Opinion
Le CRIF écrit-il
les discours de Hollande sur la
Palestine ?
Alain Gresh

Alain
Gresh
Mardi 27 novembre
2012
Finalement, le gouvernement français
votera en faveur de la reconnaissance de
l’Etat palestinien. A reculons, après
avoir longtemps hésité, en demandant
mille et une garanties à l’Autorité
palestinienne. Il est loin le temps où
la France défendait une position
originale, appelait à
l’autodétermination des Palestiniens et
au dialogue avec l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP),
passant outre aux injonctions des
Etats-Unis et d’Israël.
L’information de l’hebdomadaire
L’Express ne semble pas avoir
suscité de fortes réactions. Dans un
article du 8 novembre de Marcelo
Wesfreid, «
Paul Bernard, la plume de l’ombre de
François Hollande », on apprend en
quoi consiste le travail de Paul Bernard
:
« De l’ouverture de la conférence
sociale à l’anniversaire de la
Libération de Paris, de la commémoration
du Vél’ d’Hiv à celle de la tuerie de
Toulouse, du discours sur l’école à
celui sur la mutualité française, il est
celui qui rédige les premières trames,
amendées ensuite par son supérieur
hiérarchique, le conseiller politique
Aquilino Morelle, puis remodelées par le
président lui-même. Paul Bernard planche
aussi sur les interviews télévisées et
les Légions d’honneur, quand il ne
s’occupe pas d’une préface de livre. »
Qui est donc cet homme de l’ombre ?
« Les plumes ne ressemblent jamais
aux technocrates qui peuplent les
cabinets. Et Paul Bernard n’a pas le
parcours type d’une plume. En sortant de
Normale-Sup, un DEA sur la littérature
de l’époque napoléonienne en poche, il
entre chez Publicis comme chargé de
mission auprès du magnat de la publicité
Maurice Lévy. Il participe pour le
compte de l’homme d’affaires à la
rédaction du rapport commandé en 2006
par le ministre des finances Thierry
Breton, sur l’“économie de
l’immatériel”, cosigné avec Jean-Pierre
Jouyet.
Parallèlement, il rejoint le
Mouvement juif libéral de France (MJLF),
un courant du judaïsme progressiste qui
s’est notamment illustré en menant
campagne pour l’accès des femmes aux
fonctions du culte. Le touche-à-tout a
récemment intégré le comité directeur du
Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF). »
Rappelons que parmi les objectifs du
CRIF figure celui de soutenir l’Etat
d’Israël. Et que, depuis des années,
cette organisation a toujours soutenu
toutes les aventures militaires
israéliennes, de la guerre contre le
Liban en 2006 à celle contre Gaza en
2012.
Mais ne croyez surtout pas que
l’homme est de parti pris. Il explique :
« Il faut oublier ce qu’on pense et
ne pas chercher à peser dans le sens de
ses propres idées. »
Imagine-t-on un instant un citoyen
français de confession musulmane, engagé
dans une association de soutien au
peuple palestinien, chargé d’écrire les
discours du président de la République ?
Je ne sais pas si M. Bernard cherche
ou non à imposer ses propres idées sur
le conflit, mais comment ne pas
remarquer ce que le président français a
dit lors de la conférence de presse avec
le premier ministre Netanyahou : « Il
y a aussi la tentation pour l’Autorité
palestinienne d’aller chercher à
l’Assemblée générale de l’ONU ce qu’elle
n’obtient pas dans la négociation
(…). Seule la négociation pourra
déboucher sur une solution définitive à
la situation en Palestine. » (Lire,
par exemple, «
Sur la Palestine, Hollande conforte
Netanyahou », L’Humanité, 2
novembre.)
Or c’est, au mot près, ce que disent
les dirigeants israéliens depuis des
mois («
Statements by Israeli leaders »,
ministère israélien des affaires
étrangères), et qui est repris par le
CRIF. On peut aussi se reporter à la
déclaration de M. Netanyahou l’an
dernier («
B. Netanyahu : “La vérité c’est que
les Palestiniens bloquent les
négociations” », RTBF, 18
septembre 2011) :
« Mon voyage [aux Nations
unies] a un double objectif : faire
en sorte que la tentative [des
Palestiniens] de contourner des
négociations directes échoue (...)
La vérité, c’est qu’Israël veut la
paix et que les Palestiniens font tout
leur possible pour bloquer des
négociations directes (...). Ils
doivent comprendre que la paix ne peut
être obtenue que par des négociations,
et non en essayant de les contourner par
la voie de l’ONU. »
Une simple coïncidence ? Sans doute,
et le réalignement de la politique
française sur la Palestine dépasse, bien
évidemment, le travail de tel ou tel
homme de l’ombre.
M. Bernard a aussi rédigé, si l’on en
croit L’Express,
le discours de Hollande du 1er novembre,
lors de la cérémonie d’hommage aux
victimes de l’attentat du 19 mars 2012
(Ecole Ohr Torah - Toulouse). La
cérémonie s’est tenue en présence de M.
Netanyahou.
« Ces enfants de la France
reposent aujourd’hui à Jérusalem. Nos
deux pays, nos deux peuples, sont réunis
autour de leur souvenir. Monsieur le
Premier Ministre, vous représentez un
pays créé, au lendemain de la Shoah,
pour servir de refuge aux juifs. C’est
pourquoi chaque fois qu’un juif est pris
pour cible parce que juif, Israël est
concerné. C’est le sens de votre
présence. Je la comprends, je la salue,
je vous accueille. »
Il est donc normal qu’Israël soit
concerné par la situation des juifs de
France ? A-t-on demandé leur avis aux
juifs de France qui ne veulent rien
avoir à faire avec Israël et qui ne se
reconnaissent pas dans cet Etat ? A-t-on
demandé leur avis aux juifs de France
qui ne se reconnaissent pas dans un
premier ministre qui mène une politique
d’oppression des Palestiniens ?
Il est paradoxal que ceux-là même qui
dénoncent l’importation du conflit
israélo-palestinien en France invitent
le premier ministre d’Israël à une telle
cérémonie, favorisant les amalgames
nauséabonds entre juifs, sionistes et
Israël. Les mêmes qui dénoncent la
mobilisation des banlieues ou des
musulmans de France en faveur des
Palestiniens soutiennent celle des juifs
de France (ou de certains d’entre eux)
en faveur d’Israël.
Ce « deux poids deux mesures »
encourage la montée d’un antisémitisme
stupide, qui veut faire croire que les
juifs de France disposent d’un statut
différent de celui des autres citoyens.
Dans une déclaration du 22 novembre,
l’Union française juive pour la paix
(UJFP) s’interrogeait aussi pour savoir
« Qui représente les Juifs et la
“communauté juive” en France ? » et
s’inquiétait du soutien inconditionnel
du CRIF à l’Etat d’Israël dans son
attaque contre Gaza. Cette prise de
position contribue davantage à la lutte
contre l’antisémitisme en France que
toutes les déclarations du CRIF ou de
certains de nos responsables politiques
(lire
aussi la lettre du grand rabbin à
l’organisation et la réponse de
celle-ci).
Lorsque l’on a un ministre de
l’intérieur, Manuel Valls, qui peut
proclamer que, par sa femme,«
il est lié de manière éternelle à la
communauté juive et à Israël »,
nous pouvons nous inquiéter. Valls a
tenté d’obtenir la suppression de cette
citation, notamment dans sa biographie
sur Wikipedia et en demandant à la radio
de Strasbourg, sur laquelle il a proféré
ces insanités, de les retirer au nom du
droit d’auteur. Mais la censure ne peut
rien contre Internet.
Dans une tribune publiée par
l’hebdomadaire Marianne (22
novembre), «
Un citoyen étonné », Pierre Conesa
s’étonne que le président français
n’accorde aucune place à certaines des
victimes non juives de Merah.
« Avant les assassinats de l’école
juive, Mohamed Merah avait exécuté de
sang-froid trois parachutistes (le
maréchal des logis Imad Ibn Ziaten, 30
ans, et deux militaires du rang, Abel
Chennouf, d’origine algérienne, 26 ans,
et Mohamed Legouad, Français musulman
d’origine algérienne, 24 ans) et avait
blessé grièvement à la tête un quatrième
(Loïc Liber, 28 ans) les 11 et 15 mars à
Toulouse et à Montauban. Aucun membre de
ces familles n’a été associé à la visite
présidentielle à Toulouse. Qu’en est-il
de ces victimes aujourd’hui ?
Le ministre de l’Intérieur avait
reçu en octobre, à la préfecture de
Haute-Garonne, Hatim Ibn Ziaten, frère
aîné du premier soldat tué, à Toulouse,
la sœur de Mohamed Legouad et le père
d’Abel Chennouf, et leurs avocats.
L’avocate Me Maktouf a évoqué “un
ras-le-bol, un mal-être insupportables”.
L’un de ses clients, Albert Chennouf,
perçoit 700 euros de retraite et a déjà
dû faire l’avance de 1 700 euros de
frais en tant que partie civile. Les
avocats de ces soldats veulent avec
raison faire reconnaître que les quatre
militaires visés sont “morts pour la
France”, permettant ainsi une prise en
charge partielle de leurs frais de
justice et une aide à leurs familles. Ce
serait là un signe à l’égard de la
communauté maghrébine qui, à travers ces
jeunes engagés, a démontré son
attachement à la France et a payé un
très lourd tribut.
Pour l’heure, le président
Hollande n’a pas jugé bon de les
recevoir, leur faisant répondre par un
courrier d’un conseiller. Sarkozy
s’était au moins senti obligé de leur
adresser une lettre manuscrite... »
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