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A quoi sert Avigdor
Lieberman ?
Alain Gresh
Alain Gresh
Mercredi 29 septembre 2010 Le ministre des affaires étrangères
israélien est intervenu le 28 septembre devant l’Assemblée
générale des Nations unies (lire
le texte en anglais – PDF). Si les délégations palestinienne
et iranienne ont quitté la salle pour protester, celles de
l’Union européenne sont restées impassible devant cette attaque
en règle contre toute perspective de paix et devant ses
propositions d’échange de population qui aboutiraient à des pays
ethniquement (ou religieusement) purs.
Que dit Avigdor Lieberman en substance ?
Voici ce qu’en rapporte le centre d’actualité de l’ONU (« Israël
déclare être prêt pour une solution équitable avec les
Palestiniens », 28 septembre).
Il s’attaque d’abord à trois « idées reçues » sur le
conflit israélo-palestinien et le processus de paix.
« Contrairement à l’idée qui prévaut, selon laquelle le
conflit israélo-palestinien est au cœur de l’instabilité au
Moyen-Orient ou à l’origine de nombreux conflits dans la région,
la réalité est entièrement différente. (...) 90% des
conflits au Moyen-Orient, guerre Iran-Irak, guerre du Golfe,
guerre au Yémen, guerre au Liban, guerre en Algérie, n’étaient
pas liés à Israël . »
Ce qu’il oublie de souligner, c’est que la non-solution du
conflit israélo-palestinien alimente la haine de l’Occident,
comme l’ont reconnu pour la première fois de nombreux
responsables américains, dont le général David Petraeus, actuel
chef des troupes américaines en Irak. Devant la commission des
forces armées du Sénat, alors qu’il commandait le Centcom, le
commandement américain pour toutes les forces au Proche-Orient,
le 16 mars 2010, il a déclaré :
« Les hostilités persistantes entre Israël et certains de
ses voisins représentent un défi particulier pour notre capacité
à faire avancer nos intérêts dans [notre] zone de
responsabilité. Les tensions israélo-palestiniennes se
transforment souvent en violences et en confrontations armées à
grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain,
à cause de la perception du favoritisme des Etats-Unis à l’égard
d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite
la puissance et la profondeur de nos relations avec des
gouvernements et des peuples de cette zone de responsabilité, et
affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe.
Pendant ce temps-là, Al-Qaida et d’autres groupes militants
exploitent la colère pour mobiliser. Le conflit offre également
à l’Iran une influence dans le monde arabe via ses satellites,
le Hezbollah libanais et le Hamas. »
« La deuxième explication fausse qui a gagné en
popularité, c’est l’idée selon laquelle la racine du problème,
c’est ce qui est appelé “l’occupation”, les colonies en
Judée-Samarie et les colons eux-mêmes, et que seul un Etat
palestinien indépendant en Judée-Samarie et à Gaza peut assurer
la paix à toute la région », a ajouté M. Lieberman,
soulignant que la paix avec l’Egypte et la Jordanie avait été
signée malgré les colonies.
Rappelons que la paix avec l’Egypte n’a pu être signée que
parce qu’Israël a démantelé les colonies dans le Sinaï, et que
la Jordanie a signé la paix en 1994 parce qu’elle n’avait pas de
contentieux territorial avec Israël, ayant renoncé à toute
souveraineté sur la Cisjordanie.
Les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne sont pas
seulement illégales du point de vue du droit international,
elles vont à l’encontre du but proclamé d’un Etat palestinien
indépendant.
Enfin, troisième idée reçue selon le chef de la diplomatie
israélienne, « le problème palestinien empêche un front
international uni face à l’Iran ». Pour lui, « le même
argument peut être utilisé ailleurs, le problème palestinien
empêche une action contre la Corée du Nord, la piraterie en
Somalie, la crise humanitaire au Soudan ». Pour Avigdor
Liberman, « le lien entre l’Iran et le conflit
israélo-palestinien est inverse », l’Iran utilise le conflit
israélo-palestinien à ses fins, alors que « le problème de
l’Iran doit être résolu en premier ».
Là encore, il ne répond pas à l’argument de l’administration
américaine qui note que forger une alliance contre l’Iran avec
les pays arabes modérés est plus difficile du fait que la
Palestine reste sous occupation et que le régime iranien brandit
la défense de la cause palestinienne.
A partir de cette analyse, le ministre souligne qu’un accord
est difficile, impossible même à court terme.
« Le problème émotionnel est lié au manque de confiance
entre les parties et aux questions de Jérusalem et de la
reconnaissance d’Israël comme foyer du peuple juif. »
Résoudre ce problème n’étant pas possible pour l’instant, il
faudra « un accord intermédiaire sur le long terme ».
Cet idée d’accord intérimaire à long terme (le ministre ne
pense pas qu’un accord sera possible avant des décennies), on ne
voit pas très bien ce qui la différencie de l’occupation à long
terme, puisque pour le ministre il faut continuer la
colonisation, qui, d’ailleurs, n’a jamais cessé.
Mais le meilleur de son discours est pour la fin :
« Le principe qui doit guider la recherche d’un accord
final, ce n’est pas la paix contre des territoires, c’est la
paix contre l’échange de territoires peuplés. Je ne parle pas de
faire bouger les populations, mais de faire bouger les
frontières pour mieux refléter les réalités démographiques. »
En termes plus clairs : se débarrasser de la population arabe
d’Israël qui ne peut faire de
bons citoyens d’un « Etat juif ». Il est toujours étonnant
qu’une telle proposition ne soulève que peu de réprobation au
niveau international.
Il est vrai que Benyamin Nétanyahou a déclaré (« A
l’ONU, Avigdor Lieberman irrite Benjamin Netanyahu »,
Rtbf.be, 28 septembre) :
« Le contenu du discours du ministre des affaires
étrangères aux Nations unies n’a pas été coordonné avec le
premier ministre. C’est le premier ministre Benjamin Netanyahu
qui s’occupe des négociations diplomatiques. Les différents
arrangements pour la paix seront définis uniquement autour de la
table des négociations et nulle part ailleurs. »
Cette mise au point appelle elle-même deux mises au point :
d’abord, le communiqué ne condamne pas explicitement les
propositions racistes du chef de la diplomatie israélienne ;
ensuite, Lieberman permet au premier ministre – qui a décidé la
fin du moratoire sur la construction des colonies – d’apparaître
comme « modéré ». Les Etats-Unis et l’Union européenne peuvent
ainsi poursuivre une politique d’apaisement à l’égard d’un
premier ministre dont il faudrait comprendre les problèmes
internes, les problèmes d’alliance, le poids de son aile droite,
etc. Cet argument n’est jamais employé quand on parle des
Palestiniens, sans doute parce que nous sommes convaincus qu’il
n’existe pas d’opinion publique palestinienne, mais simplement
« la rue », masse informe et sans vraie volonté politique.
Cela étant, la question se pose de la possibilité de la
création d’un Etat palestinien sur le territoire de la
Cisjordanie et de Gaza. J’y reviens longuement dans un article,
« Un
seul Etat pour deux rêves » (Le Monde diplomatique,
octobre 2010, en kiosques). En voici le début.
—
« Le moindre danger, le moindre mal, serait la création
d’un Etat unique avec des droits égaux pour tous ses citoyens »,
annonce le président du Parlement. Figure de la vie politique,
un ancien ministre surenchérit : il n’existe plus désormais
d’autre option que la proclamation d’un seul Etat sur tout le
territoire historique de la Palestine, de la Méditerranée au
Jourdain. Une jeune députée aux convictions religieuses bien
ancrées défend les mêmes conclusions. Trois personnalités
palestiniennes ? Trois membres de l’organisation islamiste
Hamas ? Trois antisionistes européens ? Non : ce diagnostic a
été formulé par trois membres éminents de la droite israélienne.
Le premier, M. Reuven Rivlin, récuse l’idée d’une menace
démographique arabe et observe que cette manière de penser
« amène à évoquer le transfert ou le fait qu’il faudrait tuer
les Arabes. Je suis horrifié par ces propos. Je vais dans les
écoles où, lors de simulations d’élections, Lieberman [le
ministre des affaires étrangères, dirigeant du parti d’extrême
droite Israël Beitenou] obtient 40 % des voix et j’entends
des enfants dire qu’il faudrait tuer des Arabes. (…) Ce
type d’attitude a été créé par la position condescendante des
socialistes [le Parti travailliste] qui affirment : “Nous
[les Juifs] ici et eux [les Arabes] là-bas.” Je ne
l’ai jamais compris. Quand Jabotinsky [1]
disait : “Sion nous appartient”, il voulait dire un premier
ministre juif et un vice-premier ministre arabe [2] ».
Le second, M. Moshe Arens, s’est illustré comme ministre de
la défense et ministre des affaires étrangères dans les années
1980. Parrain politique de M. Benyamin Netanyahou, catalogué
comme un « faucon », il s’est exprimé dans une tribune du
quotidien Haaretz : « Que se passerait-il si la
souveraineté israélienne s’appliquait à la Judée et à la Samarie
et que l’on offrait à la population palestinienne la citoyenneté
israélienne ? Ceux qui, en Israël et à l’étranger, considèrent
“l’occupation” comme un mal insupportable seraient soulagés par
un changement qui libérerait Israël de ce fardeau [3]. »
(...)
Notes
[1]
Vladimir Zeev Jabotinsky (1880-1940), leader de la droite
sioniste. Ses thèses ont inspiré les partis de droite.
[2]
Haaretz,
Tel-Aviv, 15 juillet 2010.
[3]
« Is
there another option ? »,
Haaretz,
2 juin 2010.
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