Les blogs du Diplo
La presse israélienne s'interroge
après Gaza
Alain Gresh

Jeudi 22 janvier 2009 La poussière des terribles destructions
commises à Gaza n’est pas encore retombée que plusieurs
commentateurs politiques israéliens s’interrogent sur le sens et
les résultats de cette guerre de 21 jours.
« IDF : Gaza smuggling resumed during offensive », de Hanan
Greenberg, dans Ynet, le site en anglais du quotidien Yedioth
Ahronot, 21 janvier :
« Le commandement militaire israélien n’a pas été surpris
par les rapports du mercredi (21) affirmant que certains
souterrains entre Gaza et l’Egypte avaient recommencé à
fonctionner, malgré les lourds bombardements menés par l’armée
israélienne durant trois semaines.
Des responsables de la sécurité ont dit que le Hamas avait
tenté de reprendre la contrebande alors même que l’opération
"plomb durci" était en cours. Ils ont ajouté que les souterrains
bombardés seraient rapidement reconstruits. »
Une information que confirme sur le site en anglais du
quotidien Haaretz, Anshel Pfeffer et Barak Ravid,
« Sources : Hamas arms smuggling never stopped during IDF op in
Gaza » (22 janvier) :
« Bien que les forces aériennes israéliennes aient
bombardé tout le long du corridor de Philadelphie (à la
frontière entre l’Egypte et Gaza) des centaines de fois durant
l’offensive “Plomb durci”, des contrebandiers reconnaissent que
certains tunnels sont restés en activité pendant les combats.
Contrairement à ce qu’ont écrit les médias, l’aviation n’a pas
utilisé les bombes les plus puissantes qui détruisent les
bunkers. Les tunnels renforcés par des piliers de bois ont été
particulièrement résistants aux attaques aériennes. »
Ces informations confirment deux choses :
le
Hamas a été capable de maintenir des lignes d’approvisionnement
même pendant les bombardements ;
très
rapidement, les tunnels détruits sont reconstruits.
Il faut rappeler que, même durant ses longues années
d’occupation, Israël a été incapable d’arrêter cette
contrebande. Pas plus, d’ailleurs, qu’il n’a été capable
d’arrêter le tir de Qassam venant de Gaza qui ont commencé alors
que l’armée occupait encore ce territoire.
Un autre article du quotidien concerne le soldat
franco-israélien Gilad Shalit, « Israel
“ready to pay terrible price for Shalit” » d’Avi Issacharoff,
Barak Ravid et Amos Harel (22 janvier). Désormais, le
gouvernement israélien serait prêt à reprendre les négociations
sur la libération du soldat et, comme l’a expliqué un ministre,
avait « réalisé qu’il n’y avait pas d’autre choix que de
payer le prix ». Le prix serait, selon l’article, la
libération de « centaines de prisonniers dont beaucoup ont
été impliqués dans des attaques terroristes qui ont coûté la vie
à des Israéliens. »
Si cet accord se faisait, il constituerait, quoiqu’en dise le
gouvernement israélien, un succès pour le Hamas. Parmi les
revendications de ce dernier, la libération de Marwan Barghouti,
un des dirigeants les plus populaires du Fatah, et qui a lancé
début janvier
un appel à l’unité et à la résistance.
Puisque l’on parle de prisonniers, profitons-en pour rappeler
le cas du Franco-palestinien
Salah Hamouri, toujours détenu en Israël.
Alors que les Nations unies semblent vouloir obtenir des
éclaircissements sur les attaques qui ont visé des bâtiments
sous leur contrôle et tué des dizaines de civils, Yossi Feldman
et Uri Blau expliquent, dans un article de Haaretz (22
janvier), « comment les juristes de l’IDF ont légitimé les
violences contre les civils » (« How
IDF’s legal experts legitimized harming civilians »).
Il a fallu bien des pressions, expliquent les deux
journalistes, pour que la section du droit international de
l’armée israélienne donne une couverture légale à la première
attaque, le 27 décembre, contre une école de police au moment de
la cérémonie de remise de diplômes (attaque qui a fait plus de
40 morts, de simples policiers pour la plupart, qui n’ont rien à
voir avec les combattants du Hamas) et aux bâtiments
gouvernementaux. Ce relâchement des « règles d’engagement »
militaire a conduit à la mort de nombreux civils.
Evoquant le bombardement de maisons dont les habitants
avaient été avertis des tirs (voir ce qu’en
dit Bernard-Henri Lévy), un ancien membre de la division du
droit international de l’armée, Daniel Reisner, affirme :
« Je ne crois pas que l’on peut incriminer quelqu’un seulement
parce qu’il est sur un toit. »
Sur le bilan plus général de la guerre, deux voix dissidentes
(mais ne partageant pas la même analyse). Israel Harel écrit un
article intitulé « No
reason for celebration » (Haaretz, 22 janvier) dans
lequel il critique violemment l’armée israélienne, non sur ses
méthodes mais pour n’avoir pas agi avec assez de détermination.
Et il s’interroge pour savoir si un seul des buts a été
atteint : libérer le soldat Shalit ? Détruire la majorité des
roquettes ? Casser la colonne vertébrale du Hamas ? Mettre sa
direction hors d’état de nuire ? Empêcher tout passage
clandestin de roquettes à travers la frontière ou détruire toute
possibilité de construire ces roquettes à Gaza ?
Gideon Levy, l’un des rares critiques de l’opération
israélienne, affirme dans Haaretz (22 janvier) que la
guerre s’est terminée par un échec total israélien : « Gaza
war ended in utter failure for Israel »
Il écrit que le but d’arrêter les tirs de Qassam n’a pas été
atteint, ceux-ci ont continué jusqu’au dernier jour et grâce au
cessez-le-feu. Le Hamas posséderait encore un millier de
roquettes.
Le second objectif de stopper la contrebande n’a pas non plus
été atteint (lire le début de cet article).
Troisième but, renforcer la dissuasion. « Mon oeil,
écrit-il. La dissuasion que nous avions soi-disant atteinte
durant la guerre du Liban n’a pas dissuadé le Hamas. »
Le quatrième objectif non déclaré, restaurer la crédibilité
de l’armée israélienne n’a pas été atteint non plus. On ne
restaure pas cette crédibilité en se battant avec des
combattants pauvrement armés. Et les poèmes à la gloire de
l’armée n’y changeront rien.
Enfin, écrit-il, il ne faut pas être trompé par les parades
de soutien des dirigeants européens à Olmert. Les actions
d’Israël ont porté un dur coup au soutien populaire
international à Israël. « Elles ont choqué tout être humain
qui les a vus même si elles ont laissé de marbre l’opinion
israélienne. »
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