Les blogs du Diplo
Femmes, islam et discriminations
Alain Gresh

Mercredi 25 mars 2009 Dans le numéro 1044 de Politis
(19-25 mars), Christine Delphy et Sylvie Tissot publient un
texte intitulé « Géographie
du sexisme » :
« Vingt ans de prison ont été récemment requis à
l’encontre de l’homme pakistanais qui, en 2005, avait tenté de
brûler vive son ex-petite amie, Shérazade, qui refusait de
l’épouser. On pourrait, en tant que féministes, s’en réjouir ;
le traitement de cette affaire nous apparaît malheureusement
comme une source supplémentaire de désespoir. Non seulement les
violences faites aux femmes sont un phénomène massif, non
seulement aucune politique publique digne de ce nom n’existe en
France, mais les seuls cas perçus comme assez légitimes pour
attirer l’attention des médias et de la classe politique sont
systématiquement ceux qui mettent en cause immigrés, jeunes de
banlieue, musulmans et/ou arabes. »
« Comme si la violence faite aux femmes n’était pas un
phénomène répandu dans toute la société française, de la classe
politique à la classe ouvrière, des textes de chanson aux
comptoirs des cafés. En 1976, Johnny Hallyday, notre chanteur
national, ne chantait-il pas : “Je l’aimais tant que pour la
garder je l’ai tuée” ? »
« Ni putes ni soumises a ainsi fait de Shérazade sa
vice-présidente d’honneur. Avec une femme sur vingt victime en
1999 de violence physique (des coups à la tentative de meurtre),
les candidates à ce statut sont légion : pourquoi donc les
conditions requises pour être défendue par NPNS sont-elles
indissociablement liées à la couleur de la peau ? Pourquoi les
banderoles des (rares) manifestations qu’elle organise
affichent-elles toujours des prénoms arabes : Ghofrane,
Shérazade et Sohane ? Où sont les Monique, les Catherine, les
Françoise, tout aussi mortes ? La réponse est simple : le
sexisme sévit “là-bas”, en banlieue, pas “ici”, dans la
République française. Et pour que ce soit plus clair encore, la
présidente de NPNS a déclaré que Shérazade était le “symbole
aujourd’hui des violences faites aux femmes”. »
« Il faut le dire avec force aujourd’hui : ce discours est
non seulement raciste mais aussi antiféministe. Raciste car il
fait des Arabes et/ou des musulmans des individus naturellement
programmés au sexisme. Sexiste car il vient alimenter l’idée, à
la base de la pensée antiféministe, que “la violence sexiste ne
peut être qu’accidentelle chez nous parce que le patriarcat est
localisé ailleurs”. »
J’ai abordé à plusieurs reprises ici le thème de « femmes,
islam et libération ». Au moment où sort le film La
journée de la jupe, il est indispensable de relire le texte
de Delphy et Tissot (voir aussi « Une
guerre pour les femmes ? », par Christine Delphy, et « Machisme
sans frontière (de classe) », par Mona Chollet, Le Monde
diplomatique, mars 2002 et mai 2005).
Sur un mode plus humoristique, on lira la chronique de Mehati
Abdul Hamid, « Flying
under cover », dans l’International Herald Tribune du
19 mars. Elle raconte comment, elle, diplômée de droit de
Harvard, et qui porte le foulard, s’en sort durant ses voyages
en avion, avec les services de police et de douane d’abord, avec
les passagers ensuite.
« Il y a aussi (parmi les voyageurs) ceux qui se sentent
obligés de me parler des “problèmes musulmans”, peut-être parce
qu’ils pensent qu’ils doivent me parler de quelque chose qui me
concerne directement. L’oppression des femmes a tendance à
prendre le dessus (sans doute parce que l’on n’ose pas parler de
terrorisme dans un avion). Je n’ai pas de problème à aborder ces
problèmes, sauf si l’on me considère personnellement responsable
pour quelque chose qui est arrivé dans un village africain. »
« Parfois, je reçois des compliments qui sont censés me
faire plaisir, mais qui ne le font pas. Ainsi, un Américain
assis à côté de moi m’a dit “Vous parlez bien l’anglais”. J’ai
souri et répondu “Vous aussi”. »
« Et parfois, il y a des gens qui, pour une raison ou une
autre, sont trop enthousiastes d’être assis à côté de moi. Dans
une telle situation, je ne peux m’empêcher de me sentir comme un
animal exotique sous observation. Ces gens sont bien, mais ils
vont trop loin en essayant de me réduire à mon “identité
musulmane”. Ainsi, un étranger enthousiaste : “Je vois que vous
portez un foulard pourpre. Pourquoi vous portez cette couleur
plutôt qu’une autre ?” Je réponds : “Parce que cela va bien avec
le haut que je porte.” »
« Et de temps en temps, on tombe sur l’étranger parfait,
qui n’a aucun problème à vous considérer comme juste une autre
personne. C’est alors que vous trouvez le temps court, même si
vous voyagez entre les deux endroits les plus éloignés de la
terre, comme par exemple New York et Kuala Lumpur. »
Dans Le Figaro (18 mars), Pierre Prier revient sur une
affaire qui a eu quelques échos en France (et aussi sur les
forums de ce blog) : « Une
veuve syrienne divise l’Arabie saoudite ».
« Khamisa Sawadi, une veuve de nationalité syrienne, a été
lourdement condamnée : 40 coups de fouets et quatre mois de
prison, suivis d’une expulsion définitive d’Arabie saoudite. Son
crime : avoir reçu chez elle deux jeunes hommes qui
n’appartenaient pas à sa famille directe, en contravention avec
les lois en vigueur. Fahd al-Anzi et Hadiyan Bin Zein ont eux
aussi écopé d’une peine de prison et de coups de fouet. »
(...) « Dans la ville d’al-Shamli, au nord du royaume, les
deux jeunes ont été arrêtés au moment où ils sortaient de la
maison de Khamisa par la police religieuse, les mutawa,
reconnaissables à leur barbe broussailleuse et à leur robe
s’arrêtant au mollet. »
« Les deux “coupables” ont expliqué qu’ils faisaient les
courses pour la vieille dame. L’un des deux, Fahd, est en outre
le neveu du défunt mari de Khamisa. Mais la charia (la loi
islamique), c’est la charia, indique un avocat interrogé par la
presse, Me Ibrahim Zamazami. » (...)
« L’affaire Khamisa ne relève pas seulement du fait divers
intégriste. “La police religieuse et les juges conservateurs ont
probablement décidé de tester le nouveau ministre de la
Justice”, analyse Hatoun al-Fassi. Le roi Abdallah, profondément
décidé à éliminer les éléments les plus radicaux, a récemment
limogé le redouté chef de la police religieuse, connue sous le
nom de Commission pour la promotion de la vertu et la prévention
du vice. Son remplaçant s’est aussitôt déclaré favorable au
“pardon” plutôt qu’à la répression. Le monarque a aussi éliminé
le ministre de la Justice et le chef du Conseil supérieur de la
magistrature, Saleh al-Louhaidan, favorable à la “mise à mort”
des dirigeants des chaînes satellitaires, diffusant des
“spectacles immoraux”. »
Dans la presse saoudienne, plusieurs commentateurs ont
exprimé leur indignation face à la sentence. Ainsi, dans Arab
News du 11 mars : « Khulwa
sentence against elderly widow causes uproar ».
L’Association nationale des droits de l’homme publie son
rapport annuel et la presse saoudienne en rend compte le lundi
23 mars. Dans la
synthèse de presse réalisée par l’ambassade de France à
Riyad, on peut lire :
« Arabie saoudite / Droits de l’Homme : Toute la presse
fait état du rapport publié par l’ANDH critiquant certains
services publics en Arabie, en priorité le Conseil de la Choura,
le ministère de la Justice, la commanderie, l’administration
carcérale, pour de multiples raisons, notamment le fait qu’ils
n’accomplissent pas leur mission comme il le faut et pour leur
manque de coopération. Il est clair qu’il existe des violations
des Droits de l’Homme dans certains services spécialisés. »
(...)
« Commentant la situation des femmes en Arabie, l’ANDH a
rappelé que le pays traverse actuellement une période
d’ouverture ostensible s’agissant des Droits de l’Homme et
constate une amélioration de la situation de la femme.
L’association a salué le souci des dirigeants de l’améliorer
dans tous les domaines. Le droit de ces dernières à se porter
candidates et à voter lors des élections municipales n’est
toujours pas clair, contrairement à la situation qui prévaut
dans les Chambres de commerce et d’industrie. L’ANDH a exhorté
la SAMA (la banque centrale) à annuler l’obligation pour une
femme majeure d’obtenir l’autorisation de son tuteur pour
l’ouverture d’un compte bancaire en son nom. »
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