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Carnets du diplo
Pour une politique volontariste de
la France au Moyen-Orient et au Maghreb : Propositions aux
deux candidats
Alain Gresh
26 avril 2007
Dans un article publié par The Global Research in
International Affairs Center (Gloria), un centre de recherches
israélien, Stéphanie Lévy, une chercheuse du centre qui a
auparavant travaillé au ministère français de la défense,
publie un article intitulé « Arabisme
à la française : le début de la fin ? ».
Elle écrit notamment : « Nicolas Sarkozy, le
candidat de l’UMP, a démontré quant à lui qu’il se
positionne dans une vision stratégique globale différente de
celle conceptualisée par les conseillers de l’actuel locataire
de l’Elysée : alors que pour Chirac le monde arabe représente
un territoire à reconquérir face au rival américain, le
candidat de l’UMP a clairement affiché son atlantisme, évoquant
non pas le rival, mais l’allié américain. Ainsi, au contraire
d’un Chirac qui a cultivé ses amitiés arabes tout au long de
ses deux mandats successifs, Sarkozy a fait preuve d’une aisance
remarquable dans sa relation avec les Etats-Unis et Israël.
Concernant ce dernier, le candidat de l’UMP a cultivé sa différence
en déclarant à maintes reprises son attachement à la sécurité
d’Israël : ainsi, en mars dernier, il affirmait que l’on
doit être capable "de dire un certain nombre de vérités à
nos amis arabes, par exemple que le droit à l’existence et à
la sécurité d’Israël n’est pas négociable, ou que le
terrorisme est leur véritable ennemi". Il se déclare également
prêt à défendre "avec la même force l’indépendance, la
souveraineté et l’intégrité du Liban et le désarmement de
toutes les milices que la sécurité d’Israël". »
Nombreuses sont les voix qui expriment l’espoir que la France
va enfin changer de politique au Proche-Orient, se rallier à une
vision plus "consensuelle", plus proche de celle des
Etats-Unis. Il est vrai que, depuis plusieurs années déjà, la
voix de la France au Proche-Orient apparaît comme brouillée.
Pourtant, alors que les Etats-Unis s’enlisent en Irak, il
serait temps que la France (et plus largement l’Europe) fasse
entendre une voix différente et qu’elle participe de manière
plus active au retour de la paix dans une région à la fois si
proche et si instable. Avicenne, un groupe de diplomates,
chercheurs et journalistes, a préparé un rapport intitulé :
« Maghreb-Moyen-Orient. Contribution pour une politique
volontariste de la France » et joint à cet envoi. Il
publie, dans Le Monde daté du 27 avril, une tribune,
« Agir
d’urgence au Moyen-Orient », dont voici quelques
extraits.
« Le Moyen-Orient et le Maghreb brûlent. Cinq ans et
demi après les attentats du 11 septembre 2001, le bilan de
« la guerre contre le terrorisme » paraît bien
sombre. Les combats font rage en Afghanistan où les seigneurs de
la guerre et les talibans sont de retour et l’Irak, un désastre
politique et humain, s’enfonce dans un conflit civil. Le Liban,
ravagé par la conflagration de l’été 2006, vit une guerre
civile silencieuse. En Palestine, aucune avancée vers un règlement
politique n’a été effectuée, tout au contraire. Si l’on
ajoute le Pakistan et la Somalie, ainsi que la vaste zone du
Sahara et le Maghreb qui vient encore d’être frappé par des
attentats, on voit se dessiner un arc de crises ouvertes, une
extension du domaine des guerres, sans précédent dans
l’histoire de la région ».
« Dans ces conflits, les acteurs non étatiques jouent
un rôle de plus en plus prééminent. Les groupes armés en
Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine sont soumis à la
surenchère terroriste d’Al Qaïda qui se cherche des relais
dans chaque pays. La possession par ces organisations de matériels
parfois sophistiqués modifie les rapports de forces militaires,
comme l’a prouvé la récente guerre au Liban. L’hypothèse
d’une « somalisation » d’une partie de la région
ne peut être écartée dans un contexte de repli sur des bases
communautaires, confessionnelles ou tribales. »
« Cette situation est d’autant plus préoccupante
qu’elle survient dans une région bloquée politiquement,
socialement et économiquement : elle est la seule partie du
monde qui n’a connu aucune alternance réelle depuis la chute du
mur de Berlin. Les retards dans tous les domaines du développement
s’accumulent, suscitant le désespoir des populations, notamment
des jeunes et des personnes qualifiées, qui cherchent dans l’émigration
à tout prix la solution de leurs problèmes. La rhétorique
« nous ou la dictature islamique » maniée habilement
par les régimes en place favorise l’immobilisme, d’autant que
les oppositions nationalistes, libérales et progressistes se sont
très sensiblement affaiblies. Cette absence totale de
perspectives collectives et individuelles alimente les discours
d’Al Qaïda. »
Après avoir fait un bilan nuancé de la politique française
dans la région, le texte souhaite que le nouveau président « accorde
une importance particulière aux forces vives de la région, alors
que notre attitude traditionnelle a été marquée par une grande
prudence, proche de l’inhibition, provoquée par notre volonté
de ménager les pouvoirs en place. Cette attitude sous-estime le rôle
que tiennent déjà et peuvent affirmer davantage les sociétés
civiles, les collectivités locales ou les ONG et qui mérite d’être
encouragé ».
« Un dialogue est aussi nécessaire avec les forces
qui se réclament de l’islam politique et qui sont une réalité.
L’expérience (décolonisation, OLP) nous a appris la relativité
de nos ostracismes. L’approche ne peut relever que du cas par
cas prenant en compte la représentativité du mouvement, son
discours et, plus particulièrement, sa position vis-à-vis de la
violence, sa relation avec le pouvoir (légalité ou non). Il
devrait être acquis que, dès lors qu’un mouvement islamiste
est légal et intégré dans le processus politique, le dialogue
devient possible. »
Les rédacteurs souhaitent que la France s’implique plus
activement dans la recherche d’une solution aux crises de la région,
en trouvant à chaque fois des partenaires : coopérations
renforcées avec certains pays européens, concertations soutenues
avec des nouveaux acteurs (Russie, Chine, Inde), « partenariat
avec les Etats-Unis, sans éluder les différences d’approche ».
Enfin, ils appellent à une approche plus active du conflit
israélo-palestinien : « L’obstacle majeur à
toute avancée vers la stabilisation reste le conflit israélo-palestinien.
Les termes du débat sur le conflit ont été dangereusement
brouillés au cours des cinq dernières années. Placer l’accent
sur l’occupation et la nécessité d’y mettre fin, aurait
trois avantages : repositionner le débat autour du problème
de la terre et non des identités religieuses pour redonner ainsi
force au courant nationaliste que les pragmatiques de la mouvance
islamiste sont prêts à suivre ; découpler l’enjeu de la
lutte contre l’occupation de celui du droit à l’existence
d’Israël qui doit être affirmé en termes de droits des deux
peuples à vivre chacun dans un Etat viable et à l’intérieur
de frontières sûres ; désamorcer le débat qui lie
l’opposition à la politique israélienne à la question de
l’antisémitisme. »
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