdha
C'est ce que semble bien comprendre
le parti islamiste, plus que jamais en
sursis, qui fait miroiter à cette
opposition prédisposée à collaborer à
l'élargissement de sa «troïka»
et l'intégration de certains de ses
membres dans un gouvernement qu'il
assure vouloir remanier prochainement.
Si cela se concrétise, ce serait un pur
bénéfice pour Ennahdha mais une perte
sèche pour le pays et un discrédit pour
ceux qui accepteront de collaborer avec
le parti islamiste.
En effet, toute participation dans un
futur gouvernement dominé par Ennahdha
constituera une trahison vis-à-vis des
revendications démocratiques et ne fera
que faire perdurer l'illégitimité du
pouvoir en place tout en reléguant les
prochaines élections aux calendes
grecques. Et surtout, cela fera porter
la responsabilité de l'échec à un plus
grand nombre de personnes et de partis
et fera sortir Ennahdha plus fort, moins
sali.
S'ils acceptent ce marché de dupes en
apportant leur soutien à cette
illégitimité durable, ces alliés de
dernière heure – formations ou individus
– courent tout droit à la
marginalisation, voire à l'élimination
de la scène politique, une fois que le
vrai processus démocratique reprendra.
* Conseiller scientifique,
chercheur en analyse de politique
étrangère.
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Publié le 9 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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