Opinion
Comment l'Union
européenne renforce les colonies
israéliennes
Alain Gresh
Alain
Gresh
Mardi 30 octobre
2012 Nous avons assisté, durant cette
dernière décennie, à une capitulation de
l’Union européenne (UE) — et aussi de la
France — devant la politique israélienne
de colonisation et d’annexion de
facto. Le temps est loin, où
l’Europe ouvrait une voie courageuse en
se prononçant pour le droit à
l’autodétermination des Palestiniens et
pour l’ouverture de négociations avec
l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP), une organisation que
les Etats-Unis et Israël définissaient à
l’époque comme « terroriste ». C’était
en juin 1980, à
Venise.
Depuis les années 1990, toute idée de
rôle autonome de l’UE ou de la France à
l’égard des Etats-Unis et d’Israël a
disparu. Bien sûr, formellement, elles
se prononcent en faveur de la création
d’un Etat palestinien dans les
frontières de 1967, mais elles refusent
de reconnaître que si cet Etat n’existe
pas, Israël en porte la responsabilité.
Et, malgré la politique de colonisation
et les condamnations rituelles qui
s’ensuivent, l’Union renforce jour après
jour ses relations avec le gouvernement
israélien sur tous les plans —
économique, politique, sécuritaire,
militaire, etc. La visite du premier
ministre israélien à Paris le 31 octobre
confortera encore cette relation entre
Tel Aviv et Paris.
-
Le rapport que publient le 30 octobre
une dizaine d’associations, intitulé
La paix au rabais : comment l’Union
européenne renforce les colonies
israéliennes (PDF), est
significatif et inquiétant. Dans son
avant-propos, Hans van der Broek, ancien
commissaire européen aux relations
extérieures, note :
« Au cours des dernières
décennies, l’UE a critiqué et condamné
sans relâche la politique de
colonisation. Des dizaines de
déclarations et autres positions
officielles de l’UE réaffirment
l’illégalité des colonies au regard du
droit international et considèrent que
celles-ci représentent un obstacle
majeur à la paix. L’UE a souligné à
maintes reprises qu’elle ne
reconnaîtrait aucune modification
unilatérale apportée aux frontières
d’avant 1967, y compris concernant
Jérusalem. Cependant, alors que la
construction des colonies se poursuit et
s’accélère, nous, Européens, nous
gardons de passer des paroles aux actes.
À ce jour, nous nous sommes abstenus
d’exploiter notre important effet de
levier politique et économique vis-à-vis
d’Israël pour juguler sur le terrain les
développements qui vont à l’encontre de
nos valeurs fondamentales et portent
atteinte à nos intérêts stratégiques. »
C’est le chapitre 3 de ce texte
concernant les relations de l’Europe
avec les colonies qui est le plus
accablant. Il montre comment l’Union
viole, sans aucun état d’âme, et le
droit international et ses propres
déclarations politiques.
« Il est difficile de déterminer
le volume exact des exportations en
provenance des colonies vers l’UE étant
donné que l’UE ne recueille pas de
données distinctes pour les colonies. Le
ministre israélien des Affaires
étrangères a toutefois fait savoir à la
Banque mondiale il y a peu que les
exportations des colonies vers l’UE se
montaient à 300 millions de dollars par
an (230 millions d’euros). Cela
représente environ 2 % de la totalité
des exportations israéliennes vers l’UE.
(...) Il est probable que si la
valeur des exportations des colonies
vers l’Europe devait également inclure
les produits entièrement ou
partiellement produits ou emballés dans
les colonies, ce chiffre serait
considérablement plus élevé. » Le
texte rappelle que les exportations de
produits palestiniens vers l’Union se
montent seulement à 15 millions d’euros.
Après avoir énuméré les produits
agricoles importés, le texte évoque les
principaux produits manufacturés achetés
en Europe (notez bien les noms pour vos
prochains achats) : les cosmétiques
Ahava, les machines à gazéifier
SodaStearn, les plastiques Keter, etc.
Plus grave, l’implication de sociétés
européennes dans les territoires occupés
:
« Au-delà du commerce de
marchandises issues des colonies,
certaines sociétés internationales
opèrent dans les colonies, notamment en
fournissant des services et un soutien
aux infrastructures connexes. Parmi ces
activités figurent la construction
d’infrastructures de transport, la
prestation de services de transport aux
colonies, la livraison d’équipements
pour les postes de contrôle, la
prestation de services de sécurité aux
entreprises des colonies, l’extraction
de ressources non renouvelables et des
investissements dans les usines des
colonies. Vous trouverez ci-après
plusieurs exemples clés qui s’appuient
sur des informations récentes émanant de
différentes sources » : Alstom,
Veolia, G4S, Unilever, Deutsche Bahn,
etc.
La cinquième partie du rapport se
termine en listant les mesures que
pourrait prendre l’Union européenne pour
faire cesser ces actions illégales :
- Veiller à l’étiquetage correct
de tous les produits issus des
colonies à l’attention des
consommateurs.
- Dissuader les entreprises de
mener des activités commerciales et
d’investir dans les colonies.
- Interdire les importations de
produits issus des colonies.
- Veiller à ce que les produits
issus des colonies ne bénéficient
pas d’un accès préférentiel aux
marchés.
- Exclure les colonies des accords
bilatéraux et des instruments de
coopération.
- Exclure des marchés publics les
produits des colonies et les
entreprises qui y sont implantées.
- Retirer les organisations qui
financent les colonies des régimes
de déduction fiscale.
- Empêcher les transactions
financières qui soutiennent les
colonies et les activités connexes.
- Dissuader les citoyens d’acheter
des biens immobiliers dans les
colonies.
- Émettre des directives à
l’attention des voyagistes
européens.
- Dresser une liste des
entreprises qui font une déclaration
erronée sur l’origine des
marchandises issues des colonies
- Insister pour qu’Israël
désagrège les données relatives aux
colonies pour les besoins de l’OCDE
(Organisation de coopération et de
développement économiques).
En décembre 2008, à la veille de
l’agression contre Gaza, l’Union
européenne rehaussait ses relations avec
Israël, donnant ainsi un feu vert à
l’action militaire israélienne («
L’Union européenne capitule devant
Israël », 10 décembre 2008).
Quelques mois plus tard, elle prétendit
qu’elle
gelait ce rapprochement, ce qui
relevait du mensonge, aucune mesure
réelle n’étant prise pour stopper les
différents accords avec Israël, dont le
dernier exemple concerne le protocole
ACAA (relatif à l’évaluation de la
conformité et l’acceptation des
produits industriels UE-Israël), qui
a été
ratifié par le Parlement européen,
le 23 octobre, par 379 voix pour, 230
contre et 41 abstentions. Cet accord,
comme le souligne
Véronique de Keyser, vice-présidente
du groupe socialiste au Parlement
européen, représente une acceptation
de facto du rehaussement des
relations israélo-européennes.
Bien sûr, l’Union européenne continue
de financer l’Autorité palestinienne.
Mais les sommes versées servent
notamment à payer les fonctionnaires et
à combler le déficit budgétaire, ce qui,
avant 1993, était financé par Israël.
L’Union a ainsi allégé le fardeau
israélien, alors même que l’occupation
se poursuit. Quant aux infrastructures
construites par ses soins en Cisjordanie
et à Gaza, elles sont régulièrement
détruites par l’armée israélienne...
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