Opinion
Libérez les
Palestiniens des mensonges
de Bernard-Henri Lévy (II)
Alain Gresh

Alain
Gresh
Mardi 20 novembre
2012
L’homme est entré à Gaza sur les
tourelles d’un char israélien début
2009, lors de l’opération « Plomb durci
». Il n’a rien vu à Gaza, aucun crime,
aucune violation du droit international.
Pour justifier une opération qui a fait
plus de 1 400 morts du côté palestinien
(en majorité des civils), il a utilisé
les mêmes arguments, les mêmes mensonges
qu’invoquait l’armée française durant la
guerre d’Algérie — ces arguments que
défendait le général Bigeard, à qui le
gouvernement de gauche rend hommage ce
20 novembre, et certains intellectuels
de l’époque (oui, il existait des
intellectuels affirmant que la torture
n’était pas pratiquée en Algérie).
J’avais,
dans un précédent papier, appelé à
libérer les Palestiniens des mensonges
de Bernard-Henri Lévy. Il remet cela
aujourd’hui, dans une de ses chroniques
du Point (22 novembre), intitulée
« Obscénités ».
« Remettons les choses en place.
Tsahal a évacué Gaza, unilatéralement,
sans conditions, en 2005, à l’initiative
d’Ariel Sharon. Il n’y a plus, depuis
cette date, de présence militaire
israélienne sur ce territoire qui est,
pour la première fois, sous contrôle
palestinien. »
Premier mensonge. Gaza reste, pour
les Nations unies, un territoire occupé.
La seule différence, c’est que les
geôliers sont hors de la prison, pas à
l’intérieur. Mais ils ne soumettent pas
seulement le territoire à un blocus, ils
empêchent Gaza d’exporter ses
productions agricoles et, comme le
rappelle
l’ONU, 35 % des terres cultivables
et 85 % des eaux pour la pêche sont
partiellement ou totalement
inaccessibles aux Gazaouis en raison des
restrictions israéliennes.
« Les gens qui l’administrent et
qui, par parenthèse, ne sont pas arrivés
par les urnes mais par la violence et au
terme — juin 2007 — de plusieurs mois
d’un affrontement sanglant avec d’autres
Palestiniens, n’ont plus avec l’ancien
occupant l’ombre d’un contentieux
territorial du type de celui qu’avait,
mettons, l’OLP de Yasser Arafat. »
S’il y a eu une guerre civile
interpalestinienne, le Hamas a gagné des
élections démocratiques en 2006, en
Cisjordanie et à Gaza. Et que veut dire
: les gens qui administrent (Gaza) n’ont
pas de contentieux territorial avec
Israël ? C’est à peu près le langage que
tenaient les Américains pendant la
guerre du Vietnam, lorsqu’ils disaient
que le Nord-Vietnam n’avait aucun
contentieux territorial.
L’enjeu, rappelons-le, est
l’édification d’un Etat palestinien
indépendant que le gouvernement
israélien rejette.
« Des revendications d’un Arafat
comme de celles, aujourd’hui, de Mahmoud
Abbas, on pouvait estimer qu’elles
étaient excessives, ou mal formulées, ou
inacceptables : au moins
existaient-elles et laissaient-elles la
possibilité d’un accord politique, d’un
compromis, alors que, là, avec le Hamas,
prévaut une haine nue, sans mots ni
enjeux négociables — juste une pluie de
roquettes et de missiles tirés selon une
stratégie qui, parce qu’elle n’a plus
d’autre but que la destruction de
l’“entité sioniste”, est une stratégie
de guerre totale. »
Excessives, les revendications d’un
Mahmoud Abbas qui réclame 22 % de la
Palestine historique ? Et, contrairement
à ce que prétend notre « philosophe »,
il n’y aura aucun accord politique
possible tant que les gouvernements
israéliens rejetteront l’application du
droit international et le retrait
d’Israël de tous les territoires
occupés. Quant à la position du Hamas,
BHL la déforme totalement. S’agissant de
la recherche d’une solution politique,
le Hamas est bien plus modéré qu’Avigdor
Lieberman, ministre des affaires
étrangères israélien et militant
d’extrême droite notoire.
Paradoxalement, si Lieberman avait été
élu dans un pays européen, BHL serait le
premier à demander son boycott par les
autorités françaises.
« Et quand Israël, enfin, s’avise
de cela, quand ses dirigeants décident
de rompre avec des mois de retenue où
ils ont accepté ce qu’aucuns autres
dirigeants au monde n’ont jamais eu à
accepter, quand, constatant, de
surcroît, dans l’effroi, que le rythme
des bombardements est passé d’une
moyenne de 700 tirs par an à presque 200
en quelques jours et que l’Iran a, par
ailleurs, commencé de livrer à ses
protégés des FAJR-5 pouvant frapper, non
plus seulement le sud, mais le cœur même
du pays, et jusqu’aux faubourgs de
Tel-Aviv et Jérusalem, ils se résolvent
à réagir — que croit-on qu’il se passe
? »
Encore un mensonge. Comme en 2008,
c’est le gouvernement israélien qui a
rompu la trêve. Entre juin 2008 et
novembre 2008, le cessez-le-feu régnait,
et c’est l’assassinat par l’armée
israélienne de militants palestiniens à
l’intérieur de Gaza qui déboucha sur une
escalade. La simple consultation des
rapports hebdomadaires des Nations unies
sur la situation à la frontière, en
octobre-novembre 2012, montre que, à
chaque fois, ce sont des assassinats
ciblés israéliens qui ont entraîné
l’engrenage de la violence.
« Le Conseil de sécurité des
Nations unies, que l’on a rarement vu,
ces derniers mois, si prompt à la
détente, se réunit dans l’urgence pour
débattre, non de l’éventuelle
disproportion, mais du principe même de
la légitime défense israélienne. Le
ministre des Affaires étrangères
britannique, à qui l’on ne souhaite pas
de voir la partie sud de son pays sous
le feu d’une organisation reprenant le
sentier de la guerre terroriste, menace
l’Etat hébreu de perdre, en faisant son
travail de protection de ses citoyens,
les maigres derniers soutiens qu’il a la
bonté de lui reconnaître sur la scène
internationale. »
« La responsable de la diplomatie
européenne, Catherine Ashton, commence
par dédouaner le Hamas d’attaques
fomentées pour partie, selon elle, par
d’“autres groupes armés” et ne trouve à
déplorer, dans le plus pur style tartufe
du renvoi dos à dos des
extrémistes-des-deux-bords, qu’une
“escalade de la violence” où, comme dans
la nuit hegelienne, toutes les vaches
sont devenues grises »
Ces déclarations européennes ne
doivent tromper personne. Tout le monde
sait que, depuis des années, l’Union
européenne développe des relations
bilatérales avec Israël, indépendamment
de l’action de ce pays dans les
territoires occupés,
indépendamment de la construction
quotidienne de colonies,
indépendamment de la violation régulière
des droits humains.
« Le Parti communiste, en France,
exige des “sanctions”. Les Verts, que
l’on n’a guère entendus, ni sur la
Syrie, ni sur la Libye, ni sur les
centaines de milliers de morts des
guerres oubliées d’Afrique ou du
Caucase, clament que “l’impunité
d’Israël doit cesser”. Des manifestants
“pacifistes”, qui ne daignent pas, eux
non plus, sortir de chez eux quand c’est
Kadhafi ou Assad qui tuent, descendent
soudain dans la rue — mais c’est pour
dire leur solidarité avec le seul parti
qui, en Palestine, refuse la solution
des deux Etats, donc la paix. »
« Et je ne parle pas de ces
experts ès conspiration qui,
confortablement installés dans leur
fauteuil d’éditorialiste ou de stratège
en chambre, ne veulent voir dans cette
histoire que la main démoniaque d’un
Netanyahou trop heureux d’une nouvelle
guerre qui va faciliter sa réélection.
Je n’entrerai pas dans des comptes
d’apothicaire remontrant à ces ignorants
que tous les sondages, avant la crise,
donnaient Netanyahou déjà largement
gagnant. Je ne m’abaisserai pas à
confier à des gens pour qui, de toute
façon, quoi qu’il fasse, Israël est
l’éternel coupable, ce qui, si j’étais
israélien, me dissuaderait, moi, de
voter pour la coalition sortante. »
Vous l’avez compris, BHL n’est pas
confortablement installé dans son
fauteuil, et si l’armée israélienne
envahit Gaza, nul doute qu’on le verra
sur un char israélien. Quant à la
dimension électorale de l’action, elle
est évidente, même si elle n’est pas la
seule dimension de cette intervention.
Car, contrairement à ce qu’écrit notre «
philosophe », l’avance de Nétanyahou ne
l’assurait pas du tout de la victoire.
Quant au vote de BHL, il irait sans
doute à l’opposition, celle qu’incarnent
M. Olmert et Mme Livni, ceux-là mêmes
qui ont mené la guerre de 2006 contre le
Liban et de 2008-2009 contre Gaza, avec
l’appui, rappelons-le, du mouvement La
Paix maintenant.
« Et quant à rappeler à ces petits
malins que, s’il y a une manœuvre, une
seule, aux sources de cette nouvelle
tragédie, c’est celle d’un establishment
Hamas qui est prêt à toutes les
surenchères et toutes les fuites en
avant, et qui est décidé, en réalité, à
lutter jusqu’à la dernière goutte de
sang du dernier Palestinien plutôt que
d’avoir à rendre le pouvoir, ainsi que
les avantages qui vont avec, à ses
ennemis jurés du Fatah — à quoi bon ? »
Le plus étonnant, c’est que, comme le
reconnaissent divers journalistes
israéliens bien plus courageux que BHL,
le Hamas tente, depuis cinq ans, de
faire appliquer le cessez-le-feu, mais
il fait face à des groupes radicaux qui
se nourrissent du désespoir palestinien
(et qui sont armés, entre autres, avec
du matériel issu des arsenaux libyens
que plus personne ne contrôle).
« Face à ce concert de cynisme et
de mauvaise foi, face à ce deux poids
deux mesures qui fait qu’un mort arabe
n’est digne d’intérêt que si l’on peut
incriminer Israël, face à cette
inversion des valeurs qui transforme
l’agresseur en agressé et le terroriste
en résistant, face à ce tour de
passe-passe qui voit les Indignés de
tous pays héroïser une nomenklatura
brutale et corrompue, impitoyable avec
les faibles, les femmes, les minorités
et enrôlant ses propres enfants dans des
bataillons de petits esclaves envoyés
creuser les tunnels par où transiteront
les douteux trafics qui vont les
enrichir encore, face à cette
méconnaissance crasse, en un mot, de la
nature réelle d’un mouvement dont “Les
protocoles des sages de Sion” sont un
des textes constitutifs et que son chef,
Khaled Mechaal, dirigeait jusque
récemment depuis une confortable
résidence à Damas, il n’y a qu’un mot :
obscénité. »
« Obscénité » : BHL fait sans doute
référence à ses propres « arguments »
pour justifier l’injustifiable.
Sur BHL, lire notre dossier en
ligne «
L’imposture Bernard-Henri Lévy
».
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