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Bertrand Delanoë, le terrorisme et le
Proche-Orient
Alain Gresh
25 juin 2008 Je reviendrai le
plus rapidement possible sur le discours de M. Nicolas Sarkozy
devant le parlement israélien. Cette intervention confirme le
tournant de la politique française, une incroyable mansuétude à
l’égard de la politique israélienne, une non prise en compte des
souffrances palestiniennes. Il confirme aussi que la diplomatie
française se contentera désormais de rappeler des positions de
principe, sans aucune mesure prise pour forcer la puissance
occupante (un terme que le président français n’utilise jamais)
à remplir ses obligations internationales.
Dans son dernier livre de dialogue avec Laurent Joffrin,
intitulé De l’audace! (Robert Laffont), Bertrand Delanoë,
revient sur le terrorisme dans un chapitre. Les réponses sont
significatives, parfois autant que les questions.
« La menace terroriste pèse sur le monde entier, notamment
sur les pays démocratiques qui portent les valeurs des droits de
l’homme que les fanatiques veulent détruire. (...) La menace est
réelle et actuelle pour la France. Les attentats se sont
multipliés en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Ce sont nos
voisins. Al-Qaida a aussi frappé en Europe, plusieurs fois. La
France n’est pas à l’abri. »
C’est le discours typique de l’administration américaine.
« Ils nous attaquent parce qu’ils haïssent nos valeurs. Ils nous
attaquent à cause de ce que nous sommes, pas à cause de ce que
l’on fait en Palestine, en Irak ou dans le monde musulman ». A
quoi Oussama Ben Laden répondait, non sans humour, que si
c’était vraiment la démocratie que nous haïssions, nous
attaquerions la Suède...
Sur l’Afghanistan, il explique que l’opération était
justifiée. A la question : Souhaitez-vous que « la France
soutienne les Etats-Unis en Afghanistan? » :
« Je souhaite que la France, en tant que membre permanent
du Conseil de sécurité de l’ONU, renne sa part dans ce combat
contre le terrorisme, dont l’Afghanistan est devenue l’une des
bases arrière.(...) Sur le fond, je pense en effet, depuis le
début, que la France à certaines conditions, doit assumer ses
responsabilités. »
Suit, après un développement sur le Pakistan :
« Le président Musharraf est pour l’instant un facteur de
stabilité en au Pakistan, il faut traiter avec lui. Faire
pression, certes. Mais ne pas considérer que son reversement
ferait forcément progresser la situation. Au contraire. (...) Le
devoir de la communauté internationale, c’est d’abord d’empêcher
les forces intégristes de prendre le pouvoir en Afghanistan et
au Pakistan. Les autres objectifs sont majeurs mais seconds. »
En d’autres termes, qu’importe les élections au Pakistan, qui
ont vu une défaite totale de M. Musharraf, arrivé au pouvoir par
un coup d’Etat, l’important est la lutte contre l’intégrisme.
Et il conclut cette partie :
« Il n’y a pas d’explication et encore moins d’excuse au
terrorisme, enfin il n’y a pas d’explication qui donne des
excuses. Le terrorisme n’est pas une théorie, c’est une
passion : la passion de la mort. L’expliquer serait l’excuser. »
A aucun moment, Delanoë n’essaie de définir le terrorisme
(pour une tentative de définition, lire mon envoi
Terrorisme sur ce blog). Il le présente comme le Mal absolu,
oubliant de dire que c’est une forme de lutte et pas une
idéologie. Les groupes sionistes dans les années 1940 y ont eu
largement recours ; l’ETA sous le régime de Franco (et après)
aussi ; l’OLP dans les années 1970, etc. Peut-on mettre sous le
même label tous ces groupes ? D’autre part, il n’évoque jamais
le terrorisme d’Etat, celui des bombardements indiscriminés
contre des populations civiles, celui que la France a utilisé
durant la guerre d’Algérie ou qu’Israël utilise contre les
Palestiniens.
Expliquer le terrorisme serait l’excuser... Curieuse
argumentation pour quelqu’un qui se réclame d’une pensée
rationnelle et qui devrait penser que la raison humaine est
capable d’appréhender les phénomènes sociaux.
Dans le chapitre suivant intitulé « Socialiste dans le monde
d’aujourd’hui », Delanoë revient sur différents problèmes
internationaux.
Il cache ses sympathies pour le régime du président Ben Ali
sous un discours d’une hypocrisie totale. Répondant à la
question de savoir s’il est gênant de discuter avec le président
Ben Ali, il répond :
« Oui et non. Je lui parle beaucoup des opposants. Je dis
ce que je pense, et notamment du président de la Ligue
tunisienne des droits de l’homme. En Tunisie, on peut être ami
avec des gens qui se combattent. Il n’est pas rare de se
retrouver à un dîner ou à une soirée d’amis où il y a les
opposants les plus farouches, les légaux, les illégaux, les gens
au pouvoir. » Pas plus que M. Bernard Kouchner, Delanoë ne
semble lire les rapports des organisations humanitaires. Les
opposants illégaux sont en prison... et les légaux aussi,
parfois. Pour justifier son incroyable aveuglement, le maire de
Paris poursuit sur cette note pseudo-culturaliste : « Nous,
les Tunisiens, nous sommes un peu complexes. C’est un des
charmes de la Tunisie. Elle est dirigée de manière autoritaire
et je ne méconnais pas la réalité de ce pouvoir. Mais je suis le
fils de la Tunisie. Ce qui ne m’empêche pas d’exprimer mes
convictions de la même manière avec tous. »
Question de Laurent Joffrin qui mérite le détour : « Mais
n’était-il pas maladroit d’aller aussi loin dans l’opposition,
comme l’on fait Chirac et Villepin, en suscitant à l’ONU une
coalition hostile aux Etats-Unis, puis en prononçant ce discours
contre une nation alliée, même si elle se fourvoyait? »
Qu’on puisse poser une telle question, cinq ans après la guerre,
ses dizaines de milliers de victimes et ses conséquences
catastrophiques sur la région en dit long sur l’idéologie du
patron de Libération.
La réponse est embarrassée :
« La position de la France, sur le fond, était juste.
(...) Peut-être aurions-nous dû mieux comprendre les
contradictions qui existaient au sein de l’Administration
américaine. Ce n’est un secret pour personne que Colin Powell
n’était pas favorable à la guerre. » En quoi les hésitations
de Powell (qui n’était pas opposé à la guerre) pouvaient-elles
peser sur une décision dont on sait qu’elle avait été prise dès
le lendemain du 11-Septembre ?
Enfin, sur le conflit israélo-palestinien, le maire de Paris
explique :
« Les Etats-Unis se sont abstenus pendant de longues
années de toute action réelle dans le conflit. Et le sort des
Palestiniens reste un argument décisif de la propagande
islamiste. Là encore, on a totalement brouillé l’ordre des
priorités. Le terrorisme, il ne suffit pas de le combattre par
tous les moyens légitimes (ce qui est évidemment indispensable),
il faut le priver d’argumentation politique. La question
palestinienne est un aliment qui nourrit la contestation de
l’Occident. Elle rejette vers les terroristes des citoyens
arabes qui n’ont rien d’intégriste. » Notons la confusion
entre terrorisme et intégrisme ; d’autre part, alors que Delanoë
explique plus haut qu’il n’y a aucune cause au terrorisme, il
affirme maintenant que l’injustice en Palestine nourrit le
terrorisme.
Sur la solution du conflit, il propose :
« La partition de la Palestine en deux entités
indépendantes sur un territoire qui, historiquement, appartient
aux deux peuples »
Comment y parvenir ?
« Il ne faut jamais aborder cette question en disant aux
Israéliens et aux Palestiniens “Voici ce que vous devez faire.”
Il faut les accompagner dans leurs propres discussions. »
A aucun moment, M. Delanoë n’évoque les dizaines de
résolutions des Nations unies qui disent, justement, ce que les
protagonistes doivent faire. Le conflit israélo-palestinien
serait-il le seul pour lequel ne s’applique pas le droit
international ?
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