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Carnets du diplo
Tibet-Palestine
Alain Gresh
24 mars 2008
« Les émeutes se sont étendues sur la rue principale de
Jérusalem, au début de l'après-midi du 14 mars. Elles avaient
commencé un peu avant dans une rue proche, quand deux religieux
musulmans avaient été battus par les forces de sécurité (c'est
en tous les cas ce que croient les Palestiniens, la version
officielle étant que ces religieux avaient attaqué la police
israélienne). Une foule de dizaines de personnes se livre à des
saccages le long de cette rue, certains hurlant alors qu'ils
jetaient des pierres contre des magasins appartenant à des juifs
et aussi aux taxis dont la plupart des chauffeurs sont juifs. »
« Les émeutes se sont rapidement propagées à travers les
ruelles sinueuses de la vieille ville. Dans ces rues, on trouve
de petites échoppes appartenant à des juifs ou à des non-arabes.
Des foules se sont assemblées, apparemment spontanément, dans de
nombreuses parties du quartier. Elles ont attaqué les boutiques
appartenant à des juifs. Tout, de la viande à du linge, a été
jeté dans des bûchers. Les émeutiers ont pris plaisir à jeter
dans le feu des bombonnes de gaz et à courir se mettre à l'abri
quand elles explosaient. Quelques-uns criaient “vive la
Palestine indépendante”. »
« Durant des heures, les forces de sécurité n’ont rien
fait. Mais de nombreux juifs qui vivaient au-dessus de leur
boutique ont dû fuir. S’ils ne l’avaient pas fait, il y aurait
eu plus de victimes. Le gouvernement affirme, de manière
plausible, qu’il y a eu 13 personnes tuées par les émeutiers, la
plupart dans des incendies. Ceux qui sont restés dans leur
logement ont gardé les lumières éteintes pour éviter d’être
repérés. » (...)
« La destruction a été systématique. Des boutiques qui
appartenaient à des Palestiniens étaient marquées par des signes
particuliers, elles ont échappé à la destruction. Presque toutes
les autres ont été détruites. Il est vite devenu difficile de
circuler dans les ruelles à cause des marchandises
éparpillées. » (...)
« Quand les résidents ont commencé à se risquer dehors, le
17 mars, l’extension des émeutes est apparue. De nombreuses
propriétés appartenant à des juifs, bien au-delà du quartier
palestinien, avaient été attaquées. De nombreux immeubles
avaient été livrés aux flammes. La porte de la principale
synagogue avait été carbonisée... »
Tout cela, vous ne l’avez évidemment pas lu dans la presse.
Et pourtant... C’est le compte-rendu des émeutes à Lhassa,
rapportées par le seul correspondant étranger sur place, celui
de l’hebdomadaire The Economist, le 19 mars, « Trashing
the Beijing Road ». J’ai simplement remplacé « Tibétain »
par « Palestinien », « Chinois » par « Israélien » ou « juif ».
Imaginons le traitement médiatique qui aurait été accordé à cet
événement s’il s’était déroulé en Terre sainte.
Il apparaît clairement de ce texte que les émeutes ont été
largement suscitées par des Tibétains, qui ont commis de
nombreuses exactions. Pourtant, les médias en France en ont peu
parlé, car leur grille d’analyse était, à juste titre, que les
Tibétains sont opprimés par le pouvoir central qui leur dénie
leurs droits fondamentaux, et que l’on ne peut donc simplement
« condamner » les exactions commises, aussi injustifiables
soient-elles. La question est de savoir pourquoi ce traitement
médiatique est rarement accordé aux Palestiniens, alors que les
Nations unies considèrent que, en Cisjordanie, à Gaza et à
Jérusalem, ils vivent sous occupation depuis 1967 ? Les deux
situations ne sont pas équivalentes (le Tibet n’est pas reconnu
par les Nations unies comme territoire occupé) et il ne faut pas
pousser le parallèle trop loin. Pourtant, la comparaison est
instructive...
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