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Les blogs du Diplo
Suisse, une victoire
de l'islamophobie, une défaite de la raison
Alain Gresh

Alain Gresh
Dimanche 29 novembre 2009 Tandis que les Suisses rejetaient,
par près de 70 %, une proposition visant à bannir les
exportations de matériel de guerre, ils votaient massivement en
faveur de
l’interdiction des minarets. Comme le note le site du
quotidien suisse Le Temps le 29 novembre :
« Contrairement à ce qu’avaient prédit les sondages,
l’initiative contre la construction des minarets est acceptée à
une large majorité, avec 57,5% des voix (résultats officiels).
La majorité des cantons est acquise. Dix-neuf et demi d’entre
eux sont en faveur de l’initiative, la palme revenant à
Appenzell Rhodes-Extérieures (71,5%) et Glaris (68,8%). Seules
exceptions, à Genève (59,7%), Bâle-Ville (51,6%), Vaud (53%) et
Neuchâtel, le Non l’emporte. Le Conseil fédéral prend acte du
résultat dans un communiqué qui tend la main aux musulmans. »
Dans son éditorial « La peur et l’ignorance », sur ce site,
François Modoux écrit :
« L’image maudite qui colle à l’islam depuis de nombreuses
années – un intégrisme religieux qui se décline dans des formes
aussi choquantes que le terrorisme, la charia, la burka, la
lapidation des femmes infidèles, etc. - est certes en total
décalage avec la réalité de l’islam vécu par la très grande
majorité des musulmans en Suisse. La campagne l’a très bien
démontré, elle qui a amené les musulmans du pays à se présenter
au grand jour et à s’expliquer sur leurs valeurs, lesquelles
puisent à un islam européen, très éloigné d’un islam conquérant
et intégriste. Mais c’est pourtant bien cette image négative de
l’islam, ancrée dans les esprits de Suisses désécurisés, qui a
tout emporté. »
Le conseil fédéral a publié un
communiqué stipulant qu’il acceptait le résultat et que,
désormais, il était interdit de construire des minarets en
Suisse et qu’il fallait prendre les craintes qui s’exprimaient
au sérieux.
« Les quatre minarets existants ne sont pas touchés par
cette interdition. Les mosquées et autres lieux de prière
musulmans peuvent toujours être construits et utilisés en
Suisse. Mme Widmer-Schlumpf souligne que la décision prise par
le peuple ce dimanche ne vise que la construction de nouveaux
minarets et ne constitue pas l’expression d’un rejet de la
communauté musulmane, de sa religion ou de sa culture ; le
Conseil fédéral s’y engagera. La paix religieuse est un élément
essentiel du modèle qui a fait le succès de la Suisse. »
Les Verts, pour leur part, annonçaient qu’ils pourraient
saisir la Cour européenne des droits de l’homme. « Les
musulmans de Suisse n’ont pas reçu une claque, mais un coup de
poing en pleine figure » a déclaré Ueli Leuenberger qui
s’est dit consterné par la décision du peuple suisse. C’est le
résultat d’« une propagande extrêmement bien faite, qui a
joué sur les préjugés ».
Il y a trois ans, dans un texte intitulé « Peut-on
encore critiquer l’islam », je notais :
« Car la vraie question est là. Pourquoi certains
journalistes, certains éditeurs, certains intellectuels se
plaisent-ils à jeter de l’huile sur le feu ? Pourquoi
l’incompétence est-elle une clef pour pouvoir publier des
pamphlets approximatifs, non étayés, schématiques ? Les exemples
sont multiples de ces nouveaux spécialistes de l’islam
intronisés par les médias. On pourrait citer, parmi d’autres,
Caroline Fourest ou Mohamed Sifaoui, dont les travaux
d’« enquête » sont à la vérité, pour reprendre une formule du
chanteur Renaud, « ce que le diable est au bon dieu ». Il suffit
de se promener dans n’importe quelle librairie pour mesurer le
nombre de livres consacrés aux musulman ou à l’islam. La grande
majorité sont très critiques (ce qui est parfois tout à fait
légitime, quand cette critique s’appuie sur un vrai savoir). »
« Le débat autour de l’islam est-il impossible ? inutile ?
nuisible ? Sûrement pas. De nombreuses questions se posent sur
l’islam, le monde dit musulman, à condition de toujours utiliser
le « pluriel » : les musulmans sont au nombre de plus de 1
milliard, ils sont majoritaires dans une soixantaine de pays de
plusieurs continents : ils vivent sous des dictatures, des
régimes autoritaires, des démocraties ; ils pratiquent leur foi
de manière différente et les musulmans ne se réduisent sûrement
pas à une foi dont les interprétations sont multiples. »
En novembre 2001, dans Le Monde diplomatique,
j’écrivais un article intitulé
« Islamophobie ». Nombre de lecteurs semblaient alors
sceptiques face à ce concept. Depuis, de l’eau a coulé sous les
ponts, et la Suisse montre à quel point l’islamophobie est
désormais présente dans les sociétés européennes.
Et tous nous en portons la responsabilité. Une partie de la
gauche a agité le chiffon rouge de la menace islamique, pour
avoir fait croire que la laïcité était ébranlée, que "nos"
valeurs étaient menacées. Elle a participé, avec nombre
d’éditorialistes, à la création d’un climat qui permet à la
droite de triompher et aux idées du choc des civilisations de
progresser.
Les médias aussi qui utilisent n’importe quel prétexte, d’une
burqa dans une banlieue à un foulard dans le public de
l’assemblée, pour « faire événement », pour créer les amalgames
entre islam, immigration, identité nationale, délinquance et
terrorisme.
Désormais, il n’est plus possible de discuter sereinement des
musulmans en Europe et de leur place dans notre société. Il est
ironique de constater que les Suisses, par leur vote, ont
infligé une terrible défaite à la raison elle-même...
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