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Les blogs du Diplo
Durban II, délire et désinformation
Alain Gresh

Mercredi 22 avril 2009 Rarement une conférence
des Nations unies aura donné lieu, en Occident, à une campagne
aussi puissante de désinformation, de fantasmes et de mensonges.
Libération,
le 21 avril, titre à sa Une : « Un antisémite à l’ONU ». Avec,
en explication : « Après le
discours du président iranien, qui s’en est pris à Israël avec
une rare violence, la conférence Durban II est mal partie ».
Le président Ahmadinejad
est un personnage peu recommandable. Il a fait des déclarations
négationnistes. Il dirige un régime qui poursuit les opposants,
restreint les libertés, accapare les richesses du pays. Faut-il,
pour autant, refuser de négocier avec ses adversaires ? Ce n’est
en tout cas pas ce que pense le président Obama : « Iran :
Obama veut continuer l’effort de dialogue malgré les propos
d’Ahmadinejad. »
Faut-il déformer
ses propos ? On peut lire son intervention intégrale : « President
Ahmadinejad’s speech at the Durban Review Conference on racism ».
Reprenons la phrase qui a déclenché les polémiques.
« A la suite de la seconde guerre
mondiale, ils (les pays vainqueurs)
ont recouru à l’agression militaire
pour transformer toute une nation en peuple sans abri sous le
prétexte de la souffrance juive et ils ont envoyé des immigrants
d’Europe, des Etats-Unis et d’autres parties du monde pour
mettre sur pied un gouvernement totalement raciste en Palestine
occupée. Et, pour compenser les terribles conséquences du
racisme en Europe, ils ont aidé à amener au pouvoir le régime le
plus cruel et le plus répressif en Palestine. »
Dans tout le discours, on ne retrouve aucune des négations de
l’holocauste dont le président s’était fait le porte-parole. Il
a supprimé de son discours, à la demande du représentant des
Nations unies, une phrase qui disait que l’holocauste était
« ambigu et douteux »
(« Ahmadinejad
Anti-Israel Speech Was Toned Down : UN »,
par Bradley S. Klapper et Alexander G. Higgins,
The Huffington Post,
21 avril).
La prestation du
président iranien fait débat dans son pays, où certains
s’interrogent sur les risques d’isolement (« Reactions
to Ahmadinejad’s Geneve performance »,
par Rasmus Christian Elling, 21 avril).
Marc Semo, l’envoyé spécial de
Libération,
dans un reportage audio : (« Durban II :
“Le président iranien avait fait venir sa claque” »),
affirme qu’Ahmadinejad a parlé de
« la souffrance exagérée du peuple juif ».
C’est un mensonge. Le texte dit, simplement,
« la souffrance des juifs ».
Comme d’autres commentateurs, le journaliste ne semble avoir
entendu que ce qu’il voulait entendre. Les droits de l’homme,
conclut Semo, sont devenus l’objet d’un bras de fer entre
l’Occident et les pays du Sud, en premier lieu les pays
musulmans.
Cela est vrai. Une vraie fracture Nord/Sud
existe, qu’il faudrait interroger sérieusement, comme il
faudrait essayer de comprendre pourquoi nombre de pays du Sud ne
supportent plus les leçons venues de pays du Nord qui mènent
guerres d’agression et politiques hégémoniques. Ce discours
permet aussi à des dictatures de justifier leurs pratiques au
nom de la lutte contre l’Occident.
La France, comme d’autres pays occidentaux,
s’est battue, à juste titre, contre l’idée qu’il faudrait, dans
le texte de la résolution finale de Durban, appeler à la défense
des religions diffamées ou limiter la liberté d’expression. Mais
la volonté de l’Occident de vouloir s’exonérer de toute critique
pose problème. Comme pose problème le refus de toute mention des
crimes israéliens, sous prétexte qu’il ne faut dénoncer
personne.
Ainsi que l’a déclaré au
Figaro
Bernard Kouchner : « Nous avions
fixé une ligne rouge à ne pas dépasser : la réouverture de la
polémique sur Israël. Voilà pourquoi les 23 délégations
européennes présentes dans la salle l’ont quittée dès
qu’Ahmadinejad s’est lancé dans sa diatribe contre l’État
hébreu. » (« Durban II,
une perte de crédibilité pour l’ONU »,
21 avril.)
Un
éditorial
paru le 20 avril, à la veille de l’ouverture de la conférence,
dans le quotidien panarabe de Londres,
Al-Quds al-Arabi,
explique qu’Israël a déjà gagné la bataille sans y avoir pris
part et que, comme d’habitude, les Arabes ont perdu, malgré leur
participation et « malgré le fait
que la plupart des participants appuyaient leurs demandes.
Ainsi, toute référence à Israël et à ses pratiques racistes dans
les territoires occupés a été éliminée ».
L’éditorialiste rappelle que ces concessions ont été acceptées
par la délégation palestinienne sous la pression des Etats-Unis
et de l’Europe. Et, finalement, la résolution finale de
Durban II fait silence sur Israël, les crimes de Gaza et
l’oppression des Palestiniens.
Pour comprendre le
contexte, il est important de remonter à la déclaration finale
de la
Conférence de Durban de 2001.
Rappelons quelques-uns des points de cette résolution, dénoncée
par certains comme antisémite :
« 58. Nous rappelons que l’Holocauste ne doit
jamais être oublié. (...)
61. Nous constatons aussi avec une profonde
inquiétude la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie
dans diverses régions du monde, ainsi que l’apparition de
mouvements racistes et violents inspirés par le racisme et des
idées discriminatoires à l’encontre des communautés juives,
musulmanes et arabes. (...)
150. Engage les États, dans leur lutte contre
toutes les formes de racisme, à reconnaître la nécessité de
lutter contre l’antisémitisme, le racisme anti-Arabe et
l’islamophobie dans le monde entier, et prie instamment tous les
États de prendre des mesures efficaces pour empêcher la
formation de mouvements fondés sur le racisme et des idées
discriminatoires concernant les communautés en question. »
Quant au conflit israélo-arabe, après avoir
rappelé ce qui suit, qui pourrait dire que ce texte est
unilatéral ? antisémite ? anti-occidental ? Citons :
« 63. Nous sommes préoccupés par le sort du
peuple palestinien vivant sous l’occupation étrangère. Nous
reconnaissons le droit inaliénable du peuple palestinien à
l’autodétermination et à la création d’un état indépendant,
ainsi que le droit à la sécurité de tous les États de la région,
y compris Israël, et engageons tous les États à soutenir le
processus de paix et à le mener à bien rapidement
151. En ce qui concerne la situation au
Moyen-Orient, La Conférence préconise la fin de la violence et
la reprise rapide des négociations, le respect des droits de
l’homme et du droit international humanitaire, le respect du
principe de l’autodétermination et la fin de toutes les
souffrances, pour permettre à Israël et aux Palestiniens de
reprendre le processus de paix, ainsi que de se développer et de
prospérer dans la sécurité et la liberté »
En réalité, les dérapages bien réels qui ont
eu lieu lors de Durban étaient le fait d’organisations non
gouvernementales et n’ont eu aucun effet sur le texte adopté par
les Etats.
Dans un article du
Monde diplomatique
publié en octobre 2000, « L’avenir
du passé », Christian de Brie,
citant Aimé Césaire, écrivait à propos de la première conférence
de Durban : « “Ce que le
très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du
XXe siècle (...) ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime
en soi, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le
crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des
procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les
Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres
d’Afrique.” Tant il est vrai que, tandis qu’officiaient, à
Nuremberg, les juges américain, soviétique, britannique et
français, la ségrégation raciale restait légalisée aux
Etats-Unis, le goulag tournait à plein régime en URSS,
Grande-Bretagne et France traitaient à la bombe et au napalm la
volonté d’émancipation des peuples colonisés qu’ils venaient de
mettre durement à contribution pour leur propre libération. »
Et il concluait :
« Partout où les inégalités économiques,
sociales, juridiques et statutaires se développent et perdurent,
finissent par prospérer le racisme, la justification idéologique
de la supériorité des uns et de l’infériorité des autres,
maintenus sous dépendance, humiliés et persécutés. Le sort fait
aux Palestiniens par Israël depuis des décennies en est
l’illustration tragique. S’il a acquis une telle importance sur
la scène internationale quand celui de tant d’autres peuples
reste méconnu, ce n’est pas parce qu’il sert de prétexte à la
manifestation d’un antisémitisme toujours vivace, ouvertement
exprimé par certains à Durban. C’est qu’il apparaît comme un
condensé, en modèle réduit, de l’injustice archaïque qui préside
aux rapports entre les êtres humains et comme une préfiguration
de ce que pourrait être le monde de demain : un retour au
passé. »
Ce caractère
emblématique de la Palestine explique pourquoi, à travers le
monde, des millions de gens se mobilisent en faveur de ce peuple
(« De
quoi la Palestine est-elle le nom ? »).
Revenons sur le racisme en Israël. On
peut discuter de la formule du président iranien qualifiant le
gouvernement israélien de« totalement
raciste ». On peut aussi contester
la légitimité de certains Etats, de l’Arabie saoudite à l’Iran
en passant par l’Egypte, à dénoncer le racisme alors qu’ils le
pratiquent à l’égard de leurs minorités. Mais, rappelons-le, la
majorité des pays de l’ONU, de l’Inde à l’Afrique du Sud, en
passant par l’Indonésie, sont aujourd’hui des démocraties, et il
n’existe pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire
croire, de majorité automatique. D’autre part, la justesse de la
cause palestinienne ne dépend pas de chacun de ses soutiens –
hier, le régime de l’apartheid était dénoncé par des régimes
africains dictatoriaux et corrompus...
Mille et une preuves existent de ce que
le racisme contre les Palestiniens est puissant, y compris au
sein du gouvernement, y compris dans la politique menée depuis
des années par ses gouvernements successifs — nous publions,
dans le numéro de mai du Monde
diplomatique, une enquête de
Dominique Vidal et Joseph Algazy sur les Arabes israéliens.
Avigdor Lieberman, le nouveau ministre des affaires étrangères,
est-il autre chose qu’un fasciste ? Yossi Sarid écrivait, dans
Haaretz
du 30 janvier 2009 : « Centrists
must unite to block fascist Lieberman’s march on J’lem »
— les centristes doivent s’unir pour bloquer la marche de
Lieberman sur Jérusalem —, une allusion directe à la marche de
Mussolini sur Rome en 1922. (Sur l’influence de cet idéologue
d’extrême droite dans la jeunesse, lire Yotam Feldman,
Haaretz,
7 février 2009 : « Lieberman’s
anti-Arab ideology wins over Israel’s teens »).
Autre membre de la coalition au
pouvoir, Moshe Feiglin, un membre du Likoud, disposant d’une
base réelle dans ce parti, et admirateur d’Hitler :
« Il avait même jadis trouvé qu’Hitler
était un “génie militaire”. Il avait aussi déclaré dans un
entretien en 1995 qu’Hitler “aimait la bonne musique, qu’il
était peintre” et que “l’Allemagne a eu droit à un régime
parfait avec un système judiciaire qui fonctionnait et l’ordre
public”. » (« L’affaire
Feiglin », blog de Denis
Brunetti, correspondant de TF1 à Jérusalem, 11 décembre 2008.)
Rappelons, en conclusion, que l’Union
européenne avait décidé en 2000 la création d’un cordon
sanitaire contre le gouvernement autrichien qui incluait Jorg
Haider, à la tête d’un parti d’extrême droite.
Rappelons aussi que
l’Union européenne et les Etats-Unis ont décidé de boycotter le
gouvernement du Hamas après la victoire de ce dernier aux
élections législatives de janvier 2006. L’Union européenne avait
posé trois conditions à toute négociation : la reconnaissance
par le Hamas de l’Etat d’Israël ; la renonciation à la
violence ; la reconnaissance de tous les accords déjà signés.
Or, nous avons un gouvernement israélien qui refuse de
reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat, qui prône le
recours à la violence et qui refuse de reconnaître les accords
déjà signés comme le peu contraignant
processus d’Annapolis.
On attend la réaction des gouvernements européens...
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