|
Les blogs du Diplo
« Leurs » crimes et
les « nôtres »
Alain Gresh

Alain Gresh
Vendredi 25 septembre 2009 Le 24 septembre, l’International
Herald Tribune publiait un article sur la situation de
l’électricité en Irak (« Iraq’s
economic development minefield », par Steven Lee Myers). Le
journaliste montre le délabrement de l’équipement électrique
dans ce pays, et les difficultés de sa remise à niveau. Une
phrase et un oubli m’ont fait bondir. « Les industries
étatiques qui dominent l’économie irakienne sont aussi
pléthoriques et inefficaces qu’elles l’étaient sous Saddam
Hussein, peut-être même plus. » Et comme solution, le texte,
bien évidemment, défend la privatisation...
Il ne mentionne pourtant pas un fait majeur : que l’industrie
électrique irakienne fonctionnait relativement bien avant 1990,
et que les coupures d’électricité étaient alors rares. En
réalité, sa destruction a été le résultat de la première guerre
d’Irak (1991 — et, surtout, de la terrible politique de
sanctions imposées par les Etats-Unis et leurs alliés dont la
France (lire « Des
sanctions qui tuent », par Denis Halliday, Le Monde
diplomatique, janvier 1999). Cette politique a été à
l’origine de la destruction de l’Etat irakien durant les années
1990 et explique son effondrement lors de l’invasion américaine
de 2003. La plupart des responsables et commentateurs
occidentaux le reconnaissent aujourd’hui et, pourtant, ce fait a
disparu de nos mémoires. Nous nous souvenons, à juste titre, des
crimes de Saddam Hussein ; pas des crimes commis par les alliés.
Qui paiera pour l’invasion et la destruction de l’Irak depuis
2003 ? Nombre de gouvernements réclament des sanctions contre
Kadhafi ou Ahmadinejad ; lesquels en ont fait de même pour le
président Bush, qui porte la responsabilité de la destruction
d’un pays et de dizaines de milliers de morts ?
Pour éviter les malentendus, je pense que Saddam Hussein et
Kadhafi sont des dictateurs et,
comme je l’ai écrit ici, qu’Ahmadinejad a truqué l’élection
présidentielle de juin. Mais les crimes commis par un leader élu
démocratiquement sont-ils moins terribles pour ses victimes ? Et
la destruction de tout un pays est-il un crime moindre ?
Ce qui se passe à Gaza, par exemple. Indépendamment de ce que
l’on peut penser du Hamas (et de ses atteintes aux droits
individuels, à ceux des femmes ou à ceux des opposants), comment
expliquer le silence sur l’étranglement de ce petit territoire,
de l’étranglement de sa population, du fait que la rentrée des
classes s’est faite dans des conditions épouvantables ? Pas un
mot des gouvernements européens, pas un geste... Les médias
s’intéressent à ce territoire quand il s’agit de savoir si le
Hamas impose le foulard aux jeunes filles dans les écoles !
« Nous » avons
oublié Gaza.
En Europe et aux Etats-Unis, nous tournons la page des
massacres que nous commettons avec une grande facilité. On parle
beaucoup de la repentance, mais on ne la voit nulle part. Les
Etats-Unis ont voulu ramener le Vietnam à l’âge de pierre dans
les années 1960 ; l’agent orange, un puissant défoliant, a été
déversé massivement sur pays et continue, plus de trente ans
après, à tuer et à mutiler des milliers de personnes, qui s’en
soucie ? Les plaignants vietnamiens ont été déboutés devant des
tribunaux américains (lire « Au
Vietnam, l’“agent orange” tue encore », par Francis Gendreau,
janvier 2006). En revanche, les victimes américaines d’attentats
terroristes commis à l’étranger obtiennent des tribunaux
américains d’importantes indemnisations.
Nelson Mandela est devenu une icône reçue dans le monde
entier. A écouter les dirigeants américains ou français (et
aussi les médias), on peut croire que les Etats-Unis ou la
France ont été toujours contre le régime de l’apartheid. Il n’en
est rien. Dans les années 1970, Henry Kissinger organisait la
coopération avec Pretoria pour combattre le terrorisme (lire « Regards
sud-africains sur la Palestine », août 2009) et le président
Valery Giscard d’Estaing soutenait activement l’Afrique du Sud.
Tout cela, bien sûr, au nom de la lutte contre le communisme.
Nous avons ainsi longuement contribué à la survie d’un régime
raciste (alors que l’Union soviétique et Cuba étaient du bon
côté !). Si cela est oublié dans les capitales occidentales,
cela ne l’est pas à Pretoria où, malgré les pressions, se
maintient une solidarité tant avec les Palestiniens qu’avec les
peuples d’Amérique latine.
De nombreux crimes sont commis dans les pays du Sud. De
nombreuses atteintes aux droits de la personne aussi. Mais
« nous » les voyons quand cela nous arrange. Nicolas Sarkozy
dénonce le trucage de l’élection en Iran, mais il le fait depuis
le... Gabon ! Enfin, il a fallu bien des efforts pour que la
France reconnaisse que
les élections en Afghanistan ont été truquées ; en revanche,
elle reste silencieuse sur ce qui
se passe en Tunisie.
 |