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Les blogs du Diplo
Un été chaud au
Proche-Orient (II)
Alain Gresh
Alain Gresh
Vendredi 30 juillet 2010
Après avoir fait le point sur la situation
en
Afghanistan, en Irak et en Iran, je voudrais revenir sur
deux autres dossiers brûlants, Israël-Palestine et Liban. A la
suite de quoi, je suspends mon blog pour le mois d’août et je
souhaite à chacun d’entre vous d’excellentes vacances.
Palestine-Israël Les pressions (notamment des
Etats-Unis et de la France) s’accentuent sur l’Autorité
palestinienne pour qu’elle ouvre des négociations directes
sans conditions préalables avec le gouvernement israélien.
« Sans conditions », cela veut dire malgré la poursuite de la
colonisation et sans aucune garantie que Benyamin Netanyahou
accepte le principe d’un retour aux frontières de 1967. La
direction palestinienne reprendrait ainsi un « processus de
paix » commencé il y a des années et dont tout le monde sait
qu’il se résume à un processus sans paix. Rappelons que, déjà
à Annapolis, en novembre 2007, la communauté internationale
s’était engagée à relancer un processus de paix qui devait
déboucher sur un Etat palestinien avant la fin 2008. Les
promesses n’engagent que ceux qui y croient... On peut aussi
noter que le gel de la colonisation décidé par le gouvernement
israélien est un pur trompe-l’œil, non seulement parce que
celle-ci s’est poursuivie à Jérusalem-Est, mais aussi parce que
les 3 000 logements autorisés pendant cette période de « gel »
dépassent la moyenne annuelle des logements construits les
années antérieures dans les territoires occupés.
La Ligue arabe a adopté le 29 juillet, comme à son habitude,
une de ses positions hypocrites, qui consiste à déclarer que les
Arabes sont prêts aux pourparlers directs israélo-palestiniens,
dès que... Mahmoud Abbas sera d’accord. Pris entre leur volonté
de ne pas heurter les Etats-Unis et leurs opinions qui refusent
des pourparlers sans contenu, les dirigeants arabes naviguent à
vue, plutôt que de tenter de bâtir un rapport de forces qui
permettrait de faire reculer Washington et Tel-Aviv. On comprend
pourquoi le discours iranien, celui du Hamas et du Hezbollah ont
une telle audience dans les opinions publiques.
Un article de Laurent Zecchini dans Le Monde
(29 juillet), et curieusement intitulé « La Cisjordanie profite
(sic !) de la coordination entre Israéliens et Palestiniens »
(non disponible en accès libre sur le site LeMonde.fr), met en
lumière l’ampleur de la coopération sécuritaire entre l’Autorité
et les services de renseignement israéliens, coopération dont ne
profite (sur le plan économique) qu’une petite minorité,
notamment à Ramallah (lire Sandy Tolan, « Ramallah,
si loin de la Palestine », Le Monde diplomatique,
avril 2010). Le fait que l’Autorité palestinienne muselle les
voix de l’opposition et tout simplement les voix dissidentes, ou
reporte les élections municipales prévues en juillet, ne soulève
aucune remarque des bailleurs de fonds européens et américain,
il est vrai que ce sont ceux-là même qui ont récusé le résultat
des élections de janvier 2006 qui avaient donné la victoire au
Hamas. La transformation de l’Autorité en un pseudo-Etat fondé
sur la force des moukhabarat (les services de renseignement), à
l’image de l’Egypte ou de la Jordanie, ne choque évidemment pas
les pays qui défendent le président Moubarak ou le roi Abdallah.
A Gaza, qualifiée de « prison à ciel ouvert » par le premier
ministre britannique David Cameron, grâce avant tout à
l’action des militants de la flottille de la paix, le blocus
a été légèrement allégé, apportant la preuve que des actions
déterminées de citoyens peut obtenir des résultats concrets, là
où les déclarations lénifiantes des Etats-Unis et de l’Union
européenne restent lettre morte. Le passage avec l’Egypte est un
peu plus facile, à condition de disposer d’un passeport
palestinien : la journaliste Amira Hass nous apprend que
l’Autorité palestinienne elle-même, en refusant d’octroyer des
passeports palestiniens aux ressortissants de Gaza, contribue à
l’enfermement de ce territoire (« The
Palestinian Authority is imprisoning Gazans », Haaretz,
28 juillet).
Pendant ce temps, les autorités de Gaza, isolées et
boycottées, à tort, comme l’écrit Chris Patten, ancien membre
(britannique) de la Commission européenne, dans le Financial
Times du 28 juillet (« To
avert disaster, stop isolating Hamas »), ne trouvent rien de
mieux à faire que de renforcer l’ordre islamique, s’occupant de
la manière dont s’habillent les femmes ou leur interdisant de
fumer le narguilé dans les cafés.
Sur la flottille, signalons le courageux papier de Roger
Cohen dans le New York Times, qui s’interroge sur
l’Américain oublié (« The
forgotten American », 29 juillet), ce citoyen
turco-américain assassiné par les forces israéliennes et dont
les médias américains ne se soucient guère. Rappelons
l’indignation (tout à fait justifiée) qui avait accompagné le
meurtre de Leon Klinghofer, lors de la prise d’otages sur le
paquebot Achille Lauro en 1985 par un commando palestinien.
Sur l’usage de la violence,
qui a été débattu sur ce blog, l’association israélienne
B’Tselem a publié une étude qui montre comment l’armée
israélienne s’oppose aux manifestations non-violentes. (« Army
uses legal measures to quell demonstrations against the
Separation Barrier », 15 juillet 2010).
Autre signe du durcissement intérieur de la politique
israélienne, la décision du gouvernement de « prolonge(r)
de vingt ans le secret sur les archives de l’Etat », que
rapporte LeMonde.fr (28 juillet). « L’historien israélien Tom
Segev a dénoncé cette mesure, estimant qu’elle traduisait une
“tendance antidémocratique” dans la société israélienne. “S’il
est légitime de ne pas dévoiler certains noms et de maintenir le
secret sur des sujets ultrasensibles, interdire globalement de
publier ou même de consulter ces documents, relève d’une
démarche antidémocratique inquiétante et d’une volonté de
masquer des fautes, voire des crimes de guerre passés”, a-t-il
déclaré à l’AFP. Le maintien du secret a également été dénoncé
comme une mesure “arbitraire et injustifiée” par l’Association
des droits civiques en Israël. »
Je signale aussi l’appel d’Avraham Burg, ancien président du
parlement israélien et auteur d’un
livre-bombe sur Israël, qui appelle à créer un nouveau parti
judéo-arabe fondé sur un engagement total en faveur de
l’égalité, sans aucune trace de discrimination ou de racisme (« A
new party of good tidings », Haaretz, 23 juillet).
Je voudrais aussi inciter les lecteurs de ce blog à imprimer
et à lire le livre de conversations de Joseph Algazy avec le
grand philosophe juif Yechayahou Leibovitz, « La
mauvaise conscience d’Israël » ». Ces conversations avaient
été publiées en France au milieu des années 1990, mais étaient
depuis introuvables.
Enfin, lisez aussi la lettre émouvante de Salah Hamouri (« J’espère
que vous lirez cette lettre », 20 juillet), ce prisonnier
d’opinion franco-palestinien détenu depuis plus de cinq ans en
Israël et dont le sort n’intéresse ni le gouvernement ni les
médias.
Liban Une forte tension est perceptible au
Liban et la visite conjointe que doivent y effectuer le
président syrien Bachar Al-Assad (la première depuis
l’assassinat de Rafic Hariri en 2005) et le roi d’Arabie
saoudite Abdallah le vendredi 30 juillet reflète l’inquiétude
face aux possibilités de nouvelles explosions.
Il y a eu d’abord, au début du mois de juillet, les tensions
entre des villageois du Sud et des éléments de la Finul,
notamment le contingent français. La méfiance s’est renforcée
parmi la population chiite et dans le Hezbollah à l’égard de la
France que l’on soupçonne de collusion avec Israël et de vouloir
imposer le désarmement du Hezbollah. Ces incidents reflètent la
perte de crédit de Paris dans la région depuis plusieurs années.
Le temps n’est plus où la France disposait d’un crédit grâce à
sa politique indépendante à l’égard des Etats-Unis et
d’Israël... Et les
agitations hystériques sur l’islam, le foulard, la burqa ne
contribuent pas à rehausser son prestige.
Autre sujet, le Tribunal spécial pour le Liban créé par les
Nations unies pour enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri.
Selon
Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, le
tribunal devrait inculper cet automne des membres de son parti (il
avait déjà évoqué cette possibilité en mars 2010). Les
accusations contre le Hezbollah ne sont pas nouvelles ; elles
remontent au moins à octobre 2007 (« Le
Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri » et semblent
avoir été relayées très tôt notamment par les services de
renseignement français. A titre anecdotique, on pourra lire un
des derniers SAS, La liste Hariri, de Gérard De Villiers
qui défend cette thèse.
J’ai déjà exposé, dans l’envoi sur
le Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri, les doutes que
soulevait cette hypothèse. Remarquons aussi comment les
responsables politiques occidentaux et ceux du tribunal
accusaient le régime syrien en 2005-2007, affirmant qu’ils
disposaient de témoins fiables et de preuves solides. Ces
preuves semblent s’être dissoutes et le tribunal refuse
d’interroger les témoins sur leurs fausses dépositions.
Il est bien clair que les informations du tribunal lui
viennent pour l’essentiel des services de renseignement
occidentaux et israéliens. Peut-on vraiment s’y fier ? D’autant
que, ces dernières semaines, on apprenait l’arrestation au Liban
d’un réseau d’espions israéliens infiltrés dans les
télécommunications libanaises, dont deux dans le groupe Alfa,
l’un des deux opérateurs de téléphone mobile dans ce pays. Or,
semble-t-il, l’essentiel des preuves dont disposerait le
tribunal concernent des conversations sur téléphone mobile
interceptées (par qui ?).
Au Proche-Orient, comme dans le reste du monde d’ailleurs,
tout n’est pas « complot ». Mais il existe aussi des complots et
des manipulations. Alors que nous allons vers le vingtième
anniversaire de l’invasion irakienne du Koweït (2 août 1990),
rappelons combien de mensonges furent relayés par la presse
occidentale (avant qu’elle fasse une grande autocritique qui ne
l’empêchera pas de sombrer à nouveau pendant la guerre du Kosovo
ou l’invasion américaine de l’Irak en 2003).
Un exemple récent est donné par l’affaire du naufrage de la
corvette sud-coréenne Cheonan, naufrage imputé à la Corée du
Nord. Le 24 juillet, le site Rianovosti publiait une dépêche, « Cheonan :
les experts russes hésitent sur les causes du naufrage (amiral) ».
Il fallut attendre quatre jours avant que Le Monde
reprenne l’information. (« Naufrage de la corvette “Cheonan” :
des experts russes avancent une hypothèse dédouanant la Corée du
Nord », par Philippe Pons, 29 juillet, non disponible en accès
libre sur Internet). A ma connaissance, l’information n’a pas
été reprise ailleurs. Même l’AFP ne l’a pas mentionnée.
Le Hezbollah est un obstacle majeur à la politique américaine
et israélienne dans la région. Sa force militaire comme le
prestige acquis lors de la guerre de 2006 en font une bête à
abattre, et
les Etats-Unis n’ont pas lésiné sur les moyens.
L’inculpation de certains de ses membres par le Tribunal
servirait à tenter de jeter le discrédit sur l’organisation, à
renforcer la position d’Israël. Faut-il s’étonner que nombre
d’observateurs y voient une manipulation ?
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