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Carnets du diplo
Bernard Kouchner en Irak
Alain Gresh
Bernard Kouchner - Photo RIA Novosti
21 août 2007
Bernard Kouchner, le ministre des affaires étrangères, vient
d’effectuer une visite de quarante-huit heures en Irak. Pour
l’éditorial du Monde, « Pari
irakien » publié sur le site le 20 août, « ce
geste, inscrit dans le rapprochement franco-américain entrepris
par Nicolas Sarkozy, est presque aussi spectaculaire que l’avait
été l’opposition de la France à l’intervention américaine
en 2003. M. Kouchner, l’un des quelques hommes politiques
français qui, à l’époque, n’avaient pas condamné les
Etats-Unis, était bien placé pour cette mission ». Et
l’éditorialiste de conclure : « Le retour de la
France en Irak est donc une nouvelle manifestation du volontarisme
dont M. Sarkozy a fait la clé de son action. Le pari, en
Irak, est encore plus audacieux qu’ailleurs. Mais il vaut d’être
tenté. »
Un porte-parole de la Maison Blanche, Gordon Johndroe, s’est
félicité de cette visite : « C’est un
exemple supplémentaire, avec le nouveau mandat adopté par les
Nations unies, la conférence des voisins de l’Irak et la récente
annonce des Saoudiens d’ouvrir une ambassade à Bagdad et
d’effacer la dette irakienne de la période de Saddam Hussein,
d’une volonté internationale croissante d’aider l’Irak à
devenir un pays stable et sûr. »
L’éditorialiste du Figaro Pierre Rousselin se félicite
de ce « retour
en Irak » (21 août) : « Prétendre, comme
certains responsables de l’opposition, que la visite de Bernard
Kouchner est mal venue, ou qu’elle représente un alignement sur
la politique de George W. Bush, est une absurdité qui témoigne
d’une curieuse conception de la diplomatie française. On peut
rester quatre ans enfermé dans la conviction d’avoir eu raison,
cela ne grandit en rien le rôle de notre pays sur la scène
internationale. Les États-Unis sont à la recherche d’une
solution. Ils en discutent ouvertement avec l’Iran et avec l’Arabie
saoudite, notamment. Il est temps de montrer que la France, et
l’Europe avec elle, est disponible ; qu’elle est prête,
le moment venu, à jouer un rôle pour la stabilisation de
l’Irak. »
Selon Le Figaro du 21 août (« Bernard Kouchner à
l’écoute des Irakiens »), Bernard Kouchner a déclaré
lors de sa visite : « Notre volonté est d’être
aux côtés de ce grand pays indispensable à l’équilibre et à
la naissance de la démocratie dans cette région tellement
importante », a poursuivi le ministre. « Si les trois
communautés (chiites, sunnites et kurdes), et les autres, sont
capables de s’entendre ici, c’est très important pour la région
et le reste du monde, a-t-il poursuivi. Cette solution passera,
nous l’espérons, par une participation plus grande de l’ONU. »
Bernard Kouchner a également commenté les implications de sa
visite sur les relations franco-américaines. La France et les
Etats-Unis avaient eu des approches différentes du dossier
irakien, mais « cette page est derrière nous.
Tournons-nous vers l’avenir », a-t-il lancé.
Jean-Pierre Chevènement a accusé le ministre des affaires étrangères
« d’être
allé à Canossa », alors que Pierre Moscovici,
l’ancien ministre socialiste des affaires européennes, a refusé
de « critiquer a priori ». « Il est
logique que la France ait son mot à dire. Toutefois, a-t-il
souligné, le discours français doit continuer de se
distinguer de manière claire de la politique américaine ».
« Si c’est pour relayer la politique de George Bush,
c’est une mauvaise chose », a-t-il dit.
Contrairement à ce que laissent entendre la presse et Bernard
Kouchner, le tournant de la politique française avait déjà été
amorcé par Jacques Chirac, comme je l’écrivais dans Le
Monde diplomatique de juin 2006 (« La
voix brouillée de la France »).
Après la guerre de 2003, « la France mène, durant de
longs mois, une bataille difficile à l’Organisation des Nations
unies (ONU). Elle a obtenu un calendrier politique précis et a prôné
qu’un rôle important soit confié à l’ONU. Les Etats-Unis
ont accepté que des élections se tiennent avant la rédaction de
la Constitution et ont accéléré le « transfert de
souveraineté » aux Irakiens. En échange, la France a pris
acte de la présence américaine – les forces de la « coalition »
deviennent une « force multinationale » avalisée par
le Conseil de sécurité – et a nommé un ambassadeur à Bagdad.
Et elle ne demande aucune enquête sur les milliards de dollars
des comptes « Pétrole contre nourriture » récupérés
par les Etats-Unis, et qui se sont volatilisés... »
« "Qu’aurions-nous pu faire d’autre ?
s’interroge un diplomate français. Après l’assassinat de
Sergio Vieira de Mello [représentant spécial des Nations unies
en Irak, tué le 19 août 2003], une véritable fronde s’est déclarée
aux Nations unies parmi le personnel, rendant Kofi Annan
responsable de sa mort ; il devenait impossible pour
l’organisation de jouer un rôle en Irak. D’autre part, l’Union
européenne a éclaté, et notre voix avait du mal à se faire
entendre. Enfin, nous n’avions pas intérêt à l’installation
du chaos en Irak, cela favorisait le développement du terrorisme
et d’Al-Qaida". »
Quoiqu’il en soit, il est douteux que la visite de Bernard
Kouchner débouche sur quoi que ce soit de concret sur le plan
politique ou puisse aider au dialogue national. Dans ces
conditions, on a du mal à y voir autre chose qu’un appui à
Washington.
Dans une intervention en 2004 aux Etats-Unis, "The
Future of Humanitarianism" (Bernard Kouchner, Carnegie
Council, avril 2004), Bernard Kouchner déclarait : « J’ai
la réputation d’avoir été une des cinq seules personnes, dans
mon pays de 62 millions d’habitants, à dire : "oui,
nous devons nous débarrasser de Saddam Hussein", parce que
c’est ce que je demandais depuis trente ans. Mais,
malheureusement, j’ai maintenant la réputation d’avoir été
le seul supporteur en France de George Bush. J’ai écrit un
article qui est paru en Une du Monde, "Ni
la guerre, ni Saddam". J’ai dit que j’étais
d’accord pour que nous nous débarrassions de Saddam Hussein,
mais pas de la manière dont nous le faisions. J’ai dit aussi
que Bush et Chirac avaient tort de s’être engagés dans un bras
de fer sur l’Irak. La seconde leçon que nous avons apprise,
c’est que la communauté internationale est complètement
invincible quand elle est unie... » Mais cette dernière
affirmation semble plus que douteuse. Les Etats-Unis et l’Europe
sont unies en Afghanistan, et pourtant ...
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