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Les blogs du Diplo
Israël, la paix et le cheikh Yassine
Alain Gresh

Dimanche 26 avril 2009 Le quotidien israélien Haaretz a
publié le 18 avril, sous le titre « “Israel
could have made peace with Hamas under Yassin” », un
entretien de Kobi Ben-Simhon avec le Dr Zvi Sela, un responsable
de la police israélienne et psychologue. Du milieu des années
1970 à la fin des années 1990, le Dr Sela a occupé différents
postes dans la police, le dernier étant, entre 1995 et 1998,
celui de chef du renseignement dans les prisons israéliennes.
Durant cette période de trois ans, il a eu des conversations
hebdomadaires avec le cheikh Ahmad Yassine, le fondateur du
Hamas.
« C’était fascinant. Il n’y avait pas d’attentat
terroriste ou d’enlèvement durant ces années-là qui n’était pas
planifié, organisé, décidé de l’intérieur des prisons. C’était
là que l’on trouvait les principaux responsables du Hamas, y
compris Yassine. Il avait les jambes et les bras paralysés et
n’était capable que de bouger la tête, mais c’était une
personnalité très forte. Il exerçait un contrôle total sur ce
qui se passait à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. »
Chargé de récolter des informations sur les cellules
clandestines palestiniennes, le Dr Sela se rappelle que le
cheikh Yassine était emprisonné à Hadarim, près de Natanya, et
qu’il vivait dans des conditions très difficiles. « Nous lui
rendions les choses difficiles. Il n’avait pas le droit de
recevoir des visites (...) Nous le gardions dans une
petite cellule où la température dépassait 45° en été et où il
gelait en hiver. Ses couvertures étaient sales et sentaient
mauvais. C’est ainsi qu’il vivait. Je l’ai trouvé très
intelligent et aussi convenable (decent). Nous nous
sommes engagés dans une guerre des esprits et nous savions
qu’après chaque bataille quelqu’un mourrait, soit dans mon camp,
soit dans le sien. » (...)
« Je lui disais toujours : “Arrêtez de faire sauter des
bus, arrêtez de tuer des femmes et des enfants.” Il me
répondait : “Tzvika, écoute, nous avons eu de bons professeurs :
vous avez créé votre Etat grâce à votre force militaire. Les
morts que je vous cause sont pour créer un Etat, mais vous vous
tuez des femmes et des enfants pour défendre l’occupation. Vous
avez déjà un Etat. Vous êtes sales et hypocrites. Je n’ai aucune
volonté de vous détruire, tout ce que je veux est un Etat.” »
Etonné, le journaliste demande au Dr Sela si le cheikh lui
avait dit qu’il reconnaîtrait Israël ?
« Oui. C’était un homme intelligent et courageux. Cruel,
mais crédible. Il a donné sa vie pour la liberté de son peuple.
J’ai tendance à penser que si nous avions essayé de faire la
paix avec lui, nous aurions réussi. Il pensait que la raison
pour laquelle les Israéliens négociaient avec Arafat était que
nous étions très intelligents, parce que nous savions que cela
n’aboutirait pas. Selon lui, Arafat était profondément
corrompu. »
Le Dr Sela raconte ensuite un épisode. Il est chargé de
demander à Yassine l’emplacement du corps du soldat Ilan Sa’adon.
En échange, Israël serait prêt à libérer le cheikh. Le cheikh
lui répond que cela serait déshonorant pour lui d’échanger sa
liberté contre un cadavre. « Je vous donnerai le corps parce
que vous me le demandez. Je comprends la douleur de la famille,
mais promettez-moi de ne pas me libérer en échange. Et
promettez-moi de dire à ma famille, si je meurs en prison,
combien je les ai aimés, combien j’ai rêvé de respirer leur
parfum. »
Le Dr Sela revient sur un autre épisode, celui de l’échange
de prisonniers entre le gouvernement israélien et le Hezbollah,
en juin 2008, qui a abouti à la libération de Samir Qantar,
accusé d’avoir tué, trente ans auparavant, les membres d’une
famille d’un kibboutz, dont une fillette de cinq ans.
« Nous avons fait de Samir Qantar je ne sais quoi, le
meurtrier de Danny Haran et de sa fille Einat, l’homme qui avait
fait éclater la tête de la fillette. Ceci est absurde, c’est une
affabulation. Il m’a dit qu’il ne l’avait pas fait et je le
crois. J’ai fait une enquête sur l’événement dans le cadre d’un
livre que je prépare sur les prises d’otage. »
« Il m’a dit : “Si j’avais voulu tuer Danny et sa fille,
je les aurais tués dans la maison. Je les ai emmenés au bateau
parce que je voulais des otages. Je n’avais aucun intérêt à leur
faire du mal. Après que je les ai emmenés au bateau, des coups
de feu ont éclaté et je suis revenu en arrière pour aider mon
commando sur la plage. Danny, le père, n’arrêtait pas de crier,
“arrêtez de tirer, bande d’idiots”. Lui et sa fille ont été
trouvés morts dans le bateau. J’étais sur une petite colline,
tirant sur vos soldats, et le bateau était à 20 mètres, avec
Danny et la fille.” »
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