Les blogs du Diplo
Afghanistan, vers le
retrait
Alain Gresh
Alain Gresh
Dimanche 17 octobre 2010 La guerre d’Afghanistan est entrée
dans sa dixième année : elle a commencé le 7 octobre 2001, les
troupes américaines et britanniques lançant leur attaque contre
le régime des talibans, un mois après les attentats de New York
et Washington. L’objectif affiché était d’en finir avec le
pouvoir du mollah Omar et de démanteler « les réseaux
terroristes ». Cette offensive s’inscrivait dans ce que
l’administration Bush appelait « la guerre contre le
terrorisme » et qui allait se déployer en Irak, puis au Liban
durant la guerre israélienne de l’été 2006.
Les résultats sont connus et, sans entrer dans les détails,
on peut en tracer les traits principaux :
extension
de l’influence des talibans en Afghanistan, qui contrôlent
désormais une partie importante du territoire et mobilisent plus
largement au nom de la lutte contre l’invasion étrangère ;
extension
des combats au Pakistan où les talibans locaux mènent une lutte
déstabilisatrice contre le pouvoir et l’armée accusés de
collaborer avec les Etats-Unis ;
implantation
d’Al-Qaida en Irak où l’organisation n’avait aucun relais avant
la guerre de 2003 ;
renforcement
des réseaux qui se réclament d’Al-Qaida et qui, du
Liban à la Somalie, en passant par le Yémen s’engagent
militairement contre les troupes américaines et leurs alliés.
Plus largement, la guerre contre le terrorisme a aggravé la
déstabilisation de la région, au détriment même des intérêts des
Etats-Unis.
L’enlisement et l’aveuglement qui ont marqué la politique
américaine en Afghanistan, politique suivie sans état d’âme par
la France, vont-ils prendre fin ? Les Etats-Unis préparent-ils
leur retrait et laisseront-ils aux Afghans la possibilité de
régler leurs propres problèmes ?
Au moins, un débat se déroule au sein de l’administration
américaine, comme le livre de Bob Woodward, Obama’s Wars,
le montre. Dans un article qui évoque cet ouvrage, Robert
Dreyfuss (« Woodward :
Obama Wants Out of Afghanistan », The Nation,
22 septembre — à partir de ce que différents journaux ont
publié, le livre n’étant pas à l’époque disponible) cite une des
déclarations d’Obama en 2008 à ses généraux qui demandaient un
engagement plus soutenu :
« En 2010, nous ne devrons plus avoir une conversation sur
la façon de faire plus. Je ne veux pas entendre, “Nous allons
bien, Monsieur le Président, mais nous serions mieux si nous en
faisons plus.” Nous n’allons pas avoir une conversation sur la
façon de changer [la mission]... à moins que nous parlions de la
façon de nous retirer plus rapidement que prévu en 2011. »
Le livre semble confirmer la volonté du président Obama de se
sortir du bourbier afghan.
Deux informations récentes, toutes deux rapportées par l’International
Herald Tribune (15 octobre) (les liens hypertextes sont
faits avec les articles publiés sur le site électronique du
New York Times) éclairent le contexte et confirment cette
impression. La première concerne le contingent espagnol
(l’Espagne s’est retirée d’Irak après la victoire des
socialistes en 2004 mais continue à participer aux combats en
Afghanistan). L’article raconte l’histoire d’un soldat mort au
combat, dont la particularité était qu’il n’avait pas la
nationalité espagnole, mais... colombienne. (Rachel Donadio et
Dale Fuchs,
« A Casualty Both of War and the Spanish Economy »). On y
aprend que 7 % de l’armée espagnole est composée d’étrangers,
poussés à s’engager par la crise économique et par la
perspective (non automatique) d’acquérir la nationalité
espagnole. Comme sa mère l’indique aux journalistes, on le
considérait plus comme « un mercenaire » que comme un
soldat. Depuis le 11 septembre 2001, l’armée américain aussi a
largement fait appel à des volontaires étrangers. Je citais en
décembre 2006, dans un envoi intitulé
« L’armée américaine à la recherche de volontaires étrangers »,
un journal américain :
« A l’heure actuelle, la politique du Pentagone stipule
que seuls les immigrants légaux résidant aux Etats-Unis ont le
droit de s’enrôler. On compte aujourd’hui 30 000 non-citoyens
qui servent dans les forces armées américaines, soit 2 % des
effectifs d’active (...) Environ une centaine de
non-citoyens sont morts en Irak et en Afghanistan. Un récent
changement de la loi américaine donne au Pentagone l’autorité
d’amener des immigrants aux Etats-Unis s’il les considère comme
vitaux pour la sécurité nationale. Jusqu’à présent, le Pentagone
n’a pas utilisé ce changement, mais la pression s’accroît pour
qu’il utilise cette nouvelle possibilité. Certains penseurs
militaires hauts placés pensent que les Etats-Unis devraient
recruter des étrangers dans leur pays d’origine. »
Quand une nation prétend engager une guerre vitale, au nom de
la liberté et des grands principes, mais sont incapables de
trouver assez de soldats « nationaux » pour les mener, cela
pose, c’est le moins qu’on puisse dire, problème.
La deuxième information donnée par le quotidien américain
confirme l’appui de Washington et de l’OTAN aux négociations
secrètes menées par le pouvoir afghan avec les talibans (Helen
Cooper et Dexter Filkins,
« Push on Talks With Taliban Confirmed by NATO Officials »).
Les Etats-Unis ont permis à d’importants responsables des
talibans d’assister à des réunions à Kaboul, révèlent les
journalistes qui se sont vu confirmer par des responsables
militaires américains que la réconciliation était une dimension
clef de la guerre qu’ils menaient. Dans le même temps, l’OTAN
intensifie ses opérations militaires, notamment en utilisant les
drones pour tuer d’autres responsables talibans et contraindre
les talibans à négocier. Quoiqu’il en soit, il semble bien qu’un
processus s’est mis en route pour aboutir à un gouvernement
d’union nationale et au départ des troupes étrangères. Bien sûr,
le chemin sera long, mais il semble bien que Washington a pris
conscience que cette guerre ne pouvait pas être gagnée. Il aura
fallu dix ans de combats, de morts, de destruction, de
déclarations enflammées sur les
femmes afghanes, sur le fait que nos soldats se battaient
là-bas pour éviter que les combats s’étendent dans nos
banlieues...
Partager
Les analyses d'Alain
Gresh
Les dernières mises à jour
|