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Carnets du diplo
Nicolas Sarkozy, une vision américaine
de l’Orient
Alain Gresh
30 août 2007
A l’occasion de la conférence des ambassadeurs, Nicolas
Sarkozy a prononcé son
premier grand discours de politique étrangère en tant que président
de la République.
Pour Nicolas Sarkozy, nous faisons face à trois défis :
« - Premier défi, sans doute l’un des plus
importants : comment prévenir une confrontation entre l’Islam
et l’Occident. Ce n’est pas la peine d’employer la langue de
bois : cette confrontation est voulue par les groupes extrémistes
tels qu’Al Qaeda qui rêvent d’instaurer, de l’Indonésie au
Nigeria, un khalifat rejetant toute ouverture, toute modernité,
toute idée même de diversité. Si ces forces devaient atteindre
leur sinistre objectif, nul doute que le XXIe siècle serait pire
encore que le précédent, pourtant marqué par un affrontement
sans merci entre les idéologies. »
Le deuxième défi étant d’intégrer au nouvel ordre mondial
les géants comme la Chine, l’Inde et le Brésil ; le
troisième est de faire face aux risques majeurs (réchauffement,
pandémies, etc.).
Deux remarques sur le premier défi : d’abord, le risque
d’une confrontation entre l’Islam et l’Occident, risque tout
à fait réel, serait, selon Sarkozy, de la seule responsabilité
des groupes extrémistes musulmans ; rien n’est dit de la
responsabilité américaine dans cet engrenage, notamment le rôle
que jouent la guerre en Irak, le soutien inconditionnel de
Washington à la stratégie israélienne, etc. Ensuite, Nicolas
Sarkozy agite cet épouvantail du khalifat, comme si c’était
une menace réelle, un "sinistre objectif" que les
groupes radicaux pourraient atteindre. C’est typiquement le
langage de l’administration Bush qui dit, en substance :
"Ils" nous haïssent non pas à cause de ce que
"nous" faisons, mais parce que "nous" représentons
la liberté !
Ces propos sont dans la droite ligne des discours de Sarkozy durant
la campagne présidentielle, avec, peut-être, moins de
nuances.
Et, poursuit Nicolas Sarkozy, « prévenir une
confrontation entre l’Islam et l’Occident, c’est aussi
encourager, aider, dans chaque pays musulman les forces de modération
et de modernité à faire prévaloir un Islam ouvert, un Islam tolérant,
acceptant la diversité comme un enrichissement. Dans ce domaine,
il n’est pas de recette miracle, unique. Mais l’évolution de
pays comme le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, l’Indonésie
témoigne, malgré des différences importantes, de l’existence
d’un mouvement des sociétés, encouragé par les gouvernements.
Je souhaite que notre coopération renforce les programmes tournés
vers l’ouverture et le dialogue des sociétés, en lien,
pourquoi pas, avec les représentants de l’Islam de France ».
Ainsi, la
Tunisie serait un exemple ? ou encore l’Algérie ?
Le soutien à des régimes dictatoriaux ou autoritaires serait-il
un rempart contre les groupes radicaux ? Toute l’histoire récente
du Maghreb et du Proche-Orient montre le contraire : le
soutien occidental à des pouvoirs qui barrent la route à toute
évolution pacifique vers plus de démocratie, alimente les
discours extrémistes.
Sur le conflit israélo-palestinien, Nicolas Sarkozy est dans
la droite ligne de ses
discours de campagne : appui verbal à une solution fondée
sur la création d’un Etat palestinien aux côtés de l’Etat
d’Israël ; insensibilité au drame palestinien ;
sympathie affirmée pour Israël.
« Tout a été dit, beaucoup a été tenté à propos
du conflit israélo-palestinen. Le paradoxe de la situation est
que nous savons quelle sera sa solution, deux Etats - et en ce qui
me concerne, je voudrais ajouter : deux Etats-Nations -
vivant côte à côte dans la paix et la sécurité à l’intérieur
de frontières sûres et reconnues. Nous connaissons le contenu détaillé
de cette solution à travers les paramètres Clinton et le legs de
Taba. Nous avions une idée du chemin à parcourir : la
feuille de route, qu’il faut certainement revisiter. Nous
connaissons enfin les parrains de la paix : les membres du
Quartet, désormais représentés par une personnalité de premier
plan : Tony Blair, et les pays arabes modérés. Alors que
l’on sait tout cela, chacun a le sentiment désespérant que la
paix ne progresse pas. On sait ce que l’on doit faire, on sait
qui doit le faire, et pourtant cela stagne. »
« Pire, on a parfois le sentiment que la paix recule
dans les esprits et dans les cœurs. J’ai la réputation d’être
l’ami d’Israël et c’est vrai. Je ne transigerai jamais sur
la sécurité d’Israël. Mais tous les dirigeants des pays
arabes, à commencer par le président Mahmoud Abbas, qui sont
venus nombreux à Paris depuis mon élection, connaissent mes
sentiments d’amitié et de respect envers leurs peuples. Que
cette amitié m’autorise à dire aux dirigeants israéliens et
palestiniens que la France est déterminée à prendre ou à
soutenir toute initiative utile, mais que la France a une
conviction : la paix se négociera d’abord entre Israéliens
et Palestiniens. »
« Dans l’immédiat, nos efforts, ceux du Quartet et
des pays arabes modérés, doivent aller à la reconstruction de
l’Autorité palestinienne, sous l’autorité de son Président.
Mais il est tout aussi indispensable de relancer sans délai une
authentique dynamique de paix conduisant à la création d’un
Etat palestinien. Que les parties et la communauté internationale
se dérobent à nouveau à cette ambition, et la création d’un
" Hamastan " dans la bande de Gaza risque d’apparaître
rétrospectivement comme la première étape de la prise de contrôle
de tous les territoires palestiniens par les islamistes radicaux. »
Un mot est absent de cette évocation, celui d’occupation.
Nicolas Sarkozy oublie de dire que la question fondamentale est
celle de l’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est ;
il oublie aussi la politique de colonisation ; enfin il
accorde la priorité à la reconstruction de l’Autorité
palestinienne, comme si les insuffisances de celle-ci étaient la
cause de l’impasse actuelle.
Sur l’Irak, Nicolas Sarkozy confirme que la France a eu
raison de s’opposer à la guerre de 2003 et affirme qu’une
solution nécessite « que soit défini un horizon clair
concernant le retrait des troupes étrangères. Car c’est la décision
attendue sur ce sujet qui contraindra tous les acteurs à mesurer
leurs responsabilités et à s’organiser en conséquence.
C’est alors, et alors seulement, que la communauté
internationale, à commencer par les pays de la région, pourra
agir le plus utilement ».
Un des points les plus inquiétants du discours concerne
l’Iran. Il faut toutefois dire qu’il se situe dans ligne des
infléchissements de la politique française sur la question
depuis 2004. Mais Nicolas Sarkozy va plus loin :
« La France maintient avec ses dirigeants (de l’Iran)
un dialogue sans complaisance, qui s’est avéré utile en
plusieurs occasions. La France a pris l’initiative, avec l’Allemagne
et le Royaume-Uni, d’une négociation où l’Europe joue un rôle
central, rejointe par les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Les
paramètres en sont connus ; je n’y reviens pas, sinon pour
réaffirmer qu’un Iran doté de l’arme nucléaire est pour moi
inacceptable, et souligner l’entière détermination de la
France dans la démarche actuelle alliant sanctions croissantes
mais aussi ouverture si l’Iran fait le choix de respecter ses
obligations. Cette démarche est la seule qui puisse nous
permettre d’échapper à une alternative catastrophique :
la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran. Cette quatrième
crise est sans doute la plus grave qui pèse aujourd’hui sur
l’ordre international. »
Si les mots ont un sens, Nicolas Sarkozy semble prêt à suivre
les Etats-Unis dans une aventure en Iran. L’Iran doté de
l’arme nucléaire est inacceptable, comme l’Irak doté
d’armes de destruction massive était inacceptable. Mais qui déterminera
que l’Iran est doté de l’arme nucléaire ? Rappelons que
tous les ans depuis 20 ans, Washington
annonce que Téhéran aura la bombe dans deux ans. Et que fera
la France quand Washington affirmera agir préventivement (les
dirigeants américains ont toujours dit qu’ils agiraient avant
que l’Iran puisse disposer de l’arme nucléaire) ? S’il
faut éviter la prolifération nucléaire, il faut aussi éviter
une nouvelle explosion dans la région qui, non seulement risque
d’amner l’Iran à accélérer son programme nucléaire, mais
contribuera à l’extension du chaos dans toute la région.
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