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Les blogs du Diplo
Qu'est-ce que le Hamas ?
Alain Gresh

Mardi 27 janvier 2009 Le Hamas suscite, sur ce blog et
ailleurs, bien des frayeurs et des fantasmes, fondés souvent sur
une méconnaissance du mouvement, de son histoire et des ses
évolutions. Avant d’en venir à cette réflexion sur le Hamas,
signalons que
Le Monde diplomatique de février, en vente dans les
kiosques, consacre un dossier de six pages aux événements de
Gaza et à leurs conséquences sur la région.
Notons aussi, certains contributeurs de ce blog l’on déjà
fait, la tribune écrite par le prince saoudien Turki Al-Fayçal
dans le quotidien britannique Financial Times et dont
l’écho est important (« Saudi
patience is running out », 22 janvier). Accusant le
président Bush d’avoir laissé la région dans un état de
désordre, il met en garde sur le fait que les initiatives de
paix risquent de ne plus être à l’ordre du jour et que l’Arabie
saoudite tournera alors le dos à l’Occident. Il révèle que le
président iranien Mahmoud Ahmadinejad a écrit au souverain
saoudien Abdallah une lettre reconnaissant le rôle dirigeant de
l’Arabie dans le monde musulman et l’appelant à prendre une
position plus ferme face aux massacres de Gaza.
Le prince précise que le royaume, « jusqu’à présent, a
rejeté ces appels, mais que chaque jour qui passe rend cette
réserve plus difficile à expliquer, quand Israël tue
délibérément des Palestiniens, s’approprie leurs terres, détruit
leurs maisons, déracine leurs fermes et impose un blocus
inhumain. (...) Au final, le royaume ne sera plus capable
d’empêcher ses citoyens de participer à la protestation mondiale
contre Israël. »
Revenons maintenant au Hamas et rappelons quelques éléments
de son histoire. Le Mouvement de la résistance islamique (dont
l’acronyme en arabe donne « Hamas », qui signifie « zèle ») a
été créé par la Société des Frères musulmans en décembre 1987,
au lendemain du déclenchement de la première Intifada. Le Hamas
se développe d’abord à Gaza, qui restera le principal de ses
fiefs, avant d’étendre ses activités à la Cisjordanie.
Pourquoi les Frères musulmans ont-ils pris cette décision de
créer une organisation de combat ? Après la défaite arabe de
juin 1967, il a fallu plusieurs années aux Frères musulmans pour
se réorganiser. Ils vont profiter de la vague islamiste qui
monte dans toute la région. Dans les territoires occupés, la
Société bâtit un réseau dense d’institutions sociales autour des
mosquées : jardins d’enfants, bibliothèques, cliniques, clubs
sportifs, etc. Entre 1967 et 1987, le nombre de mosquées passe
de 400 à 750 en Cisjordanie, de 200 à 600 à Gaza. Créé en 1973,
le Centre islamique de Gaza, dirigé par le cheikh Ahmed Yassine,
devient le cœur battant de la Société. L’organisation reçoit un
appui important de l’étranger, notamment de l’Arabie saoudite,
qui lui donne des moyens considérables.
Néanmoins, malgré leurs moyens et leurs atouts, les Frères
musulmans souffrent, dans les années 1970 et 1980, de leur
quiétisme face à l’occupation. Si leur but final reste la
libération de la Palestine, ils accordent la priorité à la
réforme de la société — d’où leur relative inertie dans le
combat nationaliste. Les services de renseignement israéliens le
comprennent si bien qu’ils font preuve d’une réelle mansuétude à
l’égard des Frères, considérés comme un utile contrepoids à
l’OLP. En 1980, une scission frappe le mouvement : le djihad
islamique reproche aux Frères musulmans leur trop grande
passivité et se lance rapidement dans l’action violente.
La décision de créer le mouvement Hamas et de participer à
l’Intifada témoigne d’une réelle évolution de la Société des
Frères musulmans, au sein de laquelle des militants plus jeunes
ont pris des responsabilités. Le Hamas se montrera très actif
durant la « révolte des pierres », n’hésitant pas à rester à
l’écart de la direction unifiée qui se réclame de l’OLP. Très
bien structuré, proche des plus démunis, disposant d’une aura
religieuse, le mouvement s’affirme comme un concurrent sérieux
au Fatah et à l’OLP. Il crée une branche militaire, les brigades
Ezzedine Al Kassam. Un épisode jouera un rôle important dans
l’histoire du mouvement : en décembre 1991, le premier ministre
israélien Itzhak Rabin expulse 415 militants vers le Liban. Ils
finiront par rentrer, mais cette répression ne fait qu’accroître
la popularité de l’organisation – et crée ses premiers contacts
avec le Hezbollah.
Le Hamas adopte sa
Charte, le 18 août 1988. Il reconnaît sa filiation avec
l’organisation des Frères musulmans. Il « considère que la
terre de Palestine est une terre islamique waqf [1]
pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la
résurrection ». Enfin, malgré les rivalités — et parfois les
affrontements —, le Hamas déclare à propos de l’OLP : « Notre
patrie est une, notre malheur est un, notre destin est un et
notre ennemi est commun. » C’est pour l’essentiel sur le
terrain politique, et non religieux, que le Hamas s’oppose à
l’OLP : il reprend les thèses qui étaient dominantes dans l’OLP
avant les années 1975, celles de la libération de toute la
Palestine. Enfin, le texte de la Charte a des connotations
antisémites, avec une référence au Protocole des sages de
Sion (un faux créé par la police tsariste au début du XXe
siècle) et aussi une dénonciation des « complots » des loges
maçonniques, des clubs Rotary et Lyons…
Ces notations antisémites sont condamnables et condamnées
largement. Il faut dire que ces délires, notamment sur Le
Protocole des sages de Sion se retrouvent fréquemment dans
certains livres et articles publiés dans le monde arabe.
Interrogés là-dessus, les dirigeants du Hamas affirment qu’il ne
faut tenir compte que de leur plate-forme défendue durant la
campagne de 2006 (lire plus bas) – argument qui n’est pas
recevable en ce qui concerne les références au protocole de
Sion.
Une caractéristique du Hamas est soulignée par
Jean-François Legrain :
« Un second contresens consiste à faire de Hamas un
mouvement nationaliste au discours religieux quand il s’agit
fondamentalement d’un mouvement de resocialisation religieuse,
certes doté d’un agenda politique. (...) Hamas, même s’il
avait quasi instantanément phagocyté l’Association des Frères
musulmans dont il n’était à l’origine que le “bras”, avait pour
raison d’être essentielle dans l’esprit de cheikh Yassine que sa
mission de da’wa (prédication active de l’islam) à laquelle
étaient strictement subordonnés le politique et le militaire. A
plusieurs reprises, son appréhension des rapports de force avec
Israël et l’Autorité palestinienne a ainsi conduit Hamas, aux
antipodes de l’attitude de tout mouvement de libération
nationale, à prendre ses distances tant avec le militaire (les
différentes trêves de 1995, 1996 et des dernières années)
qu’avec le politique (par exemple et de façon surprenante, au
lendemain même de la tournée triomphale du cheikh Yassine dans
le monde musulman à sa sortie de prison en 1998). Hamas s’est
alors replié sur le tissu associatif assujetti à ses exigences
de mobilisation morale, seules quelques cellules manifestant
leur désapprobation par des initiatives militaires locales. »
Dans la logique de son programme politique, le Hamas condamne
les accords d’Oslo signés le 13 septembre 1993. Mais
l’installation de l’Autorité palestinienne à Gaza en 1994 pose
de nouveaux défis à l’organisation, prise entre sa rhétorique de
libération totale de la Palestine, sa volonté de ne pas
provoquer une guerre civile inter-palestinienne et sa
détermination à préserver son réseau associatif. Le Hamas engage
un dialogue avec Yasser Arafat. Ce dernier joue à merveille de
la carotte et du bâton, multipliant les arrestations et les
intimidations tout en dialoguant avec l’organisation et en
autorisant certains de ses organes de presse. Fin 1995, il
paraît même sur le point d’obtenir la participation du mouvement
aux élections du parlement palestinien de janvier 1996, mais
cela n’aboutira pas.
L’assassinat d’Itzhak Rabin en novembre 1995, l’escalade
entre les forces israéliennes et le Hamas – marquée par une
vague d’attentats-suicides début 1996 –, l’extension permanente
de la colonisation, la victoire de Benjamin Netanyahou aux
élections législatives israéliennes vont changer la donne.
Malgré la victoire d’Ehoud Barak aux élections de 1999, les
négociations de paix échoueront (largement par la faute du
gouvernement israélien — lire « Le
“véritable visage” de M. Ehoud Barak, Le Monde
diplomatique, juillet 2002) et éclate la seconde Intifada en
septembre 2000.
La mort d’Arafat, l’élection de Mahmoud Abbas à la tête de
l’Autorité, la convocation de nouvelles élections législatives
palestiniennes en janvier 2006, marquent une nouvelle étape dans
les territoires occupés. Le scrutin va confirmer l’évolution du
mouvement Hamas vers un plus grand pragmatisme. Alors qu’il
avait refusé les accords d’Oslo et toutes les institutions qui
lui étaient liées, le Hamas accepte de participer aux élections
de janvier 2006. Plusieurs de ses dirigeants, dont le cheikh
Ahmed Yassine, assassiné par l’armée israélienne en 2004, ont
affirmé qu’ils acceptaient la création d’un Etat palestinien sur
les territoires occupés de 1967. Le programme politique défendu
durant la campagne électorale n’a rien à voir avec le contenu de
la Charte de 1988 (lire Paul Delmotte, « Le
Hamas et la reconnaissance d’Israël », Le Monde
diplomatique, janvier 2007).
Il est important de rappeler les deux raisons qui ont amené
les Palestiniens à voter pour le Hamas : la corruption de
l’Autorité palestinienne (et donc du Fatah) et, surtout, le fait
que la voie choisie par le Fatah à Oslo, celle de la négociation
et de l’abandon de la lutte armée, avait échoué. Le Hamas n’est
pas contre des négociations, mais pense que celles-ci doivent
s’accompagner d’une pression militaire (c’était d’ailleurs la
position défendue par une partie des dirigeants du Fatah au
début de la seconde Intifada, notamment par Marwan Barghouti).
Le Hamas a multiplié les déclarations en ce sens depuis
plusieurs mois. L’ancien président américain Jimmy Carter a
rencontré les dirigeants du Hamas à Gaza ainsi que Khaled
Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas à Damas. Carter
écrit : Après de longues discussions avec les dirigeants de
Gaza, ces dirigeants du Hamas (à Damas) ont affirmé qu’ils
« accepteraient tout accord de paix qui serait négocié entre les
Israéliens et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud
Abbas, qui dirige aussi l’OLP, à la condition que cet accord
soit accepté par les Palestiniens par référendum ou par un
gouvernement élu d’unité nationale ».
« An Unnecessary War » (Washington Post, 8 janvier).
Lors d’un entretien que j’ai réalisé à Damas en décembre,
Khaled Mechaal a déclaré : « Le Hamas et les forces
palestiniennes ont offert une occasion en or d’apporter une
solution raisonnable au conflit israélo-arabe. Malheureusement,
personne ne s’en est saisi, ni l’administration américaine, ni
l’Europe, ni le Quartet. Notre bonne volonté s’est heurtée au
refus israélien que personne n’a la capacité ou la volonté de
surmonter. Dans le document d’entente nationale de 2006 signé
avec toutes les forces palestiniennes (à l’exception du djihad
islamique), nous affirmons notre acceptation d’un Etat
palestinien dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem
comme capitale, sans colonies et avec le sujet (mawdou’)
du droit au retour. C’est le programme commun aux forces
palestiniennes. Certaines veulent plus, d’autres moins. Ce
programme date de trois ans. Les Arabes veulent quelque chose de
similaire. Le problème est en Israël. Les Etats-Unis jouent un
rôle de spectateur dans les négociations et ils appuient les
réticences israéliennes. Le problème n’est donc pas le Hamas, ni
les pays arabes : il est israélien. »
Pourquoi le Hamas prône-t-il la violence ? Son principal
argument est que le chemin de la seule négociation adopté par
l’OLP en 1993 n’a donné aucun résultat. On peut aussi remarquer
que l’Autorité sous la direction de Mahmoud Abbas, qui négocie
depuis 2005 un accord de paix n’a pas réussi à obtenir que le
gouvernement israélien accepte la création d’un Etat palestinien
sur tous les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem-est
comme capitale.
Enfin, une dernière remarque concernant la violence contre
les civils. Toute mort de civil est une mort de trop. Mais si
l’on condamne les tirs de roquettes du Hamas, ne faut-il pas
d’abord condamner les crimes commis par un Etat organisé, membre
des Nations unies ? Le terrorisme d’Etat n’est-il pas plus
condamnable que tout terrorisme ? Je rappelle, encore une fois,
ce qu’écrivait Nelson Mandela, évoquant ses négociations avec le
gouvernement blanc sud-africain et ses demandes d’arrêter la
violence, Nelson Mandela a écrit : « Je répondais que l’Etat
était responsable de la violence et que c’est toujours
l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte.
Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas
d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas,
ce n’était qu’une forme de légitime défense. »
Peut-on faire confiance au Hamas, alors que sa Charte n’a pas
été abrogée ? Rappelons que la même question a été posée durant
des années à l’OLP et à Yasser Arafat et que les accords d’Oslo
ont été signés avant que cette charte n’ait été officiellement
abrogée par le Conseil national palestinien. Pendant deux
décennies, Israël et les Etats-Unis ont refusé tout contact avec
l’organisation sous ce prétexte et sous le prétexte qu’elle
était une organisation terroriste ; la France et nombre de pays
européens avaient, à l’époque, refusé cet ostracisme.
L’Union européenne et les Etats-Unis posent trois conditions
au dialogue avec le Hamas : qu’il reconnaisse l’Etat d’Israël ;
qu’il renonce à la violence ; qu’il reconnaisse les accords
d’Oslo. Deux points méritent d’être soulignés : pourquoi le
dialogue avec le gouvernement israélien n’est-il pas soumis aux
mêmes conditions ? Pourquoi Israël ne reconnaît-il pas un Etat
palestinien dans les frontières de 1967 ? Pourquoi ne
renonce-t-il pas à la violence ? Pourquoi construit-il des
colonies dans les territoires occupés en violation des accords
d’Oslo (et du droit international) ?
D’autre part, si l’on pense qu’il faut faire évoluer le
Hamas, comment le faire sans dialoguer avec lui ? N’est-ce pas
le dialogue européen avec l’OLP qui a permis d’avancer ?
Pour aller plus loin
Je voudrais renvoyer aux remarquables reportages faits dans
Le Monde diplomatique depuis plus d’une quinzaine d’années
sur cette organisation par Wendy Kristianasen, que l’on peut
retrouver
sur le cédérom du Monde diplomatique ; ainsi qu’aux
analyses de Jean-François Legrain, notamment le texte distribué
lors de son audition à la commission des affaires étrangères du
Sénat, le 14 janvier, « Gaza :
des guerres dans quelles perspectives ? ». On peut également
lire
un intéressant entretien avec Ali Jarbawi (PDF) sur le site
de la revue Confluences Méditerranée.
Enfin, le livre de Khaled Hroub,
Le Hamas (Démopolis) est le seul ouvrage sérieux en
français sur l’organisation
Notes
[1]
Bien de main-morte, c’est-à-dire inaliénable.
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