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Ce que disent les juifs d'Iran
Alain Gresh

Jeudi 26 février 2009 Les juifs d’Iran sont l’objet de tous
les fantasmes, fantasmes alimentés par les déclarations du
président Ahmadinejad niant le génocide ou le minimisant.
Une exposition de caricatures sur la Shoah, largement
négationniste, s’était tenue à Téhéran en décembre 2005. Il est
surprenant, dans ces conditions, que les
juifs d’Iran soient la principale communauté juive au
Proche-Orient (après celle d’Israël, bien évidemment).
Roger Cohen, journaliste au New York Times, a séjourné
en Iran. Il en a rapporté plusieurs articles très intéressants
dont l’un, publié le 22 février sur le site du journal,
s’intitule
« What Iran’s Jews Say ».
« Ispahan. Sur la place de la Palestine, en face d’une
mosquée appelée Al-Aqsa, il y a une synagogue où les juifs de
cette ancienne cité se rassemblent à l’aube. Sur le portique,
une bannière : “La communauté juive d’Ispahan salue le 30e
anniversaire de la révolution islamique”.
Les juifs d’Iran enlèvent leurs chaussures, attachent les
phylactères autour de leur bras, et prennent place. Le murmure
des prières en hébreu s’élève à travers la synagogue encombrée
de beaux tapis et de plantes tristes. Soleiman Sedighpoor, un
marchand d’antiquités au magasin plein de trésors, conduit le
service sous un chandelier.
J’avais rendu visite à Sedighpoor, 61 ans, les yeux clairs,
le jour précédent dans sa petite échoppe poussiéreuse. Il
m’avait vendu, avec réticence, un bracelet de perles avec des
miniatures perses. Les pères achètent et les enfants vendent,
a-t-il murmuré, avant de m’inviter à la synagogue. J’avais
accepté et lui avais demandé ce qu’il pensait des slogans “Mort
à Israël” (“Mag bar Esrael”) qui ponctuaient la vie en Iran.
“Laissez-les dire ‘mort à Israël’, a-t-il répondu. Je suis
dans cette boutique depuis 43 ans et je n’ai jamais eu de
problèmes. J’ai rendu visite à des proches qui habitent en
Israël, mais quand je vois ce qui s’est passé à Gaza, je
manifeste comme un Iranien.”
Le Proche-Orient est une région inconfortable pour les
minorités. (...) Pourtant, 25 000 juifs environ vivent en
Iran, la plus grande minorité juive avec celle de Turquie dans
le Proche-Orient musulman. Il y a plus d’une dizaine de
synagogues à Téhéran. Ici, à Ispahan, quelques-unes accueillent
une communauté de 1 200 juifs, descendants d’une communauté
vieille de 3 000 ans.
Durant les dernières décennies, depuis la création de l’Etat
d’Israël et la révolution islamique de 1979, le nombre de juifs
a diminué de 190 000. Mais l’exode n’a pas été comparable à
celui des pays arabes, dont 800 000 juifs ont émigré en Israël.
En Algérie, en Tunisie, en Egypte et en Irak – des pays où
vivaient plus de 485 000 juifs en 1948 –, il en reste moins de
2 000. (...)
Bien sûr, le cycle inachevé des guerres d’Israël se sont
déroulées contre des Arabes, non des Perses, ce qui explique en
partie cette différence. Et pourtant, un mystère persiste au
sujet les juifs iraniens. Il est important de décider ce qui est
le plus important : les invectives d’annihilation
anti-israéliennes, le déni de l’holocauste et autres
provocations, ou le fait que la communauté juive vit, travaille,
prie dans une relative tranquillité.
Je préfère sans doute les faits aux mots, mais j’affirme que
la réalité de la civilité des Iraniens à l’égard des juifs nous
dit plus sur l’Iran – sa sophistication et sa culture – que la
rhétorique enflammée.
C’est peut-être parce que je suis juif et que j’ai été traité
avec tant de chaleur en Iran. Ou peut-être parce que j’ai été
impressionné par le fait que la fureur provoquée par Gaza et
relayée par les affiches et la télévision ne se soit jamais
transformée en insultes ou en violences contre les juifs. Ou
peut-être parce que je suis convaincu que la caricature du
“mollah fou” et le parallèle entre tout compromis avec l’Iran et
Munich (1938) – une position populaire dans certains cercles
américains – sont trompeurs et dangereux.
Je sais que, si de nombreux juifs ont quitté l’Iran, ce n’est
pas sans raison. L’hostilité existe. L’accusation d’espionnage
en 1999 contre un groupe de juifs de Chiraz, largement rendue
publique, a montré la pire face du régime. Les juifs élisent un
représentant au parlement, mais peuvent aussi voter pour un
musulman s’ils préfèrent. Un musulman, en revanche, ne peut pas
voter pour un juif.
Parmi les minorités, les Bahâ’is – sept d’entre eux ont été
récemment arrêtés et accusés d’espionnage pour Israël – ont subi
un traitement particulièrement brutal.
J’ai demandé à Morris Motamed, qui fut un membre du
parlement, s’il se sentait utilisé comme un Quisling. “Non,
a-t-il répliqué. En fait, je sens une tolérance profonde ici par
rapport aux juifs.” Il a ajouté que le slogan “Mort à Israël” le
préoccupe, mais a critiqué le “double standard” qui permet à
Israël, au Pakistan et à l’Inde d’avoir la bombe nucléaire, mais
pas à l’Iran.
Le double standard ne fonctionne plus, car le Proche-Orient
est devenu plus sophistiqué. Une manière de considérer les
tirades anti-israéliennes calomnieuses est de les voir comme une
manière d’attirer l’attention sur la bombe israélienne, sur les
41 années d’occupation de la Cisjordanie, sur le refus de
discuter avec le Hamas, sur l’usage répété par Israël de sa
force supérieure. Le langage israélien peut être méprisable,
mais toute paix au Proche-Orient – et tout engagement avec
Téhéran – devra prendre en compte ces trois points.
“Green Zoneism”, la définition d’une politique
proche-orientale sur la base de mondes imaginaires, ne conduit
nulle part.
Le réalisme à l’égard de l’Iran doit prendre en compte
l’œcuménisme du carrefour Palestine. A la synagogue, Benhur
Shemian, 22 ans, m’a dit que Gaza prouvait que le gouvernement
israélien était “criminel”, mais qu’il croyait toujours en la
paix. A la moquée Al-Aqsa, Monteza Foroughi, 72 ans, a désigné
la synagogue et m’a dit : “Ils ont leur prophète, nous avons le
nôtre. Et c’est bien comme cela.” »
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