Carnets du diplo
Gaza, une responsabilité
collective
Alain Gresh
19 mai 2007
Les affrontements de ces derniers jours à Gaza ont été les
plus graves depuis la formation du gouvernement d’union
nationale constitué sous l’égide de l’Arabie saoudite à la
suite de l’accord
de La Mecque. Les tensions se sont accrues avec
l’intervention des forces armées israéliennes. Comme le
rapporte le site du quotidien Le Monde le 17 mai, dans un
article intitulé « La
tension redouble à Gaza » : « Une
quinzaine de blindés israéliens, accompagnés d’un petit
nombre de soldats, ont pénétré, jeudi 17 mai dans la soirée,
dans le nord de la bande de Gaza. "Des blindés israéliens
sont entrés sur un à deux kilomètres à l’intérieur de la
bande de Gaza, près de l’ancienne colonie de peuplement de
Dougit", selon un responsable de la Sécurité nationale
palestinienne. Cette incursion, présentée comme une "opération
défensive" par un porte-parole de l’armée israélienne,
n’a provoqué aucun affrontement. »
« Israël a par ailleurs mené quatre raids aériens
dans la bande de Gaza, dans la journée de jeudi et la nuit de
jeudi à vendredi, faisant au moins sept morts et trente-neuf
blessés, selon des sources médicales. Les attaques ont visé le
quartier général de la force exécutive du Hamas, le domicile du
porte-parole du ministère de l’intérieur, Khaled Abou Hillal,
ainsi que des véhicules appartenant à un responsable de la ville
de Rafah et à un combattant des Brigades Ezzedine Al-Qassam, la
branche militaire du Hamas. Dans la nuit, quatre combattants du
Hamas ont été tués par un raid aérien. Un chasseur-bombardier
F-16 a tiré au moins un missile, ont rapporté des témoins. »
Selon le quotidien Haaretz du 18 mai (« U.S.
lauds Israeli restraint in face of Qassam rocket attacks »
de Shahar Ilan et Barak Ravid), le porte-parole du département
d’Etat américain a justifié ces attaques : « Israël
a le droit de se défendre et il a exercé ce droit avec beaucoup
de mesure face aux attaques de roquettes. » Quant au
chef de l’opposition Benyamin Netanyahou, il a appelé le
gouvernement israélien à couper l’eau et l’électricité à
Gaza (ce qui, rappelons-le, est un "crime de guerre" ;
lire, par exemple, mon blog sur
le droit humanitaire).
L’envoyé spécial du Monde à Gaza, Michel Bôle-Richard,
a publié dans le journal daté du 17 mai un reportage intitulé « Gaza,
le sang et la fureur ». Les images qu’il transmet sont
terrifiantes. « Pour le moment, la population reste terrée
chez elle. Les écoles sont fermées. Les rideaux de fer des
commerces tirés. Rares sont les voitures qui s’aventurent dans
les rues où quelques habitants, malgré tout, discutent sur le
pas de leur porte. Des enfants profitent des rues désertées pour
jouer au football. Après une semaine de grève des éboueurs, les
trottoirs sont transformés en tas d’immondices. »
« Gaza s’enfonce dans la misère et la terreur. Une
énorme colonne de fumée s’échappe d’une tour sans doute
touchée par un projectile. Des obus de mortiers sont tirés de
temps à autre sur la zone qui abrite la présidence. Les détonations
résonnent dans cette cité paralysée par la peur. Des hommes armés
sont partout, cagoulés, sur le qui-vive, sans que l’on sache à
quel camp ils appartiennent. »
Mais la situation de misère à Gaza est d’abord le résultat
du blocus israélien et de « la communauté internationale ».
Comme le rappelle la journaliste israélienne Amira Hass, « Words
instead of actions », à propos de la publication d’un
rapport de la Banque Mondiale (9 mai 2007) intitulé « Movement
and Access Restrictions in the West Bank : Uncertainty and
Inefficiency in the Palestinian Economy » (PDF) :
« Le nouveau rapport est global, mais il ne contient
rien de nouveau et il met en lumière ce qui a été écrit et dit
depuis des années : Israël inflige des énormes dommages à
l’économie palestinienne et au secteur privé. » Et
elle conclut : « Les pays occidentaux ont choisi de
punir les occupés de manière très concrète, mais pas
l’occupant, qui est vu comme une partie de la Civilisation des
lumières. Ils envoient ainsi un signal à Israël qu’il peut
continuer les mêmes politiques dont le rapport met en garde
contre les conséquences. »
Selon un
tableau préparé par le journaliste Danny Rubenstein et
Reuters et publié dans l’édition en hébreu du 16 mai de Haaretz,
les forces payées par l’Autorité palestinienne se répartiraient
ainsi :
Pour le Fatah : 4,200-5,000 (Sécurité
présidentielle), 30,000 (Police, Sécurité préventive, garde
civile), 5,000 General Intelligence Service 30,000 (Force 17,
Police navale, Renseignement militaire), soit au total, entre
69,200 et 70,000 fonctionnaires payés, auxquels il faut ajouter
quelques milliers d’hommes des brigades Al Aqsa.
Pour le Hamas : 5,000 payés sur le
budget, auxquels il faut ajouter plusieurs milliers d’hommes des
brigades Izzedine Al-Qassam Brigades et quelques milliers des
Comités pour la résistance populaire (pour la plupart des
sympathisants du Hamas).
Mais les affrontements ne sont pas seulement une guerre civile
inter-palestinienne, comme le rappelle un article de Scott Wilson,
dans The Washington Post du 18 mai : « Fatah
Troops Enter Gaza With Israeli Assent Hundreds Were Trained in
Egypt Under U.S.-Backed Program to Counter Hamas » (il faut
s’inscrire sur le site du Washington Post pour avoir accès
aux textes). Le journaliste confirme que les autorités israéliennes
ont autorisé l’envoi de la Cisjordanie à Gaza de 500 soldats
palestiniens loyaux à Mahmoud Abbas.
« Le déploiement des troupes du Fatah illustre le rôle
partisan croissant qu’Israël et l’administration Bush
prennent dans la situation volatile palestinienne. Les efforts
pour renforcer l’opposition au Hamas, que les Etats-Unis et Israël
classent parmi les organisations terroristes, suivent des
tentatives d’isoler le mouvement radical islamiste
internationalement et de couper ses sources de financement. »
Le journaliste fait ensuite parler Ephraim Sneh, vice-ministre
israélien de la défense : « Nous ne donnons pas à
ces forces (du Fatah) des ordres opérationnels. C’est à
Mahmoud Abbas de le faire. L’idée est de changer les rapports
de force qui sont en faveur du Hamas. Avec ces forces bien entraînées,
on pourra corriger ce déséquilibre. »
Ces informations donnent du crédit à ceux des Palestiniens
qui craignent un
coup d’Etat en Palestine pour éliminer le Hamas.
Dans un article publié sur le site Asian Times, et intitulé
« Document
details ’US’ plan to sink Hamas », Mark Perry et
Paul Woodward reviennent sur ces plans :
« Le 30 avril, l’hebdomadaire jordanien Al-Majd publiait
une enquête à propos d’un document secret de 16 pages intitulé
"Plan d’action pour la présidence palestinienne", qui
appelait à saper le gouvernement d’union nationale palestinien
et à le remplacer. Le plan étudiait des mesures qui
renforceraient le président Mahmoud Abbas, édifieraient des
forces de sécurité sous sa direction, aboutiraient à la
dissolution du parlement palestinien et renforceraient les alliés
des Etats-Unis dans le Fatah pour préparer des élections
parlementaires qui seraient convoquées par Abbas cet automne. »
Ce plan aurait été obtenu par le gouvernement jordanien et émanerait
des services de renseignement américains.
L’article fait aussi mention des divergences entre la secrétaire
d’Etat Condoleezza Rice et Eliott Abrams, le conseiller de la
Maison Blanche pour le Proche-Orient, un néoconservateur et un
pro-Israélien convaincu, et un vétéran des sales guerres menées
par l’administration Reagan en Amérique centrale. Il évoque
l’annulation de la visite que devait faire Rice au Proche-Orient
en mai, qui résulterait du fait que ses efforts pour relancer le
processus de paix se heurtent à l’intransigeance d’Abrams.
Comme l’a dit un officiel israélien aux deux journalistes :
« Condi n’est pas en charge de votre politique au
Proche-Orient. Chaque fois qu’elle fait un mouvement, Eliott
Abrams la contre brutalement (is slapping her down). »
Et, pourtant, Condoleezza Rice n’est pas vraiment une « colombe ».
Il est difficile de prévoir la suite des événements à Gaza.
Le Fatah et le Hamas portent une lourde responsabilité : le
premier pour refuser d’accepter le verdict des urnes ; le
second pour ne pas prendre en compte les réalités politiques et
diplomatiques. Tous les deux pour le mépris dont leur
comportement témoigne à l’égard des souffrances de leur
peuple. Mais ces critiques ne peuvent exonérer les principaux
coupables : le gouvernement israélien qui maintient une
occupation illégale des territoires palestiniens depuis 40 ans ;
le gouvernement américain pour son soutien sans faille au refus
israélien de négocier sérieusement ; l’Union européenne
(et la France) pour leur alignement sur les positions américaines
et israéliennes, leur boycottage des autorités élues
palestiniennes, leur refus de toute pression sur la puissance
occupante.
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