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Blog Monde diplo
Génocide,
négationnisme et Israël
Alain Gresh
La conférence sur le génocide qui s’est achevée
en Iran a regroupé un nombre non négligeable de négationnistes
connus, dont nombre d’éléments d’extrême droite et
fascisants. Elle a soulevé une indignation justifiée. Pourtant,
il est important de comprendre le sens de ces manifestations négationnistes
et la manière dont elles peuvent être utilisées. Robert Fisk,
dans une tribune publiée le 16 décembre dans The
Independent, « Different
narratives in the Middle East » (différentes histoires
- ou récits - au Proche-Orient), revient sur le génocide et son
interprétation dans le monde arabe.
« Je vous (aux Arabes)
demande toujours comment vous pouvez espérer que l’Occident
comprenne et accepte le fait que le nettoyage ethnique de 750 000 hommes
femmes et enfants a bien eu lieu en Palestine en 1948, alors que
vous ne tentez pas de comprendre l’énormité de ce qui a été
fait aux juifs d’Europe ? Et, bien sûr, c’est la
terrible ironie de toute cette affaire. Car ce que les musulmans
du Proche-Orient devraient expliquer au monde est qu’ils ne sont
pas responsables de l’holocauste des juifs et qu’aussi
terrible et mauvais qu’il ait été, c’est une injustice
honteuse et outrageante que les Palestiniens doivent souffrir pour
quelque chose à laquelle ils n’ont pas de part et, encore plus
repoussant, qu’ils soient traités comme s’ils en avaient une.
Mais Ahmadinejad n’a ni l’intelligence ni l’honnêteté de
saisir cette équation simple et vitale. »
Plus loin, le journaliste britannique précise que
toute « comparaison entre le comportement
des troupes allemandes durant la seconde guerre mondiale et les
soldats israéliens aujourd’hui (avec leur proclamation toujours
trahie de "la pureté des armes") est dénoncée comme
antisémite. De manière générale, je crois que cela est vrai.
Israël ne commet pas des viols de masse, des meurtres ou
n’installe pas des chambres à gaz pour les Palestiniens. Mais
les actions de l’armée israélienne ne sont pas toujours telles
qu’on peut éviter ce type de parallèle fou ». Après
avoir rappelé les massacres de Sabra et Chatila, il cite l’écrivain
israélien A. B. Yehoshua : même si les soldats israéliens
n’avaient pas su ce qui se passait dans ces deux camps, « ce
serait le même argument que celui avancé par des Allemands qui
étaient aux portes de Buchenwald ou Treblinka et qui auraient prétendu
qu’ils ne savaient pas ce qui s’y passait »
« Et je dois dire,
poursuit Fisk, – et je crois que cela doit être
dit – que, après les innombrables réfugiés libanais
brutalement poussés sur les routes par les guerres israéliennes
de 1978, 1982, 1993, 1996 et à nouveau cet été, comment peut-on
éviter les souvenirs des attaques de la Lutwaffe sur les réfugiés
français sans défense en 1940 ? Des milliers de Libanais
ont été tués de cette façon durant les 25 dernières années. »
Après avoir rappelé d’autres crimes, Robert
Fisk affirme : « Non, les Israéliens
ne sont pas des nazis. Mais il est temps de parler de crimes de
guerre, à moins que ne cessent ce type d’attaques contre les réfugiés.
Les Arabes ont le droit de parler de la même manière. Ils
devraient le faire. Mais ils doivent arrêter de mentir sur
l’histoire juive et apprendre, peut-être, une leçon auprès
des historiens israéliens qui disent la vérité sur la
sauvagerie qui a accompagné la naissance de l’Etat d’Israël. »
En conclusion, Robert Fisk se moque de ceux qui se
sont indignés de la négation du génocide juif, mais qui, comme
Lord Blair ou Shimon Peres, tentent de nier le génocide des Arméniens.
Une autre réaction importante est celle du député
arabe israélien Azmi Bishara, qui a paru dans le quotidien
pan-arabe Al-Hayat du 14 décembre. L’auteur
m’a envoyé la version anglaise de ce texte que vous trouverez
en document attaché et dont je donne quelques extraits en français.
« Ce n’est pas seulement
le nombre de victimes qui distingue l’holocauste. Aussi unique
qu’il ait été au XXe siècle, des millions d’habitants
autochtones ont été exterminées en Amérique dans les siècles
précédents. Ce n’est pas non plus une question d’échelle :
bien plus de personnes sont mortes durant la seconde guerre
mondiale que dans les chambres à gaz : Russes, Allemands,
Polonais, Français, Italiens et beaucoup d’autres nationalités.
La vraie horreur de l’holocauste ne réside pas seulement dans
la singularisation délibérée d’un peuple – Juifs et
Tsiganes – pour extermination, ni dans l’échelle du crime,
mais aussi dans le caractère total de l’objectif et la manière
"rationnelle" dont le crime a été conduit. »
(...) « La plupart des juifs
qui sont morts dans les camps de concentration n’étaient pas
sionistes, en fait beaucoup n’avaient jamais entendu parler du
sionisme. » (...)
« Le mouvement sioniste a
commencé et s’est fixé sur la Palestine bien avant
l’holocauste. C’est seulement avec le recul que les sionistes
ont utilisé l’holocauste pour justifier leur projet national ;
et cette justification a amené certains Arabes à nier
l’existence de l’holocauste. Ceci étant, bien qu’il existe
des gens qui pensent qu’en minimisant ou même en niant
l’holocauste ils sapent les demandes juives d’un Etat en
Palestine, la majorité de l’opinion arabe éduquée et informée
n’a jamais nié l’holocauste ou l’existence d’un antisémitisme
en Europe. Au contraire, elle a argumenté, justement, que comme
cette horreur avait eu lieu en Europe, les Palestiniens ne
devaient pas en payer le prix. » (...)
Après avoir dénoncé la manière dont le
mouvement sioniste a utilisé les drames de la seconde guerre
mondiale, Azmi Bishara regrette que « le défi
de comprendre et de tirer les leçons du phénomène nazi soit réduit
à une sorte de thérapie dans laquelle les victimes aident ceux
qui sont en position de pouvoir à purger leur culpabilité (...)
Il y a quelque chose de moralement répugnant dans cette
transmission du péché (ou de l’innocence) des parents aux
enfants et cela s’oppose à tout processus objectif d’étude
historique visant à combattre le racisme sous toutes ses formes
et dans toutes les sociétés. Les principales victimes du racisme
en Europe aujourd’hui ne sont pas les juifs, et en Palestine le
sionisme n’est pas une victime mais un coupable ».
(...) « Il faudrait que
toutes les victimes du racisme à travers le monde fassent
campagne pour casser la mainmise sioniste sur le rôle de
porte-parole des victimes de l’holocauste. Les Arabes et les
Palestiniens qui nient l’holocauste offrent au racisme européen
et sioniste le plus grand cadeau. En quoi est-ce dans les intérêts
arabes ou islamiques d’exonérer l’Europe d’une des pages
les plus sombres de son histoire ? Cela ne revient pas
seulement à absoudre l’Europe d’un crime qui a réellement eu
lieu, mais aussi à gagner son mépris et à se réveiller un jour
pour découvrir que l’Europe et lsraël ont uni leur force
contre les négationnistes arabes et musulmans avec un tel venin
que l’on finira par croire que l’holocauste a eu lieu en
Egypte ou en Iran et que ceux qui nient l’holocauste sont bien
plus dangereux que ceux qui l’ont commis. »
En conclusion, le député dresse un parallèle
intéressant : « Durant la seconde
guerre mondiale, quand certains Arabes et d’autres peuples du
tiers-monde lorgnaient vers l’Allemagne parce que celle-ci
combattait les puissances coloniales qu’étaient la France et la
Grande-Bretagne, la gauche arabe et du tiers-monde, qui s’était
alliée à l’Union soviétique, répliquait que c’était erroné
pour les victimes du racisme de s’aligner sur le régime nazi
raciste. Sa position était juste. Aujourd’hui, il n’y a même
pas une justification pragmatique (et immorale) pour se retrouver
aux côtés du racisme européen. La négation de l’holocauste
ne sape pas les justifications morales de l’existence de l’Etat
d’Israël, comme certains le croient. Ce que fait cette négation,
c’est, au contraire, donner à la droite européenne et à Israël
un ennemi commode sur lequel se débarrasser de ses problèmes.
Cet ennemi inclut les Palestiniens et les Arabes, et plus précisément
les musulmans fondamentalistes, ceux que Bush aime appeler les
"fascistes islamiques". La réaction initiale des Arabes
à l’holocauste était beaucoup plus simple et directe, et bien
plus rationnelle. L’holocauste a eu lieu, mais c’était une
tragédie dans laquelle les Européens, pas les Arabes, doivent
assumer leurs responsabilité. C’était l’opinion qui prévalait
dans les années 1940 et 1950 et le sens de la normalité qui
continue à nous habiter nous pousse à nous y tenir. »
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