Opinion
Afghanistan,
la victoire des talibans
Alain Gresh

Alain
Gresh
Lundi 27 juin 2011
Le président Barack Obama a annoncé
le retrait d’une partie des troupes
américaines d’Afghanistan : 10 000
hommes d’ici la fin de l’année, 23 000
supplémentaires d’ici l’été 2012.
Rappelons que l’on compte
100 000 soldats américains et
90 000 « privés » travaillant pour
Washington ; par ailleurs, la guerre
coûte aux Etats-Unis 2 milliards de
dollars par semaine. Deux considérations
ont amené le président Obama à cette
décision : la campagne présidentielle
commencera à l’automne et il veut se
prévaloir d’un retrait en Afghanistan ;
alors que le déficit américain est
devenu abyssal, de moins en moins
d’Américains comprennent les raisons de
la présence de leurs troupes en
Afghanistan, surtout après
la mort d’Oussama Ben Laden.
Depuis plusieurs mois déjà, des
informations avaient filtré sur la
manière dont les Etats-Unis voulaient
« sortir » d’Afghanistan. Ils
étaient désormais prêts à négocier avec
les talibans (pourtant classés comme
organisation terroriste), sans
conditions préalables : ils n’exigeaient
plus ni l’arrêt de la violence, ni
l’acceptation par ceux-ci de la
Constitution afghane.
Dans un commentaire pour
l’hebdomadaire The Nation,
« Obama fails to Outline Sensible Afghan
Drawdown » (23 juin), Robert
Dreyfuss citait un responsable de la
Maison Blanche : « C’est un premier
retrait. Nous allons continuer les
réductions... Nous avons
substantiellement réduit la guerre en
Irak et maintenant nous nous concentrons
sur l’Afghanistan. » Et le
responsable d’ajouter : « Nous
n’avons pas vu de menace terroriste
émanant de l’Afghanistan depuis sept ou
huit ans. La menace vient du Pakistan
et, même là, la direction d’Al-Qaida a
été décimée et virtuellement a été
éliminée du champ de bataille. »
Mais alors, s’interroge Dreyfuss,
pourquoi rester jusqu’en 2014 ?
La politique étrangère américaine en
Afghanistan est fondée sur des mythes et
une réécriture de l’histoire, écrit
Robert Parry : les Etats-Unis se
seraient désengagés de l’Afghanistan
juste après le retrait soviétique en
1989 (« Three
deadly war myths »,
consortiumnews.com).
Nous « fêterons » bientôt les dix ans
de la guerre américaine en Afghanistan
et son bilan est catastrophique, d’abord
pour le pays et son peuple, soumis à des
bombardements et à des dommages
collatéraux, à un gouvernement corrompu,
fraudeur et cantonné à Kaboul.
Catastrophique aussi parce que cette
guerre a provoqué l’extension du conflit
au Pakistan, où la situation est plus
instable que jamais (lire l’article de
Jean-Luc Racine,
« Le Pakistan après la mort d’Oussama
Ben Laden », Le Monde
diplomatique, juin 2011.). Le
suivisme français à l’égard de
Washington mérite aussi d’être
souligné : alors que,
partout ailleurs en Europe, cette
guerre est contestée, en France
M. Sarkozy semble seul maître de la
décision. Et il annonce
l’envoi ou le retrait des troupes au
gré des décisions de Washington, alors
qu’il serait nécessaire d’annoncer
le retrait définitif des troupes
françaises, qui ne peut être soumis
au calendrier électoral américain.
A supposer que
la guerre ait eu pour objectif de sauver
les femmes afghanes, comme le
proclamaient certains, le bilan en ce
domaine est aussi désastreux et
celles-ci se retrouveront bientôt avec
un gouvernement dans lequel les talibans
seront au moins partie prenante, et plus
probablement la force dominante.
Pour l’un des meilleurs connaisseurs
de l’Afghanistan, le chercheur Gilles
Dorronsoro,
« les talibans ont gagné la guerre »
(Journal du dimanche, 26 juin) :
« Les talibans nous voient nous
affaiblir rapidement, ils savent qu’ils
n’ont qu’à attendre. Nous arrivons à la
table de discussion avec la certitude
qu’un tiers des troupes occidentales
sera parti fin 2012 : que peut-on exiger
des talibans dans ces conditions ? Pour
compléter le tableau, le président
Karzai est davantage un problème qu’une
solution, le régime ne fait aucun
progrès sur la gouvernance et tous les
objectifs de construction de l’armée
afghane ont échoué… La conclusion
logique, c’est que les talibans ont
gagné la guerre. »
Les autorités afghanes pourront-elles
s’en sortir seules en 2014 ?
« Évidemment, c’est non. La
réalité, c’est que le calendrier, basé
sur un retrait achevé en 2014, ne pourra
pas être tenu. Nous serons obligés de
conclure un accord politique dans
l’année qui vient. Mais, comme le temps
presse, l’accord sera mauvais et ouvrira
la porte au retour des talibans en
position hégémonique. »
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